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Marges, marginaux et marginalités (Doctorales Sorbonne Université)

Marges, marginaux et marginalités (Doctorales Sorbonne Université)

Publié le par Léo Mesguich (Source : Doctorales de l'ED 3 de Sorbonne Université)

Marges, marginaux et marginalités

Sorbonne Université - Doctorales de l'ED 3 - 9 mars 2024, amphithéâtre Michelet

Appel à communications pour la journée d’étude « Marges, marginaux et marginalités », organisée par les doctorant·es de l’école doctorale III de Sorbonne Université et destinée aux doctorant·es et jeunes docteur·es.

Date limite d’envoi des propositions de communication : 11 janvier 2024
Longueur des propositions de communication : 300 mots maximum, accompagnés d’une courte biobibliographie
Profil des intervenants : doctorant·es ou jeunes docteur·es
Réponse : 20 janvier
Date de la journée d’étude : 9 mars 2024
Durée des communications : 20 minutes
Adresse d’envoi : doctoralesed3@gmail.com

La journée d’étude aura lieu exclusivement en présentiel et en français. Les frais de déplacement et de séjour ne seront pas pris en charge.

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Envisager l’écriture de la marge revient toujours à interroger la norme par rapport à laquelle celle-ci est envisagée, la limite qu’elle entend franchir. Du latin margo,inis, « bord, bordure », la marge est dotée à la fois d’un sens géographique (décentrement, retrait, occupation d’espaces situés à la marge de l’espace social) et d’un sens sociologique (situation d’un individu s’écartant de la société et de ses règles) - elle peut être aussi bien subie que choisie. 

La représentation de la marge

Pour commencer, il s’agira d’interroger la manière dont la littérature thématise la marginalité. On pourra ainsi analyser la place réservée aux figures de marginaux (fous, parias, criminels, etc) au fil des siècles, et les genres qui les accueillent. Certaines communications pourront ainsi réfléchir à la façon dont les œuvres littéraires, en représentant espaces et figures marginales, permettent de retracer les évolutions historiques, ainsi que les invariants, de l’imaginaire de la marginalité. Ce que recouvre la notion de marge et de marginalité a en effet été en constante évolution et les marges d’hier ne sont pas les marges d’aujourd’hui.

Si l’on pense la marge comme l’expression d’une singularité face à une collectivité (normative), on peut toutefois se demander dans quelle mesure il n’est pas inhérent à la littérature de la représenter, soit par le biais de personnages marginaux ou d’espaces de la marge, soit par une écriture qui se veut expression de la marginalité. Si les personnages de  fous, de criminels, de prostituées et autres marginaux sont bien souvent cantonnés dans des genres jugés inférieurs (comédie, farce...) sous l’Ancien Régime, ceux-ci occupent une place de plus en plus importante à partir du XIXe siècle. Ainsi Balzac juge-t-il que « l’aplatissement, l’effacement de nos mœurs » croissants l’oblige à s’intéresser aux figures marginales pour rendre son esthétique saillante, puisqu’il n’y a plus «  de mœurs tranchées et de comique possible que chez les voleurs, chez les filles, et chez les forçats, il n’y a plus d’énergie que dans les êtres séparés de la société[i]. ». Ce qui est en marge excite de fait l’imagination car suscite le dépaysement, l’expérience de l’inconnu, la rencontre avec l’Autre.


L’écrivain à la marge

L’espace considéré comme marge peut désigner aussi bien un lieu intime, en retrait du monde (la chambre comme espace à soi ou l’imaginaire de la Thébaïde par exemple) qu’une hétérotopie au sens foucaldien (asiles, maisons de retraite, cimetières). On pourra donc interroger les conséquences d’une marginalisation spatiale sur l’écriture et la pratique de l’écrivain.e. Montaigne fait le choix de se retirer de la vie publique pour écrire ses Essais, dans le prolongement des exercices spirituels qui sont une conversion à soi. A l’opposé, des auteurs aussi divers qu’Ovide, Victor Hugo ou Mahmoud Darwich écrivent sur et depuis leur exil ; la prison joue également le rôle d’espace marginal qui met en tension la possibilité d’écrire (Olympe de Gouges, Casanova, Ossip Mandelstam[ii]). 

En ce qui concerne la marginalité sociale, la frontière entre ce qui est choisi ou subi est poreuse : certain.es écrivain.e.s jouent avec l’idée de marginalité à laquelle on les renvoie, qu’elle découle d’une stigmatisation sexuelle, raciale, professionnelle, de genre, ou de classe (Jean Genet, Maryse Condé, Grisélidis Réal).

Par ailleurs, la marginalité devient au XIXe siècle un ethos mobilisé fréquemment par les écrivains : les romantiques revendiquent un statut d’exception pour le poète, génie nécessairement à la marge de la société en ce qu’il pense, voit et sent le monde sur des modalités uniques, qui le distinguent de ses contemporains. Ainsi, certains entendent se couper de la société, pour rompre avec ses normes et s’émanciper de ses mœurs bourgeoises, occupant les marges de la bohème. Avec l’autonomisation du champ littéraire et l’avènement de la littérature moderne, la revendication de l’écrivain en marge devient une posture littéraire qui donne du crédit à l’oeuvre (Rousseau dans ses Rêveries, Flaubert comme “ermite de Croisset”, Giono en “ermite de Manosque”, etc)[iii]. 


