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L'Inde des Mascareignes (La Réunion)

L'Inde des Mascareignes (La Réunion)

Publié le par Marc Escola (Source : Françoise Sylvos)

L’INDIANITE – MASCAREIGNES, INDIANOCEANIE - 7/8 NOVEMBRE 2025

OSOI, DIRE, LCF, ESAR, Université de Maurice, Université Houphouët-Boigny

ORGANISATION : coordinatrice Françoise SYLVOS, Vincent MUGNIER 

COMITE SCIENTIFIQUE : Carpanin Marimoutou,Vincent MUGNIER, Sachita SAMBOO, Françoise SYLVOS, Vilasnee Tampoe-Hautin

A la suite de cinq webinaires réalisés en partenariat avec la faculté Banaras Hindu et deux universités parisiennes1, dans la continuité du colloque de décembre 2024 « L’INDE DES OCCIDENTAUX » (9 et 10 décembre, FLSH et BDR), DIRE est la cheville ouvrière d’un colloque multipartite qui aura lieu au début de novembre 2025 à La Réunion, et en particulier à l’Université de la Réunion.

Ce colloque international et interdisciplinaire portera sur la Présence de l’Inde dans les Mascareignes et la zone Océan Indien (Arts et cultures) avec les collaborations d’Icare, du LCF, de l’ESAR et de l’Université Houphouët-Boigny. 

Le premier volet de ce programme consacré à « L’Inde des Occidentaux » portait sur les représentations et influences de l’Inde en Occident et au sein des diasporas de l’hémisphère Nord. A présent, proposons une délimitation géographique au deuxième volet de ce programme de recherches  sur les « visages de l’Inde » entamé en 2020 à l’Université de La Réunion. Cette fois, la prégnance de l’Inde est envisagée à partir de l’Océan indien, qui englobe les pays africains et asiatiques côtiers baignés par cet océan, l’Australie ainsi que les îles ou archipels de cette zone maritime. La situation géographique de l’Université de La Réunion et la prise en compte du contexte culturel local dans les orientations de la recherche à la Faculté des Lettres sont une invitation à s'interroger, à travers une perspective interdisciplinaire, sur la spécificité, mais aussi sur la présence de l’Inde dans les sociétés des Mascareignes et, plus largement, dans la zone Océan Indien. L’extension de l’aire géographique envisagée peut autoriser des comparaisons et des parallèles entre les différentes situations insulaires, entre les processus de créolisation en contexte colonial, post-colonial anglophone ou francophone. Bien des aspects demeurent encore peu explorés, notamment sur la présence de l’Inde dans l’œuvre de tel ou tel auteur de l’Océan Indien (Le Clézio, Boris Gamaleya, Carpanin Marimoutou, Judith Profil…) ; ces cultures venant de l’Inde ont été longtemps minorées, dévalorisées, ignorées, et l’accentuation des communautarismes entre dans une relation problématique avec la perception de l’indianocéanie comme melting-pot. Le thème du colloque se prête à une double problématisation : présence de l’Inde entre créolie harmonieuse et interrogations sur l’hégémonie ; créolisation des apports et purisme dans la dynamique des emprunts. Le sujet se prête tout particulièrement à la recherche-création en développement à La Réunion (BDR, Université, ESAR), avec une dimension civilisationnelle, linguistique, sociale, anthropologique, littéraire, historique, démographique, politique, identitaire qui engage une réflexion sur l’impact de l’enseignement des langues et de la valorisation patrimoniale et artistique des origines. 

