"Retourner le monde contre lui-même" : perspectives critiques sur les poésies nordiques aux XXe et XXIe s. / “To turn the world against itself”: critical perspectives on Nordic poetry. 20th and 21st centuries (Caen)
« Retourner le monde contre lui-même » : perspectives critiques
sur les poésies nordiques aux XXe et XXIe siècles
Symposium à l’université de Caen du 6 au 7 mars 2025
accompagné d’une manifestation littéraire consacrée à la poésie nordique contemporaine
La vitalité de la poésie nordique n’est plus à démontrer. Certaines figures majeures, comme Inger Christensen et Tomas Tranströmer, traduites dans le monde entier, comptent parmi les dernières icônes du genre. D’autres comme Sjón, Jón Kalman Stefánsson et le prix Nobel 2023 Jon Fosse, doivent leur renommé à un autre genre, alors qu’ils sont aussi, voire avant tout, poètes, la connaissance de ce pan de leur production profitant progressivement du succès de leurs paroles de chansons, romans et pièces de théâtre. La traduction et la réception de pratiques poétiques plus confidentielles ou expérimentales, souvent liées à des réseaux relationnels, confirme par un autre biais l’impact des poètes du Nord. Des poètes comme Ann Jäderlund, Cia Rinne, Jørn H. Sværen et Pia Tafdrup jouissent ainsi d’une réputation internationale au sein d’une communauté spécialisée de lecteurs et d’auteurs. Il semble cependant que l’inscription de leur écriture au sein d’une historicité nordique ne soit articulée que sur le mode vague d’une provenance géographique, et que la critique peine à voir une plus grande constellation de pratiques, projets, références, traditions ou réseaux partagés derrière ces quelques noms.
C’est dans cette tension que nous voudrions situer les enjeux de ce colloque, en considérant les poésies nordiques en tant que champs travaillés par des dynamiques collectives, pour essayer d’en définir les spécificités éventuelles, tout en s’attachant à certaines œuvres singulières, dont on cherchera à interroger l’historicité, de façon à voir ce qu’elles apportent, au sein de leur champ respectif – mais aussi dans un contexte de lecture plus vaste, lié à des modalités de circulation et de réception spécifique à une échelle européenne voire globale, dont l’articulation avec le domaine nordique reste à analyser.
Pour cela, nous proposons une réflexion autour de cinq axes, entre lesquels existent de possibles intersections :
- La tradition moderniste nordique
Au cours du XXe siècle, les pays nordiques ont traversé, parfois de façon synchronisée, parfois en s’inspirant les uns des autres, des périodes de remise en question et de renouvellement qui ont fait émerger des figures canoniques et des cadres de valeurs partagés au-delà des frontières nationales. Un air de famille semble souvent réunir des textes publiés dans des langues différentes, mais permet-il cependant de caractériser la poésie moderniste nordique d’une manière systématique ? Pour autant que l’on puisse parler de tradition à son sujet, quels sont les différences et les points de contact avec d’autres traditions, continentales voire transcontinentales ? Dans quelle mesure les poètes contemporains continuent-ils à se référer à cet héritage ?
- L’impact des avant-gardes et l’héritage des poètes engagés
Peut-on parler d’une spécificité nordique dans la façon dont les champs poétiques ont été traversés autour des années 1960 par des lignes de force caractérisées par des termes tels que konkretisme, nyenkelhet, systemdiktning ou yhteiskunnallisuus ? Peut-on rattacher les pratiques expérimentales contemporaines à ces mouvements d’avant-garde, en tenant compte de leur versant politique dans le contexte de la société multiculturelle/néo-libérale ? Cet axe peut également permettre d’interroger plus en détail des œuvres travaillant avec une dimension multimédia, à la croisée du texte et de la performance, voire entre les langues.
