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Paroles (d')historiennes au XIXe s. (Paris)

Paroles (d')historiennes au XIXe s. (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Lucie Nizard)

Paroles (d')historiennes au XIXe siècle

La journée d’études « Des femmes qui écrivent l’histoire au XIXe siècle (1789-1914) », qui s’est tenue le 29 juin 2023 à l’Université Paris Cité (CERILAC), a fait émerger de multiples figures de femmes qui écrivent l’Histoire sans pour autant s’emparer du « genre historien », dans un contexte où l’accès à l’autorité académique leur est proscrit. S’intéresser à cette façon de produire de l’histoire malgré tout invite à s’interroger sur les manières obliques de produire un savoir historique. Ces paroles (d’)historiennes empruntent d’autres voies que les sommes d’un Michelet, d’un Guizot ou d’un Thiers. Cependant, si elles affichent des postures ou s’emparent de genres moins canoniques, ces autrices ont bel et bien pris la plume pour « recréer le passé à des fins qui furent longtemps politiques, morales, scolaires ou simplement récréatives1 ». En braconnant leur accès à cette écriture, elles occupent aussi des espaces du champ historiographique que les hommes n’investissent pas.

Dès lors, comme le rappelle Nicole Pellegrin dans Histoires d’historiennes, la distinction entre l’amateur·ice et l’historien·ne, née avec la professionnalisation du métier à la fin du xixe siècle, apparaît faiblement heuristique. Cette distinction n’interroge guère la constitution patriarcale et genrée de l’Histoire comme discipline, science et métier. On proposera donc de délaisser les critères d’institutionnalisation afin de ne pas « nier l’existence d’historiennes avant l’entrée des femmes dans les universités2 ». Comment donc les femmes se sont-elles emparées de l’écriture historienne avant même de pouvoir siéger en chaire ? Cette question ouvre diverses pistes, qui interrogent le genre de l’histoire, entendu à la fois au sens du genre (gender) de la personne qui produit un regard et un savoir sur l’histoire, qu’au sens d’un jeu avec les frontières des genres historiques et littéraires.

Écrire l’histoire : un braconnage3

Au XIXe siècle, la discipline historiographique connaît des révolutions méthodologiques majeures et suit un long processus d’institutionnalisation et de professionnalisation. Écrire l’Histoire consiste alors autant à mettre en mots un passé déjà révolu depuis longtemps qu’à témoigner du temps présent ou à décrire un passé immédiat connu des auteur·ice·s ou de leurs ascendant·e·s. L’éviction d’un certain nombre de textes et de genres du champ historien à partir du XIXe siècle n’a rien d’évident ni de naturel : elle participe d’une construction genrée de l’historiographie contemporaine4.

L’approche choisie ne consiste pas à prendre pour argent comptant les velléités historiographiques de tous les textes qui revendiquent une part de scientificité historique au XIXe siècle, mais de replacer les textes dans leur contexte épistémologique et politique.

Ces réflexions aboutissent à un autre questionnement, à la croisée de l’histoire et de la littérature : à quels endroits (génériques, thématiques, stylistiques, etc.) les femmes écrivent-elles l’Histoire malgré tout, et quels usages de l’Histoire font les femmes qui l’écrivent ?

En retour, quel savoir historique peut-on dégager de ces gestes d’historiennes ? Il ne s’agira pas ici de juger de l’exactitude historique de leurs travaux, mais plutôt de savoir comment il est possible, aujourd’hui, de faire de l’histoire avec ce type d’écrits. Étant par principe exclus du champ académique, ces textes braconnent souvent aux frontières de la littérature, de l’essai, de l’écriture de soi, des mémoires, de l’écrit d’intervention (proclamation, article de presse, chanson, pétition…). Dès lors, on peut se demander en quoi cette écriture particulière de l’histoire met au jour des voies nouvelles pour enquêter sur l’histoire de l’accès au savoir, à la légitimité intellectuelle, à la reconnaissance sociale, aux discours politiques par les femmes au XIXe siècle ? Que produit l’écriture d’Histoire sous d’autres formes ? Le cas échéant, comment interroger le recours au pseudonyme pour produire ces écrits ?

Écrire en conscience historique

Écrire l’Histoire c’est, en un sens, approcher le passé et formuler un savoir sur le passé. Comme le rappelle Claudie Bernard dans son étude sur le roman historique, l’historique c’est aussi le public et ce qui importe à la collectivité, l’avéré, « et de plus en plus à mesure que la discipline qui l’assume aiguise sa scientificité, le vérifié5 ». « Mais où commence ce passé6 ? », se demande-t-elle : autour de l’interposition d’un événement qui fait date ? de la date de naissance de l’écrivain ? ou encore d’un temps écoulé donné ? Claudie Bernard suggère que ce qui importe dans l’historique, c’est l’attitude de l’auteur·ice « vis-à-vis de l’en deçà qu’il a élu7 ». Se pose alors la question de la distance à l’objet historiographique, mais également de la méthode et de la posture adoptées face à ce qui est posé comme un matériau historique : une conscience historique mise au service de l’écriture des temps passés et présents.

