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Archéologie des lieux (Saint-Étienne)

Archéologie des lieux (Saint-Étienne)

Publié le par Marc Escola (Source : Jonathan Tichit)

Archéologie des lieux

Dossier de Focales n° 12, articulé à un colloque international prévu

les jeudi 13 et vendredi 14 novembre 2025 à Saint-Étienne et à Lyon.

Dès 1978, Pierre Nora fait remarquer que « l’histoire s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives » qui cherchent à « compenser le déracinement historique du social et l’angoisse de l’avenir par la valorisation d’un passé qui n’était pas jusque-là vécu comme tel ». Se multiplient dès lors les « lieux de mémoire » que l’historien définit comme des sites ou des objets matériels qui se trouvent investis par certaines communautés afin d’incarner les moments d’une histoire partagée. 

La propension toujours croissante à la patrimonialisation de certains lieux où se sont déroulés des épisodes tragiques a été abordée ‒ de manière distanciée, voire critique ‒ par certains photographes contemporains. C’est ainsi que, dans un bel ouvrage publié en 1993, l’Allemand Reinhard Matz rassemble des vues qui thématisent le passage du temps sur les vestiges du nazisme, en juxtaposant aux restes matériels de l’industrie de la mort les aménagements actuels de certains camps à des fins de muséification : les constructions ayant servi à la détention et à l’extermination côtoient, dans ses photographies, les cartels explicatifs, les buvettes et les parkings remplis d’autocars. Quant à Ambroise Tézenaz, il tend à stigmatiser un « tourisme de la désolation » orienté vers des destinations où des crimes de guerre, des accidents naturels ou technologiques se sont produits. C’est la fétichisation et la marchandisation des reliques du passé qui se trouvent dès lors dénoncées. 

Une soif accrue de mémoire s’exprime également à travers le renouveau d’intérêt pour les ruines et les sites abandonnés qui se manifeste dans la pratique de l’urbex : de plus en plus tournées vers un partage sur les réseaux, les images produites confèrent une visibilité nouvelle aux sites désaffectés et participent d’une conception du « patrimoine comme expérience », telle que la définit Jean-Louis Tornatore. Dans les œuvres des photographes contemporains, l’exploration et la représentation des vestiges d’un passé relativement récent interrogent également la consistance du présent. Yves Marchand et Romain Meffre, Thomas Jorion et bien d’autres produisent des photographies qui reprennent certains codes du pittoresque et de l’esthétique des ruines héritée du XVIIIe siècle, mais traduisent aussi un bouleversement de notre rapport au temps et une crainte du futur. Leurs œuvres reflètent la perte des utopies de progrès qui ont habité la modernité et peuvent permettre de penser l’avènement d’un nouveau « régime d’historicité » présentiste, défini par François Hartog.  

Cependant les traces du passé ne s’imposent pas toujours au regard, voire se refusent parfois à celui qui les quête, de sorte que certains photographes développent aujourd’hui de véritables stratégies de fouille afin d’essayer de reconstituer des histoires qui s’échappent. Ils cherchent des indices, collectent des renseignements au sein des archives, lisent des ouvrages afin de se documenter, mènent des entretiens auprès de personnes informées… C’est ce que font Mathieu Pernot dans Un camp pour les bohémiens (2001), Arno Gisinger dans HK. Destins / Schicksale (2021), Laïa Abril dans On Abortion (2016) et On Rape (2022) ou encore Martin Barzilai dans Cimetière fantôme : Thessalonique (2023). Si ces artistes mobilisent des manières de faire qui s’apparentent à celles de chercheurs en sciences humaines et sociales, leurs œuvres s’écartent des travaux académiques, dans la mesure où ils s’accordent plus de liberté, voire de fantaisie : ils mobilisent l’imaginaire et l’intuition (quand les scientifiques sont censés se l’interdire), s’accommodent parfois de la vraisemblance. Leurs œuvres, construites sous la forme de récits et susceptibles de renfermer une part de fiction, viennent ainsi questionner les méthodes de recherche des historiens et croisent des interrogations de nature épistémologique aujourd’hui formulées par des universitaires tels que Philippe Artières ou Ivan Jablonka. Les dispositifs proposés par ces artistes ménagent souvent une forme de dialogisme (au sens que Mikhaïl Bakhtine a donné à ce terme) entre les différents éléments assemblés, qui s’éclairent et s’infléchissent mutuellement, afin d’inciter le spectateur à réfléchir par lui-même.

Ce sont les différentes manières dont les pratiques photographiques contemporaines participent au renouvellement d’une écriture de l’histoire qu’interrogeront le colloque international prévu en novembre 2025 et le dossier de la revue Focales qui en découlera.

Modalités de soumission

Les propositions de contribution (3 000 signes maximum) seront accompagnées d’une bibliographie, d’une brève notice bio-bibliographique (1 000 signes maximum) et de l’adresse électronique de l’auteur. Elles devront parvenir au plus tard le 15 janvier 2025 à : Thaïva Ouaki (kt.ouaki@gmail.com), Jonathan Tichit (jonathantichit@gmail.com)
et Danièle Méaux (daniele.meaux@univ-st-etienne.fr). 

L’acceptation des propositions sera notifiée fin février 2025.

Comité d'organisation

Anne-Céline Callens (ECLLA, Université de Saint-Etienne)
Danièle Méaux (ECLLA, Université de Saint-Étienne)
Julie Noirot (Passages XX-XXI, Université Lyon 2)
Thaïva Ouaki (ECLLA, Université de Saint-Etienne)
Jonathan Tichit (ECLLA, Université de Saint-Etienne)

Comité scientifique
Philippe Bazin (École Nationale Supérieure d'Art de Dijon)
Jan Baetens (LGC, KU Leuven)
Raphaële Bertho (INTRU, Université de Tours)
Pascale Borrel (PTAC, Université Rennes 2)
Nathalie Boulouch (Histoire et critique d’art, Université Rennes 2)
Christine Buignet (LESA, Aix-Marseille Université)
Anne-Céline Callens (ECLLA, Université de Saint-Étienne)
Laurence Corbel (PTAC, Université Rennes 2)
Véronique Figini (École nationale supérieure Louis Lumière)
Christian Joschke (École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris)
Vincent Lavoie (Université du Québec à Montréal)
Danièle Méaux (ECLLA, Université de Saint-Étienne)
Julie Noirot (Passages XX-XXI, Université Lyon 2)
Philippe Ortel (TELEM, Université Bordeaux-Montaigne)
Suzanne Paquet (Université de Montréal)
Olga Smith (Newcastle University)
Bernd Stiegler (LKM, Université de Konstanz)
Alexander Streitberger (LGC et CERTA, Université catholique de Louvain)
Kim Timby (École du Louvre)
Hilde Van Gelder (LGC, KU Leuven)
Dominique Versavel (Bibliothèque nationale de France)