- L’importance du référent religieux
En lien avec ce contexte d'expérimentation formelle et d'engagement éthique, on remarque depuis une vingtaine d’années la présence accrue d’un référent religieux parmi certaines des pratiques poétiques les plus originales – et ce dans une perspective résolument non confessionnelle. Cette insistance, sans réel équivalent en France, peut surprendre au sein d’une aire géographique considérée comme faisant partie des plus sécularisées au monde. Est-il possible d’y voir une forme de continuité avec la tradition luthérienne du cantique, faisant du poème un objet investi de valeurs morales et éthiques relevant de rites et pratiques ancrées dans le collectif ? Le recours à un matériau biblique peut-il être vu comme porteur d’une dimension subversive dès lors qu’il s’intègre à un espace culturel ou linguistique qui tend de plus en plus à se considérer comme post-religieux ?
- Le rôle du sujet de l’énonciation dans le monde social
La crise du sujet est un des traits marquants du XXe siècle, avec pour conséquence, chez de nombreux auteurs, une dévaluation de toute forme d’écriture lyrique et autobiographique – des traits pourtant caractéristiques de l’histoire de la poésie. Existe-t-il malgré tout des pratiques qui, tout en prenant acte de cette remise en cause de l’énonciation personnelle, travaillent à la construction d’une poétique articulée à une figure auctoriale, de façon à « retourner le monde contre lui-même » [Å snu verden inn mot verden], ainsi que l’indique la citation de Tone Hødnebø prise pour titre de ce colloque ? Le « je » de l’énonciation peut-il permettre d’établir « une sorte d’identité expérimentale », comme l’écrit Gunnar Wærness, un « lieu de rencontres » des diverses voix qui traversent l’individu et pour lesquelles le poète peut faire figure de parangon ? Est-il possible de parler d’une persistance du sujet lyrique qui traverserait différentes formes poétiques – y compris du côté des pratiques a priori plus radicales ?
- Modes de production, de circulation et de réception
On assiste depuis le tournant du XXIe siècle à un développement des pratiques de publication indépendantes (que l’on pense à OEI et Chateau en Suède, H Press et Audiatur en Norvège, Basilisk et Forlaget Virkelig au Danemark, poesia en Finlande). Peut-on mesurer l’importance historique de ces pratiques éditoriales, qui cherchent à redéfinir la publication littéraire en opposant aux logiques de marché de l’édition commerciale une réévaluation expérimentale des critères définitoires de l’objet, livre ou revue ? Cet axe peut également donner l’occasion d’évoquer les réseaux de poètes et éditeurs pan-scandinaves mais aussi, en incluant la question de la traduction, les dispositifs de circulation à un niveau plus international.
Le colloque sera accompagné d’une manifestation littéraire consacrée à la poésie nordique contemporaine en présence d’auteurs scandinaves et finlandais.
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Date limite des propositions et consignes :
Les propositions de communication, d’une longueur maximale de 300 mots et accompagnées d’une notice bio-bibliographique, doivent être envoyées sous format word aux adresses ereymond@unistra.fr et harri.veivo@unicaen.fr le 15 septembre au plus tard.
Langues : Français et anglais.
Comité d’organisation : Harri Veivo (ERLIS, université de Caen Normandie), Emmanuel Reymond (MGNE, université de Strasbourg), Diane Chateau Alaberdina (MGNE, université de Strasbourg) et Caroline Bérenger (ERLIS, université de Caen Normandie)
Contact : ereymond@unistra.fr et harri.veivo@unicaen.fr
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“To turn the world against itself”: critical perspectives on
Nordic poetry (20th and 21st centuries)
Symposium at the University of Caen, March 6-7, 2025
accompanied by a literary event devoted to contemporary Nordic poetry
The vitality of Nordic poetry is quite evident today. Major figures such as Inger Christensen and Tomas Tranströmer have been translated all over the world and are among the latest icons of the genre. Others, such as Sjón, Jón Kalman Stefánsson, and the 2023 Nobel Prize winner Jon Fosse, may be known mostly as practitioners of other genres, but they are also, if not primarily, poets, this aspect of their work gradually benefiting from the success of their song lyrics, novels, and plays. The translation and reception of more confidential or experimental poetic practices, often linked to relational networks, confirms the impact of poets from the North in another way. Among many others, poets such as Ann Jäderlund, Cia Rinne, Jørn H. Sværen and Pia Tafdrup have enjoyed an international reputation lately within a specialised community of readers and writers. It seems, however, that the inscription of their writing within a Nordic historicity is only addressed in the vague mode of a geographical origin, and that critics struggle to see a wider constellation of practices, projects, references, traditions and networks behind these few names.
