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Le mélodramatique (revue Romantisme, 2025/02)

Le mélodramatique (revue Romantisme, 2025/02)

Publié le par Marc Escola (Source : Florence Fix)

Si nombre de mélodrames du début du xixe siècle sont des adaptations de romans, le mélodramatique « qui tient du mélodrame par l’outrance des sentiments et des attitudes » (TLF) reste un registre qui rythme la publication de romans sériels de la fin du siècle et est encore efficace dans leur devenir cinématographique (Les Deux Orphelines, La Porteuse de pain).

Ce numéro entend aborder les ressorts, les effets et les mécanismes mélodramatiques identifiables et codifiés, bien avant leur fortune à l’écran, dans des romans comme Les Mystères de Paris, Sans Famille, L’Histoire des Treize ou encore Les Mémoires du Diable, en excluant d’emblée de traiter du théâtre et des arts de la scène. C’est à un mélo « dans tous ses états » et « hors scène » que convie ce numéro de Romantisme, encourageant à relever sa présence dans d’autres textes de fiction et de non-fiction, comme dans la presse et l’écriture sensationnaliste du fait divers. On se propose ainsi de cartographier ses procédés poétiques : ses excès, son kitsch, son invraisemblance, ses effets sans cause, qui font dire à Sarcey à propos de la pièce Lazare le Pâtre (1840) que « chaque acte est une pièce entière, et une pièce très embrouillée ». Peut-on identifier par exemple dans le roman du xixe siècle, en France comme à l’étranger, chez Dickens ou chez Balzac, un mélodramatique romanesque embrouillé ? Les procédés de simplification, d’hyperbolisation, de sentimentalisation que mobilise le mélodramatique se trouvent être également des marqueurs relevés par la critique comme relevant du « romanesque ». « Mélodramatique » est-il l’autre nom du « romanesque sentimental » ou du « pathétique » dégradé ?

La sentimentalisation et le romanesque ont en effet aussi à voir avec le populaire et interrogent le (mauvais) goût, la stigmatisation éventuelle du registre, de son succès et de ses lecteurs (lectrices) ; son « mode de l’excès » est suspect de ne pas traiter des enjeux de société, de les noyer dans les sentiments, et d’être enclin à maintenir un conservatisme de valeurs et de construction de l’intrigue impropre à l’audace créative. Un relevé des sujets mélodramatiques dont les lecteurs se délectent (l’enfant, l’orphelin ou l’orpheline, l’animal vulnérable, la jeune fille, le vieillard) et des valeurs qu’ils engagent (loyauté, fidélité, respect de l’autorité) permettra également d’aborder les clichés mélodramatiques. La parodie et le pastiche questionnent le mélodramatique et participent à sa circulation d’autant que dans la critique esthétique, éthique et politique du mélodrame, on retrouve celle adressée au romantisme, quand ce n’est pas au xixe siècle français dans son ensemble, temps d’émotions fortes et de bouleversements impliquant un champ littéraire tout en outrance. S’il ne sera pas question de théâtre dans ce numéro, la permanence d’une gestuelle mélodramatique convoquée dans les illustrations des romans, couvertures, affiches, dans la publicité et les cartes postales nourrira une réflexion sur la culture visuelle mélodramatique et son efficacité.

« Dans tous ses états », mais aussi « dans tout le siècle », car le mélodramatique ne se borne pas au triomphe du mélodrame des années 1800 : son rejet ou son adoption, ses variations peuvent-ils constituer des marqueurs poétiques de l’histoire littéraire, avec, par exemple, une évolution du mélodramatique, du sentimental pastoral au sentimental social, du respect de l’autorité à la valorisation de contre-pouvoirs ?

On pourra ainsi envisager de façon non exhaustive :

- la circulation du registre mélodramatique hors du mélodrame : dans le roman, dans la presse (les faits-divers), dans l’iconographie…

- le mélodramatique et l’histoire : les effets mélodramatiques d’un Michelet (Le Peuple), la façon de construire un argumentaire par le biais de portraits engageant l’empathie invitent à interroger les liens entre mélodramatique et pathétique dans la conception du personnage et de l’événement historiques, autant que dans ses usages rhétoriques (usage du mélodramatique à la Chambre de députés par exemple).

- le mélodramatique et l’engagement : en conséquence le recours à la rhétorique des larmes pour convaincre, dénoncer (paupérisation des ouvriers, précarité des enfants, maltraitance des vieillards et des femmes notamment) permettront de penser le mélodramatique à l’aune d’un engagement politique dont on le croit parfois incapable ; Zola, Georges Darien, Louise Michel, Mme Séverine, Jules Vallès ne dédaignent pas, tant s’en faut, les représentations larmoyantes.

- la dimension du jeu mélodramatique (gestuelle opératique, jeu d’acteur, corps, voix, regard) a pu être déjà largement explorée, ainsi que ses emprunts à l’iconographie religieuse (les corps ployés de souffrance, les grands yeux tristes) ; elle pourra toutefois être intégrée à une réflexion portant notamment sur les éditions illustrées de romans, sur son usage dans la publicité ou dans l’illustration de récits de faits divers.

- les usages du mélodramatique dans la critique littéraire : le mélodrame où Margot a pleuré, dont Musset célèbre la pertinence dans Frédéric et Bernerette au regard de la poésie épique, pendant « que tous les pédants frappent leur tête creuse » est à lire aussi comme catégorie esthétique et marquage critique (vulgaire, populaire, facile, invraisemblable etc.).

- le mélodramatique parodié ou pastiché, ses usages et ses significations, y compris métapoétiques.

- les questions de genre : le mélodramatique suppose une victimisation extrême et une distribution très genrée des rôles (la mère, le digne vieillard) et des relations d’autorité, jusqu’à différentes formes de stigmatisation, d’emprise ou de domination. Il autorise aussi des travestissements et comportements contournant les assignations de genre ; ira-t-on jusqu’à considérer un mélodramatique queer ?

- la circulation et les voyages du mélodramatique : les traductions, influences, présences du mélodramatique en Europe et ailleurs au xixe siècle pourront être analysées ainsi que les liens avec la « romance » et les romans sentimentaux britanniques notamment.

Les propositions d’article (2700 caractères) accompagnées d’une brève présentation personnelle sont à envoyer à Florence Fix avant le 1er avril 2024 à l’adresse suivante florence.fix@univ-rouen.fr

En cas d’acceptation de la proposition, l’article sera à remettre le 15 novembre 2024 au plus tard.