Séminaire de Master - Marc.Escola@unil.ch
Semestre de printemps, lundi 14h15-16h, Anthropole (salle à préciser)
Le sixième acte. Finir la comédie
Dans le premier des Trois Discours sur le poème dramatique où il réfléchit aux différentes composantes qui définissent et distinguent l'un de l'autre les grands genres du théâtre, Corneille fait état de son embarras s'agissant des dénouements comiques : « Pour la comédie, Aristote ne lui impose point d'autre devoir pour conclusion que que de rendre amis ceux qui étaient ennemis. Ce qu'il faut entendre un peu plus généralement que les termes ne semblent porter, et l'étendre à la réconciliation de toute sorte de mauvaise intelligence. » L'embarras du dramaturge est sans doute celui de tout lecteur de la Poétique, amputée selon toute vraisemblance de ses développements relatifs à la comédie : de quelle nature est donc la « réconciliation » dont tout dénouement comique est réputé donner l'occasion ? S'agit-il d'un simple retour à la normale (statu quo ante), au terme d'une crise dont les dommages ont pu être conjurés ? Comment comprendre que l'issue des intrigues comiques tiennent statutairement dans une décision matrimoniale (« nos comédies n'ont que très rarement une autre fin que des mariages », écrivait Corneille). Que dire des comédies qui s'en dispensent ? Si le nœud de la comédie tient dans la contestation de (voire le défi lancé à) quelque autorité, et son dénouement dans l'acceptation par cette même autorité d'un état de fait contre lequel elle s'est en vain élevée, qu'est-ce donc qui a été gagné dans l'intervalle ?
On proposera d'abord un parcours des grands textes théoriques (d'Aristote à Denis Guénoun) qui ont tenté de définir ou de penser la nature de l'action comique et le dénouement des comédies, et l'on tentera de mieux cerner dans l'étude de quelques comédies classiques (de Corneille et Marivaux notamment) ce qu'il faut entendre par « réconciliation ». On réfléchira aussi aux laissés-pour-compte des dénouements : ces personnages secondaires que la langue classique nommait joliment « les second amants », rivaux malheureux et amantes éconduites, et l'on se demandera ce qu'il advient de ces seconds comme des premiers amants au-delà du dénouement.
Dans le même passage du premier Discours, Corneille précisait que la réconciliation supposant le consentement de ceux qui « mettaient obstacle » au bonheur des amants, il fallait « prendre garde à ce que ce consentement ne vienne pas par un simple changement de volonté, mais par un événement qui en fournisse l'occasion » : « Il n'y aurait pas grand artifice au dénouement d'une pièce si après l'avoir soutenue durant quatre actes sur l'autorité d'un père qui n'approuve point les inclinations amoureuses de son fils, ou de sa fille, il y consentait tout d'un coup par cette seule raison que c'est le cinquième, et que l'auteur n'oserait en faire six. »
On l'osera peut-être à la place des dramaturges : si l'on admet que tout dénouement comique laisse subsister différentes lignes de fuite que les dernières scènes viennent interrompre mais non pas briser, est-il tout à fait déraisonnable d'espérer les unifier dans un « sixième acte » ? Ce qui revient sans doute à prendre le problème par l'autre bout, en se demandant ce qui commence vraiment au terme d'une comédie.
Les étudiants seront invités à choisir une comédie (toutes époques et langues confondues, et sans s'interdire les fictions cinématographiques, mais en faisant peut-être la part belle au répertoire classique) pour réfléchir tout à la fois sur son dénouement effectif et sur sa possible continuation.
Conférencier invité : Jean de Guardia (Sorbonne nouvelle), le 10 mars.