We would like to locate the symposium within this tension, considering Nordic poetry as a field shaped by collective dynamics, but also focusing on singular works in order to examine the contribution they make – not only within their respective fields but also in a wider context, related to specific modes of circulation and reception on a European or global scale, whose links with the Nordic field remain to be analysed.
To this end, we propose a reflection along five lines, between which there are possible intersections:
- The Nordic modernist tradition
In the course of the 20th century, there have been several periods of questioning and renewal within the Nordic poetry fields – sometimes synchronically, sometimes by way of one field influencing another –, which gave rise to canonical figures and shared aesthetical values across national borders. A family resemblance often seems to unite texts published in different languages, but does that make it possible to characterise Nordic modernist poetry in a systematic way? Insofar as we can speak of a tradition, what are the differences and points of contact with other continental or even transcontinental traditions? To what extent do contemporary poets continue to refer to this heritage?
- The impact of the avant-garde and the legacy of committed poetry
Can we speak of a Nordic specificity when it comes to the avant-garde movements structured around the 1960s by labels such as konkretism, nyenkelhet, systemdiktning or yhteiskunnallisuus? To what extent can contemporary experimental poetry be linked to these avant-garde movements, repurposing their political side in the context of a multicultural/neo-liberal society? This axis may also allow us to examine in detail works with a multimedia dimension, at the crossroads of text and performance, and even between languages.
- The importance of the religious material
In line with this context of formal experimentation and ethical commitment, we can notice over the last twenty years an increasing presence of religious images, motifs and vocabulary among some of the most original poetic practices – within a resolutely non-confessional perspective. This insistence, with no real equivalent in France, may come as a surprise in a geographical area considered among the most secularized ones in the world. Is it possible to see a form of continuity with the Lutheran tradition of the hymn, making the poem an object invested with moral and ethical values based on rites and practices rooted in the collective? Can the use of biblical material be seen as carrying a subversive dimension when integrated into a cultural or linguistic space that increasingly tends to see itself as post-religious?
- The role of the subject of enunciation in the social world
The crisis of the subject is one of the defining features of the twentieth century, resulting in a devaluation of some of the characteristic features of poetry conceived as a lyrical genre. Are there nonetheless practices which, while acknowledging this, experiment with performance and authorial figure, in order to “turn the world against itself” [Å snu verden inn mot verden], as in the quote by Tone Hødnebø used as the title of this symposium? Can the “I” of the poem make it possible to establish “a kind of experimental identity”, as Gunnar Wærness writes, a “meeting place” for the various voices that run through the individual, and for which the poet can serve as some kind of paragon? Is it possible to speak of a persistence of the lyrical subject that runs through different poetic forms – including the seemingly more radical ones?
- Modes of production, circulation, and reception
Since the turn of the 21st century, we have seen the development of independent publishing structures (such as OEI and Chateau in Sweden, H Press and Audiatur in Norway, Basilisk and Forlaget Virkelig in Denmark, poesia in Finland). Can we measure the historical importance of these publishing practices, which seek to redefine literary publication by opposing the market logic of commercial publishing with an experimental re-evaluation of the defining criteria of the object, book, journal and magazine? This theme may also provide an opportunity to look at the pan-Scandinavian networks of poets and publishers and, through including the issue of translation, the mechanisms of circulation at a more international level.
The symposium will be accompanied by a literary event devoted to contemporary Nordic poetry, with Scandinavian and Finnish authors in attendance.
Deadline for proposals and instructions:
Please send proposals for papers, maximum 300 words long and accompanied by a bio-bibliographical note in Word format, to ereymond@unistra.fr and harri.veivo@unicaen.fr by September 15 at the latest.
Languages: French and English
Organising committee: Harri Veivo (ERLIS, University of Caen Normandie), Emmanuel Reymond (MGNE, University of Strasbourg), Diane Chateau Alaberdina (MGNE, University of Strasbourg) and Caroline Bérenger (ERLIS, University of Caen Normandie).
Contact: ereymond@unistra.fr and harri.veivo@unicaen.fr.