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Appels à contributions
Stendhal géographe (Revue Stendhal, n° 7)

Stendhal géographe (Revue Stendhal, n° 7)

Publié le par Marc Escola (Source : Yvon Le Scanff)

Revue Stendhal n°7, automne 2026

 « Stendhal géographe »

Appel à contributions

Dates d’échéance : 

propositions : octobre 2025

remise des articles : avril 2026

Au moment où Stendhal commence sa formation intellectuelle, au tout début du XIXe siècle, la géographie est encore très généralement celle du XVIIIe. À la différence de la « géologie », voire de la « géographie physique » une géographie « uniquement descriptive[1] » qui inventorie les choses du monde, d’un monde, de son monde (cartes, listes, catalogues). Science mondaine voire de salon, elle joint ainsi l’utile à l’agréable dans une grande liberté de formes que lui permet sa nature mixte et composite, où le dénombrement des faits et leur mémoire prennent le pas sur l’expression logique de rapports et l’établissement d’une chaîne explicative. Comme le dit l’auteur de La Géographie moderne : « Ce qui [...] intéresse [les amateurs non cartographes], c’est de connaître les mœurs, les coutumes, la religion, et les bornes de chaque État ; en combien de provinces ou de gouvernements chacun d’eux est divisé ; le cours des principales rivières ; le nom des villes les plus remarquables, et leur situation les unes par rapport aux autres ; les grands hommes que ces provinces ou villes ont produits ; les diverses révolutions auxquelles ces pays ont été exposés ; leur état actuel, et ce qu’ils renferment de curieux tant pour ce qui concerne l’histoire politique que l’histoire[2] ».

De cette sorte de chorographie traditionnelle, très logiquement découle l’étude des tempéraments, des mœurs ; en somme ce qu’on appelle alors la « géographie politique » qui se présente comme une forme de propédeutique bien commode à l’étude de l’Histoire : « GÉOGRAPHIE. s. f. Science qui enseigne la position de toutes les régions de la terre, les unes à l’égard des autres, et par rapport au ciel, avec la description de ce qu’elles contiennent de principal. La Géographie est nécessaire pour bien savoir l’Histoire. Cartes de Géographie[3]. »

 Et l’Histoire est bien aussi au tout premier plan pour Stendhal au sens où elle serait une « morale en action[4] » pour citer une expression de l’époque. C’est bien en ce sens que le sentiment géographique de Beyle se lie à l’analyse des mœurs, non plus en un sens philosophique, abstrait et universel, mais comme appréhension sensible de l’élément caractéristique d’un peuple, à savoir comme réalisation particulière de l’humanité de l’homme et comme possibilité de vie. Ce sera le cas pour le voyage en Italie de 1811 : « Nous allons en Italie pour étudier le caractère italien, connaître les hommes de cette nation en particulier, et, par occasion, compléter, étendre, vérifier, etc., ce que nous croyons connaître de l’homme en général[5] » ; ce que l’on retrouve aussi chez un autre précurseur de la « science géographique », Conrad Malte-Brun[6], dont la revue Les Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire devait accompagner la naissance de la « véritable Géographie »[7] dans la solidarité affichée de l’Histoire, de la Géographie[8], et de l’expérience viatique, qui en est le révélateur, en même temps qu’un Précis de géographie universelle ou description de toutes les parties du monde (1810-1829) entreprend de formaliser ces savoirs.

Stendhal, quant à lui, semble ainsi lier la physionomie à ce que Montesquieu nommait l’esprit : « Plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois, les maximes du gouvernement, les exemples des choses passées, les mœurs, les manières ; d’où il se forme un esprit général qui en résulte[9]. » Pour Montesquieu[10], et à sa suite Mme de Staël[11] et le groupe de Coppet[12], mais aussi le jeune Stendhal[13], c’est l’idée de climat, pris en un sens très extensif, quasi culturel, qui est un des facteurs les plus évidents de la caractérisation géographique – et même du caractère en un sens physiologique[14] : elle se comprend dans le cadre d’une distinction générale entre Nord et Midi. On sait combien cette polarisation géographique a aimanté et magnétisé en profondeur l’œuvre stendhalienne comme celle de bien des écrivains de son époque. Mais Stendhal apporte à cette dichotomie de nombreuses nuances qui confinent parfois à une forme de pensée du paradoxe. La géographie de la France du touriste stendhalien est certes ainsi appréhendée selon ces balancements dialectiques[15] mais elle est aussi intimement marquée par le différend que lui impose ce qui est moins un état qu’un vecteur de différenciation quasi indéfinie[16]. C’est aussi le mythe de l’italianité[17] ou du Nord[18] qui se crée ainsi au croisement de l’idéal, de l’imaginaire et de la perception sensible.

