Volume dirigé par Brahim Azaoui (Université de Montpellier) et Nicolas Guichon (Université Lumière Lyon 2)
L’humain n’a jamais cessé de se déplacer, son imaginaire nourri par des représentations ou la promesse d’un ailleurs prometteur ou enrichissant (Azaoui & Blanvillain, 2023). La mobilité s’est accélérée et amplifiée par les crises géopolitiques ou par la massification des moyens de transport à bas coûts (Rosa, 2010). Depuis peu, la mobilité a connu des évolutions profondes dans ses usages : quand elle n’est pas partagée ou verte, elle se réalise de manière virtuelle. Ainsi, installé sur son siège, l’étudiant Erasmus+ 2.0 peut voyager et vivre « une expérience européenne sans quitter sa salle de classe1 ». L’étudiant international est d’ailleurs devenu la figure de l’individu mobile et connecté (Guichon, 2020). Bien sûr, les outils connectés (téléphones, montres, tablettes) sont devenus des agents indispensables de nos déplacements et ils s’intègrent dans la texture même de nos vies mobiles en devenant des extensions de nos corps (Purkarthofer, 2019). Ainsi, à travers la personne du « migrant connecté », Diminescu et Loveluck (2014) se sont intéressés à la complexification sociale et temporelle de l’expérience des migrants induite par les outils numériques, en particulier le téléphone intelligent.
À la suite des chercheurs en géographie sociale, un « mobility turn » (Sheller & Urry, 2006) a été invoqué dans la recherche en sciences sociales, impliquant une conception renouvelée de ce que peut être la rencontre avec l’autre et de l’étonnement interculturel (Barbot, 2010). Ce changement de paradigme donne lieu à un nouvel imaginaire de la mobilité, si ce n’est à une mobilité imaginaire qui invite, d’une façon ou d’une autre, à repenser tout à la fois les motivations à l’apprentissage des langues ainsi que les modalités d’appropriation et d’enseignement, voire d’utilisation. En effet, si la mobilité construit les espaces traversés (de Certeau, 1990), elle a également une incidence à la fois sur la façon dont nous élaborons et interagissons avec/dans un nouvel environnement sémiotique. À un autre niveau, la mobilité impacte nos pratiques littéraciques multimodales (Canagarajah, 2017), c’est-à-dire la façon dont nous construisons et mettons en œuvre des ressources plurilingues et plurisémiotiques qu’Azaoui (2024) réunit dans un répertoire pantosémiotique. Aussi, nous proposons de parler d’une littératie mobilitaire multimodale, qui recouvre la capacité d’un individu à construire du sens tandis qu’il se meut (et s’émeut) dans un nouvel environnement, à interpréter celui-ci en prenant en compte les degrés d’étrangeté qu’il comporte, de sémiotiser les déplacements identitaires qu’il occasionne, et de mobiliser les ressources culturelles, numériques et langagières multimodales aux moments opportuns(Guichon et al, 2021).
Quelles que soient les formes et motivations de la mobilité, le numérique intervient, pour faciliter, augmenter ou gêner, et questionne le rapport des individus et des groupes aux environnements sémiotiques dans lesquels ils évoluent et qu’ils ont à interpréter et à produire.
Dans cette perspective, ce volume de Multimodalités rassemblera un ensemble de textes qui traitent de la question de la littératie mobilitaire multimodale. Dans l’esprit de ce volume, le terme « mobilité » sera entendu comme hyperonyme de tout phénomène de déplacement d’individus ou de groupes, virtuel ou physique. La mobilité sera comprise « comme un imaginaire articulant un rapport au temps, à l’espace [géographique et social], et la recherche d’une transformation existentielle » (Barrère & Matuccelli, 2005, p. 56). Elle pourra être envisagée à différentes échelles : migrations nationales ou transnationales, sorties dans la ville ou au musée (Ouellet et al, 2019). Elle considérera diverses formes de déplacement : de l’immobilité subie (le confinement dû à la pandémie), à la mobilité choisie (les études internationales) ou contrainte (la migration économique, politique, climatique, etc.). Le traitement des mobilités imaginaires et imaginées aura également toute sa place dans le volume pourvu que cela croise la question de la littératie multimodale, et plus largement de la multimodalité.