On interrogera par ce biais les écrits des femmes qui écrivent en conscience historique. On entendrait ainsi l’expression « écrire l’Histoire » dans tous ses sens littéraux : enregistrer l’Histoire en marche participe autant de l’écriture de l’Histoire que de la formulation d’un savoir sur le passé.

Il s’agira de s’intéresser à la conscience historique des actrices du XIXe siècle, et aux manières dont certaines, en lançant des revues, en racontant des événements historiques, en documentant des faits ou des perceptions qui étaient effacées par le regard masculin et le discours dominant, ont démontré un désir d’archive ouvert aux écrivaines d’histoire du futur. Comment la position de dominées a-t-elle pu alerter les actrices du passé sur l’importance de la préservation des traces archivistiques pour conserver la mémoire des femmes elles-mêmes, mais aussi d’autres groupes sociaux opprimés ?

Déplacer le regard

De la même façon que Jacques Rancière s’est intéressé, dans La Nuit des prolétaires8, à ce que la présence de certaines formes d’écriture depuis et dans un lieu où elles ne sont pas attendues pouvait déplacer dans l’espace des discours et des représentations de la société, on souhaite ici réfléchir à la façon dont la revendication d’une production historiographique par les femmes au XIXe siècle déplace et reconfigure le partage du savoir et du discours sur l’histoire. 
On pourra enfin analyser les réceptions sexo-spécifiques qui ont longtemps déshistoricisé l’Histoire écrite par des femmes. En miroir, on pourra également interroger une réception plus contemporaine, qui tend à associer écriture de l’Histoire par des femmes et revendications féministes : y a-t-il des contre-exemples à cette association courante aujourd’hui ? Quelle est sa part éventuelle d’anachronisme ? Comment sont représentées ces femmes qui écrivent l’histoire dans les textes contemporains, et qu’est-ce que cela nous apprend de nos stéréotypes actuels sur les femmes qui ont écrit l’Histoire au XIXe siècle ?

Cadrage des propositions

Le caractère féminin des autrices d’histoire ou de romans historiques ne saurait constituer un critère suffisant pour figurer dans ce volume collectif. Un traitement spécifique des stratégies de contournement mises en place par les écrivaines pour produire un savoir historique spécifique et reçu comme sérieux malgré la barrière du genre est attendu. Cette enquête sur la démarche d’écriture pourra inclure des approches aussi variées que la réception, la génétique textuelle, les paratextes, la stylistique ou l’analyse des stratégies auctoriales. 

Les propositions de contribution, de deux pages environ et accompagnées d’une bibliographie critique ainsi que d’une bio-bibliographie de l’auteur·ice, doivent être envoyées avant le 15 novembre 2024 aux trois adresses suivantes : marie.davidoux@yahoo.fr ; lucienizard@gmail.com ; mathieu.rogerlacan@gmail.com

Après un retour du comité scientifique au début du mois de novembre 2024, les articles définitifs seront attendus pour le 15 mai 2025. 

Notes

[1] Nicole PELLEGRIN (dir.), Histoires d’historiennes, Saint-Etienne, Publications de l’Université Saint-Etienne, 2006, p. 9. 

[2] Ibid.

[3] Nous empruntons bien sûr l’expression à Michel de Certeau, “Lire : un braconnage”, dans L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990. 

[4] Voir, entre autres, Bonnie G. SMITH, The Gender of History. Men, Women and Historical Practice, Cambridge-Londres, Harvard University Press, 1998.

[5] Claudie BERNARD, Le Passé recomposé : le roman historique français du XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 155. 

[6] Ibid., p. 154. 

[7] Ibid.

[8]  Jacques RANCIÈRE, La Nuit des prolétaires : archives du rêve ouvrier, Paris, Fayard, 1981. 

Bibliographie sélective


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Bert J. et Lamy J., Voir les savoirs. Lieux, objets et gestes de la science, Paris, Anamosa, 2021. 
Bienvenue L. et François-Olivier D., Profession historienne ? Femmes et pratique de l'histoire au Canada français, XIXe-XXe siècles, Presses de l’Université Laval, 2023.
Certeau M., L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 2002.
Chartier R., Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétudes, Paris, Albin Michel, 1998. 
Collin Fr., 1988, « Sexes et savoir », Les Cahiers du GRIF, « Le genre de l’histoire », 37-38, pp. 5-7.
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— 2006, « Masculin/féminin dans les dictionnaires et recueils de biographies féminines (début XIXe siècle-années 1860) », pp. 67-84, in : Pellegrin N., Histoires d’historiennes, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne.
— 2007, « L’histoire des femmes et ses premières historiennes », Revue d’histoire des sciences humaines, 16, pp. 165-194.
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