L’écriture marginale

Si l’écriture de la marge renvoie à la représentation de la marginalité, elle peut être aussi l’écriture comme marge - on peut penser aux OVNI (Objets verbaux non identifiés) qui occupèrent le groupe des Questions Théoriques autour de Christophe Hanna - ou même aux écrits dans la marge : les marginalia, par exemple, ou le développement d’une pratique annexe à l’œuvre comme les journaux personnels ou les correspondances, qui peuvent être considérées comme marginales par rapport à la production principale d’un écrivain.

Enfin, on peut étudier l’écriture en marge à travers l’opposition entre les auteur.ice.s dit.e.s « classiques » et les minores, voire entre les œuvres d’un.e même écrivain.e. L’Institution (Académie, prix, programmes scolaires, programmes de concours, éditions grand public ou de niche, …) établit les critères de reconnaissance littéraire. 

L’histoire de la littérature moderne et des formes textuelles de cette époque est d’ailleurs un bon point d’observation de l’historicité de la marginalité : comme le rappelle Dominique Combe dans « L’œuvre moderne »[iv], les auteurs comme les formes qui sont au panthéon de la modernité littéraire, au point de nous apparaître aujourd’hui comme classiques et conventionnels, étaient souvent à la marge de leur époque. On pourra donc s’intéresser aux processus d’institutionnalisation et de normalisation de la marge. Inversement, certaines communications pourraient s'intéresser au « devenir-marginal » de certains auteurs canonisés de leur temps et poussés progressivement dans les marges de l'histoire littéraire.


Les propositions de communication pourront porter, sans s’y limiter, sur les axes suivants :

- écrivains et écrivaines de la marge

- les personnages marginaux

- les thèmes et l’imaginaire de la marginalité : folie, maladie, double, etc.

- les espaces marginaux

- l’écriture comme marginalité


Bibliographie indicative :

ALONSO HERNANDEZ José Luis et BLANQUAT, Josette, Culture et marginalités au XVIe siècle, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1973.

BAUDOIN Anne-Catherine et LATA Marion, Sacré canon. Autorité et marginalité en littérature, Paris, Éditions Rue d’Ulm, coll. « Actes de la recherche à l’ENS », 2022.

BOULOUMIÉ, Arlette (éd.), Figures du marginal dans la littérature française et francophone, Recherches sur l’imaginaire, n°29, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2003.

BRISSETTE Pascal et GLINOER Anthony (dir.), Bohème sans frontière, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2016.

COMPAGNON Antoine, Les Chiffonniers de Paris, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 2017

CRACIUNESCU Miruna, L’Inverti, l’hérétique et le pauvre diable. La Renaissance revisitée à travers ses marges, Hermann, 2022. 

FEUILLEBOIS-PIERUNEK Ève et BEN LAGHA Zaïneb (éd.), Étrangeté de l’autre, singularité du moi. Les figures du marginal dans les littératures, Paris, Classiques Garnier, 2015.

FOUCAULT Michel, Histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Galliamard, coll. « Tel », 1976 [1972].

FOUCAULT Michel, Le Corps utopique. Suivi de Les hétérotopies, Paris, Lignes, 2009.

GARRAIT-BOURRIER Anne, De la norme à la marge. Ecritures mineures et voix rebelles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010.

GOMEZ-MORIANA Antonio et POUPENEY, HART Catherine, Parole exclusive, parole exclue, parole trangressive, Longueuil, Le Préambule, 1990.

HANNA, Christophe, « “Les Questions Théoriques”  : une recherche des années 2000 », Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome X - n°1, 2021, URL : http://journals.openedition.org/hrc/5692 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hrc.5692

HELLER-ROAZEN Daniel, Langues obscures. L’art des voleurs et des poètes, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », 2017, trad. Paul Chemla.

HUGHES Edward, Writing marginality in modern French literature : from Loti to Genet, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

KALIFA Dominique, Les Bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, coll. « L'univers historique », 2013.

LE BRAS Laurence, Manuscrits de l’extrême, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2019.

MARCUS Greil Lipstick traces. Une histoire secrète du vingtième siècle, Paris, Allia, 1998, trad. Guillaume Godard.

MAINGUENEAU Dominique, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004. 

MAYER Hans, Les Marginaux. Femmes, juifs et homosexuels dans la littérature européenne, Paris, Albin Michel, coll. « Idées », 1994, Laurent Muhleisen, Maurice Jacob et Pierre Fanchini (trad.). 

POYET Thierry (dir.), Série Minores, La Revue des Lettres Modernes, Lettres Modernes Minard, quatre numéros parus.

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[i] Honoré de Balzac, Préface de Splendeurs et misères des courtisanes, dans La Comédie humaine, tome VI, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 425.
[ii] En 2019, la BnF a notamment proposé une exposition autour des “Manuscrits de l’extrême” et évoquait les écrits carcéraux. 
[iii] Voir à ce sujet les travaux de Jérôme Meizoz sur la notion de posture, notamment Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007 et également « Recherches sur la “posture” : Rousseau », Littérature, n°126, 2002, p. 3-17.
[iv] Dominique Combe, « L’œuvre moderne », Histoire de la France littéraire III. Modernités, XIXe-XXe siècle, Paris, PUF, 2006, p. 433-443.