Il s’agit donc d’envisager, d’un point de vue d’ordre épistémocritique, comment Stendhal développe un savoir géographique original et peut-être inédit au sein d’une œuvre proprement littéraire. Plusieurs directions pourraient ainsi être privilégiées autour de l’idée d’un « Stendhal géographe » :

- Le contexte : Quelles sont les sources de l’innutrition et de la documentation stendhaliennes ? Par exemple, et pour ne parler que de la France, d’où lui vient sa connaissance si précise des différents « montagnes de France » et du « sol de la France » (Stendhal, Voyages en France, textes établis, présentés et annotés par V. Del Litto, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 59-60) ? Quel est son utilisation des « observations ingénieuses » d’Adrien de Gasparin sur le climat ? (ibid., p. 61), ou de celles du Docteur Edwards sur les races (ibid., p. 94-97, 299-301, 336, 533 et passim). Comment marque-t-il sa différence avec Arthur Young et ses Voyages en France (traduction française en 1794) qu’il évoque dans son Journal intime (31 mars 1810).

- L’écriture : comment, par une logique du mixte, Stendhal s’inscrit-il dans ce contexte et développe des perspectives de constitution d’un savoir géographique au croisement de différents savoirs, de différentes pratiques ? par exemple, entre la physiologie humaine et la physionomie géographique, la géographie physique et la géographie politique etc. C’est ainsi par exemple que Jean Prévost évoque les Mémoires d’un touriste : « Livre de géographie humaine, de sociologie, d’économie politique, d’histoire et d’archéologie, […] ce livre a un trait qui frappe plus encore : c’est le livre d’un urbaniste[19]. » On y découvre en effet un écrivain aux préoccupations souvent très concrètes quant à l’amélioration et l’aménagement de l’environnement, mais aussi un auteur opiniâtre à dénoncer l’uniformisation des paysages, la destruction des terroirs et la perte de leur physionomie caractéristique. Si le récit de voyage paraît devoir constituer un corpus privilégié, il peut être intéressant de montrer comment et combien les discours romanesques ou autobiographiques utilisent ou transforment la description géographique.

Les propositions d’article (d’une longueur de 1000 signes maximum), sont à envoyer conjointement aux coordinateurs du dossier le 31 octobre 2025 au plus tard :

- Alain Guyot: alain.guyot@univ-lorraine.fr

- Yvon Le Scanff : yvonlescanff@gmail.com

- Laure Lévêque : laure.leveque@univ-tln.fr

 Les propositions devront être envoyées en octobre 2025 pour être examinées par le conseil de rédaction de la Revue Stendhal

-       Site de l’éditeur : https://psn.sorbonne-nouvelle.fr/publications/revues

-       Site de la revue : https://journals.openedition.org/stendhal/

Après acceptation des propositions, les articles (35 000 espaces-signes au maximum) devront ensuite être rendus en avril 2026, pour une publication à l’automne suivant dans la Revue Stendhal (numéro 7).