PROJET DETAILLE

Lorsqu'on évoque les "visages de l'Inde" dans l'Océan Indien, il faut se garder de toute idée reçue, compte tenu de l'importance de ceux que l’on surnomme les "zarabes" ou musulmans originaires du Gujarat, Karanes, Indo Pakistanais de Madagascar entretenant des liens privilégiés, notamment commerciaux, avec La Réunion. De même, à Maurice, on est en présence d’un important brassage de populations comprenant des groupes issus du Nord de l’Inde et du Goujarat ne parlant pas, à l’origine, la même langue. Temples multicolores, privés ou communautaires – tels le Ganga Talao de Grand Bassin (Maurice), le temple tamoul réunionnais Narassingua Peroumal de Saint-Pierre (1860), élu troisième monument préféré des Français en 2020, les ashrams de La Réunion (Saint-Louis, et temple Pantialiée, 1905); statues et autels émaillant le paysage; apparence physique et vestimentaire des Réunionnais aux pieds nus, des Mauriciens aux tatouages traditionnels ou en sari; vie associative; cuisine indienne créolisée (samoussas ; massalé pois citrouille ; lédou); calendrier festif rythmé par le Dipavali, Raksha Bandhan (ou rakhi) et marches sur le feu en témoignent, on peut saluer la présence d'une importante population d'origine indienne dans Les Mascareignes, présence consécutive à l'engagisme. Après l'abolition de l'esclavage en 1848, entre 40000 et 60000 immigrés étaient arrivés, dans des conditions souvent déplorables dans les îles de l’Océan Indien en vue de poursuivre la culture de la canne à sucre. L'indianité imprègne les sociétés de l’archipel des Mascareignes – et, au-delà, l’Océan indien - , ses langues, ses mœurs, sa spiritualité. Les communautés "malbar" ou « zarab » insulaires sont riches de provenances, de coutumes et de religions diverses. Beaucoup de Réunionnais se disent tamouls et il peut être intéressant de se focaliser sur cet aspect avec, notamment, le narlgon ou bal tamoul, ou encore avec le karmon, carnaval tamoul, qui retient l'attention du chercheur, de par ses manifestations populaires et ses résonances mythologiques dans les arts. Du fait du contact entre les univers sur le point chaud de l'île magmatique et des îles soeurs, cette culture métissée permet de prendre conscience des parallèles et passages entre les histoires fondatrices du genre humain essaimées autour du globe2. 

 La remise en cause des idées reçues passe aussi par la prise de conscience de la créolisation des apports de l'Inde à la vie sociale de La Réunion et de sa zone; mais aussi des polémiques engendrées par cette idée même de créolisation3 (Glissant). Car, face à cette tendance à l’hybridité (Spivak), la résistance (Gramsci) est parfois de mise. Bien des créateurs, musiciens, danseurs, plasticiens voient leurs productions irriguées par les pratiques artistiques, iconographiques de l’Inde, par les rites et cérémonies religieux hindous4. Nombre d’entre eux prennent acte du sacré dans leur rapport à la nature, s'appuient sur les traditions d'offrandes, les conceptions élémentaires hindouistes, recréent des rituels qui intègrent des gestes de la religion originelle5. Face à l’accueil triomphal réservé à Mata Amritanandamayi, surnommée Amma, connue pour ses "darshan" et ses collectes de dons en faveur d’actions humanitaires, les parfums de l’Inde semblent l’encens du quotidien spirituel des Mascareignes6.  L'ascétisme, la sagesse d'un corps maîtrisé à l'extrême sont des tendances emblématiques de La Réunion. Les héritages ancestraux font l'objet d'une quête du retour aux traditions quand ils ne sont pas réinventés par la population de provenance indienne sur ces territoires insulaires. Plus largement, cette réflexion s'inclut dans la thématique des pratiques populaires et sacrées pratiquées dans des zones des contacts d'où émergent des expressions d'arts revisitées, bricolées, créolisées par des femmes et hommes du commun et artistes. Les sujets de recherches sur la présence de l’histoire, de la culture et des imaginaires hindouistes à La Réunion et dans l’Océan Indien semblent infinis. Pensons par exemple à la fascination éprouvée pour le mythe de Kundari Kandam, qui se superpose à ceux de la Lémurie et de l’Atlantide, dans un processus de stratification typique de ces sociétés de l’Océan Indien caractérisées par leur ouverture du fait des contacts de cultures. 

