Femmes réalisatrices : genre et gender dans le cinéma et les séries télévisées (France, Grande Bretagne, Etats-Unis) (Mans)
Femmes réalisatrices : genre et gender dans le cinéma et les séries télévisées
(France, Grande Bretagne, Etats-Unis)
3-4 juillet 2025
Université du Mans, France
Dans l’introduction de Gender Meets Genre in Postwar Cinemas (2012), Christine Gledhill affirme que le genre et le gender s’entrecroisent rarement en tant que concepts dans les études filmiques, même si ces deux termes sont régis par des « ensembles de conventions [et] des règles d’inclusion et d’exclusion » (2). Ces croisements ont depuis fait l’objet d’une plus grande attention de la part des chercheurs, comme en témoigne le nombre croissant de publications sur la notion d’auctorialité féminine dans le contexte des films de genre. Ce colloque vise à approfondir cette recherche en examinant la manière dont les réalisatrices explorent à la fois les genres filmiques et les thèmes genrés. En mettant l’accent sur les approches transnationales et comparatives du cinéma étatsunien, britannique et français, nous proposons d’étudier comment les réalisatrices entrecroisent les conventions génériques et les questions de genre (gender).
Dès les années 1980, Teresa de Lauretis notait que l’élaboration des genres et des techniques cinématographiques joue un rôle crucial dans la formation des subjectivités et des identités de genre (gender). En développant l’argument selon lequel le cinéma appartient aux « technologies du genre » qui produisent des « conceptions culturelles du masculin et du féminin » (1984, 5), elle évoque le pouvoir des genres cinématographiques d’inscrire la différence de genre dans les conventions narratives et visuelles, soulignant la nécessité de perturber la « polarité masculin-féminin » (82) pour permettre l’émergence de nouvelles subjectivités. Comment le cinéma peut-il résister au pouvoir du genre qui détermine le féminin et le masculin selon des normes hégémoniques et hétérosexuelles ? De quelle manière les réalisatrices contournent-elles les codes qui prévalent dans un monde hollywoodien dominé par les hommes ? Comment les femmes parviennent-elles à déconstruire ou à subvertir le format populaire des genres, ou au contraire à exploiter leur potentiel génératif ?
Ce colloque envisagera les notions entremêlées de genre et de gender à travers le cinéma féminin pour tenter de comprendre s’il est possible de subvertir ou de réécrire les conventions génériques du cinéma hollywoodien. Traditionnellement, les critiques féministes portant sur des films réalisés par des femmes privilégient le cinéma expérimental ou le cinéma d’art et d’essai, en partie à cause de la corrélation supposée entre les genres et le renforcement des stéréotypes de genre (gender), ou autres représentations problématiques d’un point de vue idéologique. Le cinéma féminin a par conséquent été conceptualisé comme un « contre-cinéma » résistant au pouvoir du regard (Mulvey 1975), un défi direct aux conventions hollywoodiennes et, plus largement, au cinéma de genre populaire. Parallèlement, le modèle de « contre-cinéma » de Claire Johnston (1972), basé non pas sur le langage de la négation mais sur celui de l’ « infiltration », c’est-à-dire la remise en question des normes hégémoniques de l’intérieur, a conduit à revoir les films de genre réalisés par des femmes à l’époque des studios hollywoodiens, tels que ceux de Dorothy Arzner et d’Ida Lupino.
Comme l’observe Patricia White, contrairement à Mulvey qui a adopté « la destruction du plaisir comme arme radicale », le travail de Johnston anticipe le climat postféministe actuel du 21e siècle, qui est « beaucoup moins méfiant à l’égard du plaisir que ne l’était le féminisme culturel du début des années 1970 » (2015, 9). Il réoriente également l’attention des chercheurs vers le développement du discours féministe dans le cadre des conventions génériques, conformément à la préoccupation postmoderniste sur les appropriations, les remakes et les réécritures. La conscience de la généricité (la capacité d’un film à mobiliser un ou plusieurs genres (Schaeffer 1989)) incite les réalisatrices à employer le pastiche et la métafiction comme outils de réécriture générique. Mary Harrod attire l’attention sur ces techniques autoréflexives utilisées par les réalisatrices dans les « films de genre renforcés », une expression qu’elle utilise pour analyser leur participation à la construction de la généricité en tant qu’expérience esthétique et affective puissante. Basé sur un corpus de films états-uniens réalisés après les années 1990 par Kathryn Bigelow, Amy Heckerling, Sofia Coppola, Kimberly Peirce, Greta Gerwig, entre autres, son ouvrage examine la notion de « ciné-fille » : la réalisatrice (en tant qu’autrice) exploite l’intertextualité cinéphilique pour façonner sa propre vision artistique. L’intérêt croissant pour les réalisatrices travaillant dans des formats populaires est également attesté par une récente vague de publications sur des genres « de mauvaise réputation », dont le film d’horreur : Women Make Horror: Filmmaking, Feminism, Genre (Alison Peirse, 2020), New Blood in Contemporary Cinema: Women Directors and The Poetics of Horror (Patricia Pisters, 2020), et Return of the Monstrous-Feminine: Feminist New Wave Cinema (Barbara Creed, 2022).