Dans le cadre de ce volume, les auteurs pourront prendre appui sur toute méthodologie propice à l’étude des mobilité(s) et de la littératie multimodale, quel que soit l’ancrage théorique ou épistémologique. Cela inclura potentiellement, sans pour autant s’y limiter : des captations de données multimodales et leurs représentations visuelles, des méthodologies mobiles (wearable cameras, walking interviews), ou encore des méthodologies utilisées pour étudier/rendre compte de la mobilité (questionnaires, entretiens, schématisation des déplacements, cf. map my walk…).
Cet appel se décline sur trois axes :
— Le premier axe s’intéressera à la littératie multimodale mobilisée et déployée lors d’expériences de mobilité, que ce soit une sortie au musée, la découverte d’un nouvel environnement ou lors d’une migration : quelle est la puissance potentiellement transformatrice de ces mobilités pour les individus ou les groupes d’individus, d’un point de vue identitaire, linguistique, politique, culturel, sémiotique et cognitif (Lalonde et al., 2016) ? Quel rôle les outils numériques jouent-ils dans ces mobilités et comment participent-ils au développement de nouvelles littératies multimodales (par ex. l’usage de traducteurs automatiques on the move) ? On pourra par exemple s’intéresser aux questions du paysage linguistique (Sabatier et al., 2013 ; Malinowski et al, 2021) ou sonore (Schafer, 2010), aux possibilités de la géolocalisation (Bedou & Hamel, 2021) ou de la cartographie (Guichon et al, 2021).
— Le deuxième axe sera consacré aux expériences de mobilité virtuelle et augmentée, par exemple avec les outils de réalité virtuelle. Quel est le potentiel de ces dispositifs pour explorer des lieux à distance, à travers des médiations technologiques, saisir et décrire les pratiques sociales et langagières dans toute leur densité et leur hétérogénéité ? La conjugaison de la mobilité et de la multimodalité permet-elle l’émergence de nouveaux questionnements et de nouvelles possibilités d’apprentissage, par exemple émotionnelles et sensorielles?
— Le troisième axe se penchera sur les questions de littératies translingues (Canagarajah, 2013) ou de répertoire pantosémiotique (Azaoui, 2024) en lien avec les mobilités. Il réunira des contributions qui considèrent que les diversités linguistique et sémiotique constituent un seul et même ensemble de ressources. Comment ce répertoire évolue-t-il au gré des mobilités et des nouvelles expériences translingues et sémiotiques ? Quel impact sur la façon dont l’individu parvient à faire sens dans ses interactions avec son environnement matériel et humain ? Dans quelle mesure les enseignants et formateurs accueillent-ils les littératies mobilitaires multimodales et les répertoires pantosémiotiques des individus pour les reconnaître (Kress, 2019) dans toute leur diversité et éventuellement enrichir l’enseignement-apprentissage ?
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Processus de soumission d’article
Les personnes intéressées par cette thématique sont invitées à faire parvenir à revuemultimodalites@gmail.com une proposition de contribution d’une longueur comprise entre 250 et 500 mots, auxquels s’ajoutera une courte bibliographie (env. 5-10 références).
Une fois la proposition acceptée, l’article final comportera entre 40 000 à 60 000 caractères, incluant les espaces (entre 10 à 20 pages, sans les références et sans les annexes). Il sera précédé d’un résumé en français et en anglais, ainsi que de 5 mots-clés dans les deux langues. Ces propositions longues feront l’objet d’une évaluation en double aveugle.
Consignes complètes pour soumettre un article: https://revuemultimodalites.com/soumettre-un-article
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Calendrier
Réception des résumés – 6 septembre 2024
Acceptation ou refus des résumés – fin septembre 2024
Réception des articles longs – novembre 2024
Publication prévue – novembre 2025.