Axes de réflexion

Le sujet se prête aussi bien à une approche du type « recherche création » qu’à des travaux académiques dans des disciplines variées. Les axes de réflexion envisagés ici, non limitatifs et souvent intriqués, mettent en jeu différentes disciplines, information et communication, géographie humaine, littératures française, francophone, comparée, sciences du langage (études anglophones et créoles), histoire, anthropologie, sociologie, psychologie, sciences de l’éducation, musicologie, histoire des arts : 

I – Les représentations de l'Inde et des Hindous

Il serait pertinent d’évoquer les dangers de l’essentialisme [Spivak] et de la stéréotypie, les effets de miroirs, racialismes et racismes, l’histoire coloniale, décoloniale, le corps des Hindous, etc. Parmi ces représentations, on s’intéressera tout particulièrement à l’Inde des livres (manuels scolaires, bandes dessinées), aux représentations par des écrivains et des artistes, qu’il s’agisse d’écrivains francophones (Jean-Marie Le Clézio, Boris Gamaleya, Carpanin Marimoutou…), anglophones ou d’artistes de l’Océan indien (Gilbert Pounia, Maya Kamati, Sanjeeyann, Ananda Devi, Nathacha Appanah, Marie-Thérèse Humbert, Lindsey Collen, Priya Hein…), à la représentation de l’Inde sur les réseaux sociaux et dans la presse indianocéaniques, aux « malbars » vus par eux-mêmes, de façon dramatique, poétique (Carpanin Marimoutou) ou humoristique (Arun Kolatkar, Harendra, Moustache kreol, Titi le Komik… ). 

II – Langues de l’Inde et contacts de langues dans l’Indianocéanie.

Qu’en est-il des langues mortes ? Quelles places occupent l’hindi, le tamoul, le bhojpuri, le télougou, le gujarati, le marathi, l’ourdou ? Ces langues ont-elles leur place dans le(s) créole(s) et si oui, laquelle ? Y a-t-il des contacts, des tensions, des hiérarchies entre les différents locuteurs et différentes langues ? Qu’en est-il de l’enseignement et de l’apprentissage de ces langues dans les Mascareignes et l’Océan Indien, de leur présence dans la vie quotidienne ? Quelles fonctions et valeurs symboliques attacher à certaines inscriptions, comment participent-elles de la sémiologie des aires culturelles concernées ? A ce titre, une perspective comparative entre différents pays pourrait être éclairante. Dans la vie quotidienne, les arts, la littérature, ces langues sont-elles hégémoniques, entrent-elles en relation avec celles du colonisateur et si oui, de quel type de relation s’agit-il (voir par exemple le statut de la langue anglaise et du marathi dans l’œuvre du poète indien Arun Kolatkar) ? 

III - Les intertextualités et interactions spirituelles avec l'Inde (traductions, textes sacrés, réécritures).

Il s’agira de prendre en compte le rôle de la traduction et de la traductologie dans la diffusion des textes littéraires, écrits dans des langues indiennes (par des auteurs indiens et/ou indianocéaniques tels que Rabindranath Tagore, Thiruvalluvar, Abhimanyu Unnuth…), autant de puits de savoirs sur l’indianité et l’Indianocéanie. On s’attachera au rôle de la traduction dans la diffusion des textes sacrés de l’hindouisme – voir par exemple les traductions du philologue et orientaliste allemand, Max Müller, des Vedas du sanskrit en anglais. Cet aspect du colloque convoque plus largement la question des savoirs de et sur l’Inde et de leur transmission dans les Mascareignes. 

En littérature, la trame des grands mythes est présente à l’arrière-plan de nombreux ouvrages publiés dans les Mascareignes (Voir dans l’œuvre d’Ananda Devi les présences de Sita, de Draupadi, d’Yashoda). On va jusqu’à parler d’une littérature indo-mauricienne ou de coolie romances. L’histoire et la réalité sociale sont aussi des trames essentielles pour les fictions. 

Enfin, il on pourra s’interroger sur la place des grands genres et formes littéraires et artistiques de l’Inde dans les littératures et cultures de l’Océan Indien, notamment au théâtre et dans les arts de la scène.  

IV –– Quelle est l’imprégnation des mœurs de l'Inde dans la culture des Mascareignes et de l'Océan Indien ?

On pense par exemple au régime végétarien, à la métempsycose, au respect/au sacrifice des animaux, au sentiment des castes, aux fêtes, telles que le pongal...). Vie associative ; réseaux commerciaux, politiques ; familles, castes, lobbys ; quartiers ; communautés religieuses : qu’en est-il des communautés garantes de la tradition et quels sont les relais de la transmission ?