[1] Paule Petitier, La Géographie de Michelet, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 9.
[2] Abbé L. A. Nicolle de La Croix, La Géographie moderne, Londres, Dodsley, 1777, p. XI, cité dans F. Labourie, D. Nordman, « Introduction » à L’École normale de l’An III, Vol.2, Leçons d’histoire, de géographie, d’économie politique : Volney, Buache de La Neuville, Mentelle, Vandermonde [en ligne], Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1994. Disponible sur : https://books.openedition.org/editionsulm/581
[3] Dictionnaire de l’Académie française, Paris, 1798.
[4] « Sur l’histoire » (anonyme), Le Journal des débats, 9 juillet 1804, cité par Victor Del Litto, La Vie intellectuelle de Stendhal, Paris, Puf, 1959, p. 187.
[5] Stendhal, Journal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 9 mars 1811, p. 657.
[6] Qui peut être crédité d’être, en France, le « champion d’une disciplinarisation géographique ». Laura Péaud, « Relire la géographie de Conrad Malte-Brun », Annales de géographie, n° 701, 2015/1, p. 99-122-ici p. 101.
[7] Conrad Malte-Brun, « Discours préliminaire », Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire, Tome premier, Paris, Chez Buisson, p. 5. La revue paraît de 1807 à 1814 sous un titre complet qui atteste bien du caractère phénoménologique qui s’attache à la nouvelle discipline : Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire ; ou Collection des Voyages nouveaux les plus estimés, traduits de toutes les Langues Européennes ; des Relations originales, inédites, communiquées par des Voyageurs Rrançais et Étrangers ; et des Mémoires Historiques sur l’Origine, la Langue, les Mœurs et les Arts des Peuples, ainsi que sur le Climat, les Productions et le Commerce des Pays jusqu’ici peu ou mal connus. À partir de 1819, la revue renaît sous les espèces des Nouvelles Annales des Voyages, de la Géographie et de l’Histoire.
[8] « Cette image raccourcie du Monde, c’est la véritable Géographie. Elle ne diffère de l’Histoire que parce que l’une se règle sur le Temps et l’autre sur l’Espace », ibid., p. 5 comme le réaffirmera Michelet, en 1833, dans son Tableau de la France : géographie physique, politique et morale de la France.
[9] Montesquieu, De l’esprit des lois, [1748], Paris, Gallimard, « Folio-essais », t. I, Livre XIX, p. 567. Voir également Michel Crouzet, « Stendhal et l’idée de nation », HB, revue internationale d’études stendhaliennes, n°19, 2015, p. 205-245.
[10] Voir Montesquieu, op. cit., Livre XIV : « Des lois dans le rapport qu’elles ont avec la nature du climat ».
[11] Germaine de Staël, De la littérature, 1800.
[12] Charles-Victor de Bonstetten, L’Homme du Midi et l’Homme du Nord, ou L’Influence du climat, Genève et Paris, Paschoud, 1824.
[13] Sur cette question, qui confine au lieu commun, Beyle suit certes Montesquieu mais aussi Du Bos, Buffon et Cabanis qu’il a bien lus en ce sens : voir Victor del Litto, op.cit., p. 271 ; Yves Ansel, « Météreologie romanesque », L’Année stendhalienne, n°2, 2003, p. 245-268 ; et pour une synthèse Jasmin Lemke, « La réception de la théorie des climats en France : la recherche de l’identité française entre le nord et le sud », dans Kajsa Andersson (dir.), L’Image du Nord chez Stendhal et les romantiques, Presses universitaires d’Örebro, 2006, t. III, p.300-301 (sur Stendhal).
[14] Voir par exemple Histoire de la peinture en Italie, Livre V, chap. C : « Influence des climats » ou De l’Amour (début du Livre II : « Des nations par rapport à l’amour »).
[15] Voir Yvon Le Scanff, « L’origine littéraire d’un concept géographique : l’image de la France duelle », Revue d’histoire des sciences humaines n°5 – « La littérature, laboratoire des sciences humaines ? », 2001, p.61-93. Disponible sur :

http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RHSH&ID_NUMPUBLIE=RHSH_005&ID_ARTICLE=RHSH_005_0061
[16] Voir id., « Stendhal, Michelet et la France : le lisse et le strié », HB, revue internationale d’études stendhaliennes, n°19, 2015, p. 271-282.
[17] Voir Michel Crouzet, Stendhal et l’italianité. Essai de mythologie romantique, Paris, José Corti, 1982.
[18] Voir Philippe Berthier, « L’orange d’Islande : Stendhal et le mythe du Nord », dans Espaces stendhaliens, Paris, Puf, 1997, p. 131-166 et Michel Crouzet, « Le mythe du Nord ? », dans Kajsa Andersson (dir.), op. cit., t. I, p. 16-29.
[19] Jean Prévost, La Création chez Stendhal [1951], Paris, Gallimard, « Idées Gallimard », 1974, p. 419.