Nous encourageons les contributeurs à s’intéresser à tous types de films, quels que soient le genre ou le contexte de production, qu’il s’agisse de cinéma dit grand public ou de films réalisés en périphérie d’Hollywood. Notre projet vise à élargir le corpus croissant de travaux sur l’auctorialité féminine telle qu’elle s’imprime dans les films de genre dans les contextes états-unien et britannique, pour inclure également les réalisatrices françaises, dont les films de genre ont un impact culturel considérable. Il est nécessaire d’étudier comment les genres rencontrent le genre (gender) dans la pratique cinématographique des femmes, étant donné la visibilité culturelle accrue des films de genre réalisés par des femmes et les implications critiques de leur inscription dans des formats historiquement catégorisés comme « masculins », tels que les films de guerre, les Westerns ou le cinéma d’horreur. Le film de Kelly Reichardt, Meek’s Cutoff (2010), offre par exemple une vision captivante de l’expérience de la Frontière dans un western adoptant le point de vue des femmes, dont les voix ne sont que murmures face à des hommes décisionnaires. Dans American Honey (2016), Andrea Arnolds s’éloigne de l’attention qu’elle portait auparavant aux quartiers défavorisés britanniques pour réécrire le genre du road movie dans le contexte états-unien post-récession, tandis que dans You Were Never Really Here (2017), Lynne Ramsay se tourne vers le film noir pour interroger la masculinité violente, en abordant un traumatisme lié à la guerre et le trafic sexuel d’enfants. En France, Julia Ducournau entre dans l’histoire en devenant la deuxième femme cinéaste après Jane Campion (The Piano, 1993) à remporter la Palme d’or avec Titane (2021), une révision du film d’horreur qui déconstruit, dans un geste queer, les identités sexuelles et genrées, et redéfinit la notion de parenté au-delà de l’hétéronormativité. Il est tout aussi important d’examiner comment les réalisatrices traitent du désir scopique en transformant le langage visuel des genres dits « féminins » (films historiques en costume, comédie romantique ou biopics féminins). Le dernier biopic de Sofia Coppola, Priscilla (2023), montre la transformation de la jeune épouse d’Elvis Presley alors qu’elle devient une femme et découvre ses propres désirs après s’être vue à travers les yeux du roi. Si la caméra revient continuellement sur le corps de la protagoniste pour représenter le pouvoir du regard et du désir qu’il inspire, Coppola utilise le gros plan non pas pour objectifier son sujet mais pour susciter une expérience phénoménologique propre à la féminité dans son cinéma. Céline Sciamma réinvente la formule du teenpic dans Water Lilies (2007), Tomboy (2011) et Girlhood (2014), ainsi que le film historique en costumes dans Portrait of a Lady on Fire (2019), acclamé par la critique. D’autres films infléchissent les conventions génériques pour agir sur le plaisir lié à la forme narrative et chronologique, à la composition visuelle et sonore, aux acteurs/actrices et aux caractérisations des personnages.
Les axes de recherche possibles incluent, mais ne sont pas limités à :
Genre et auctorialité : quels sont les nouveaux paradigmes de la création féminine dans le cinéma de genre ?
Approches comparatives : comment les réalisateurs et les réalisatrices utilisent-ils les genres, y compris ceux qui ont été historiquement associés aux plaisirs visuels masculins (le western, le cinéma d’horreur ou le film de guerre…) ?
Les films de genre permettent-ils aux réalisatrices d’aborder des sujets féministes ou des thèmes dits « féminins » ?
L’émergence d’identités de genre (gender) et d’identités intersectionnelles dans les films réalisés par des femmes
Le pastiche, l’autoréférentialité et la méta-généricité dans les films de femmes
Les critiques et leur impact sur la trajectoire des genres cinématographiques : un examen approfondi de la littérature critique révèle-t-il des préjugés dé/favorables à l’égard du cinéma de genre féminin ?
Genre, gender et son : comment la musique et le son participent-ils aux technologies du genre et à la construction du genre dans le cinéma féminin ?
Le mouvement #MeToo a donné de la visibilité au harcèlement sexuel dans la société patriarcale. Comment les femmes cinéastes ont-elles utilisé les genres pour répondre à ce moment culturel ?
Les propositions de communication (env. 250 mots) et une courte biographie sont à déposer sur le site https://femme.sciencesconf.org avant le 31 octobre 2024. Il est nécessaire de créer un compte avant de pouvoir remplir le formulaire de dépôt.
Contact: Delphine.Letort@univ-lemans.fr