VII – L’Inde entre cultures et théories : des traits spécifiques à l’Indianocéanie ?

L’influence de l’Orient étant sensible en Occident (yoga, ayurveda, mandalas…), quelle est la place spécifique de l’Inde dans l’hémisphère Sud ? Faut-il parler de créolisation, d’acculturation, de négociation entre les cultures ou de retour aux sources (purisme) ? 

Sur un plan plus théorique, quelles variables les études créoles du monde indianocéanique ont-elles introduit par comparaison avec les études créoles relatives à l’hémisphère Nord ? 

VIII – Unité ou division ?

Peut-on parler, dans une perspective caractéristique des sociétés issues de mouvements diasporiques, d’une intégration dans une perspective unitaire ou de divisions ? d’une tentative hégémonique, notamment à Maurice, surnommée la « petite Inde » ou au Sri Lanka ? d’un rejet ? La langue créole, évitant le choix entre langue originelle et langue véhiculaire adoptée, serait-elle la réponse face aux conflits potentiels créés par la diversité ethnique et linguistique ? 

IX – Recherche-création

Qu’apporte la connaissance de l’histoire, de la mythologie, du pays lui-même ; en quoi le patrimoine matériel et immatériel (documents texte ou image, objets, costumes, édifices et les expériences et souvenirs familiaux) est-il propice à la création actuelle ? Cette « indianitude » ou « malbaritude » (sic) fait-elle l’objet d’une (ré-)appropriation par les populations de l’Océan indien et en particulier par les artistes, individualités de premier plan dans les sociétés de l’Océan Indien ?

ANNEXES

1 - Programme du colloque "L'Inde des occidentaux"

https://india.sciencesconf.org/

2 - Liste des webinaires sur "L'Inde romantique" (2020-2023)

29 octobre 2020 - Françoise Sylvos, « L’Inde romantique de Nerval et de Théophile Gautier », Webinaire « L’Inde dans la littérature mondiale », Manish Ranjan dir. Université Banasthali.

6 Avril 221 - Premier webinaire « L’Inde romantique », Françoise Sylvos et Vincent Mugnier dir., Université de La Réunion, DIRE.

28 janvier 2022 - Deuxième webinaire « L’Inde romantique », Françoise Sylvos et Vincent Mugnier dir., Université de La Réunion, DIRE. 

8 avril 2022 – Troisième webinaire « L’Inde romantique », Françoise Sylvos et Vincent Mugnier dir., Université de La Réunion, DIRE. 

24 mars 2023 – Quatrième webinaire « Nerval et l’Inde », Nicolas Illouz, Eleonore Roy-Reverzy, Didier Philippot dir., Université Paris III. 

3 - NOTES  de l'APPEL

2 Ainsi de la noyade de Laadi, étape fondamentale du Karmon, qui resurgit dans la mythologie personnelle de la poétesse et chanteuse Kaloune, nouvelle Ophélie de l'Océan Indien (https://www.youtube.com/watch?v=6Lq5Rcc9UUU). 
3 C'est ainsi que, dans une interview diffusée sur le site internet Inde Réunion, Logombal Souprayen Caveri, danseuse réunionnaise de Baratanatyam et maître de conférences en linguistique à l'Inspe de La Réunion, déclare préférer l'exploration de cette danse dans son authenticité à toute autre osmose (https://www.indereunion.net/actu/logambal/interloga.htm).
4 Ainsi de Gilbert Pounia (Ziskakan), qui intègre des instruments traditionnels indiens - sarod, chenai, flûte - à son album Rimayer, enregistré à Bombay (RFI musique, 2002, https://musique.rfi.fr/musique/20020529-racines-ziskakan)
5 Citons les plasticien.ne.s Mohana Pajaniaye, Sanjeeyam Paléatchy, Raynald Alaguiry. 
6 https://fr.embracingtheworld.org/food/.

Merci d'envoyer vos propositions d'ici le 10 septembre 2025 à francoise.sylvos@univ-reunion.fr et à vincent.mugnier@univ-reunion.fr