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Le geste chez Jean-Philippe Toussaint (Naples)

Le geste chez Jean-Philippe Toussaint (Naples)

Publié le par Marc Escola (Source : Christophe Meurée)

« Le geste chez Jean-Philippe Toussaint »

Colloque international coorganisé par Maria Giovanna Petrillo, Margareth Amatulli et Christophe Meurée

Naples, Université Parthénope, 10-11 octobre 2024

 

Éteindre la télévision ; sortir de la salle de bain ; pénétrer par effraction dans une villa déserte ; piquer une olive de la pointe de la fourchette ; lancer une fléchette sur le front d’une femme ; verser de l’acide sur une fleur ; s’élancer sur la glace d’une patinoire ; tirer aux boules pour remporter un concours ; asséner un coup de boule à l’adversaire ; fuir ; faire l’amour ; entrer dans l’atelier ; prendre des photos sans regarder l’objectif ; déplacer une pièce sur l’échiquier ; écrire. Le geste, qu’il soit esquissé par le personnage ou par l’auteur lui-même, occupe une place centrale dans l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint.

Multimodale et foisonnante, cette œuvre ne présente pas seulement des gestes marquants entre lesquels se tisse une narration exigeante, elle donne à voir son propre geste de création et tend toujours davantage vers une autoréflexivité qui constitue un autre type de geste : « La production de l’œuvre est aussi son analyse, les gestes sont indissociables » (Claire Olivier). C’est donc à ces trois volets complémentaires (et sans doute indissociables) du travail de Jean-Philippe Toussaint que ce colloque va se confronter.

Le geste est à entendre d’abord comme un usage du corps, parfois associé à un instrument technique (Agamben, Flusser, Guérin, Stiegler), susceptible de révéler une intention ou un état d’esprit ; il est donc à penser comme un facteur d’expressivité. Sa valeur performative l’inscrit dans « le présent de l’agir » ; le geste est un « acte tissé dans le plein du réel » et constitue toujours un événement (Ricœur). Cet événement se donne souvent, dans l’œuvre de Toussaint, comme une façon de se réinscrire dans la présence du présent (pensons à Made in China ou à L’Échiquier, par exemple). « Le sens du geste […] se confond avec la structure du monde que le geste dessine » (Merleau-Ponty). S’il est un moment isolé dans le temps, le geste littéraire est décomposé et rendu à sa fraîcheur d’événement, et ce même lorsqu’il est dilué dans l’itération du quotidien : « Je revois très bien le geste que j’ai accompli alors, un geste très simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s’allonge et qui appuie sur le bouton, l’image qui implose et disparaît de l’écran » (La Télévision).

Le geste constitue le plus souvent un point d’orgue des récits et peut-être plus encore lorsqu’il défie l’explication rationnelle ou logique. Sa valeur narrative, au sein d’une œuvre que l’on a longtemps qualifiée de minimaliste avant que l’auteur lui-même ne la requalifie en infinitésimaliste, est considérable, tant il concentre par moments toute la tension narrative (Baroni), à l’image du geste toujours reporté du jet d’acide dans Faire l’amour. Au geste correspond aussi l’immobilité, cultivée par les narrateurs toussanctiens et par Toussaint lui-même, car le geste est toujours déjà commencé et commençant, dans cette « ambiguïté inchoative-fréquentative », cette « finalité sans fin incarnée », que repère Guérin. L’absence de geste renvoie à la patience du joueur d’échecs autant que son exécution peut répondre à un sentiment d’urgence, comme les photographies prises à la hâte par le narrateur de L’Appareil-photo ou le coup de boule dans La Mélancolie de Zidane.

Au fil de ses œuvres, à quelque champ esthétique qu’elles appartiennent, Toussaint n’interroge pas seulement la portée phénoménologique du geste, il cherche également à en capter la portée ontologique, dans la mesure où le geste s’avère potentiellement « changement de lieu ontologique » (Flusser). « Tout geste est ensemble foncièrement physique et éminemment métaphysique » (Guérin). Chez Toussaint, le geste est pensé comme intensément « symbolique, intime et personnel » (L’Échiquier). Son exercice procède d’une tentative d’entrer en harmonie avec la réalité, d’orchestrer « la fusion de l’œil et de la main, du geste et du monde », à l’instar de Marie au sein de la tétralogie M.M.M.M. (Nue). Indissociable de la pratique artistique, le geste toussanctien est empreint de sensualité, qui semble aussi bien convenir aux peintres qu’aux écrivains, à l’instar du jugement de l’auteur de La Salle de bain sur Nabokov :

« C’est la souplesse, la ductilité de son trait de plume, c’est la précision de sa touche, pour souligner un détail, faire vivre un reflet de lumière sur le velouté d’une épaule, chatoyer une couleur, briller un rayon de soleil sur le pare-brise d’une voiture ou dans les lunettes d’un personnage, dans lequel on aperçoit soudain, en reflet, avec un frisson d’incrédulité, la tête chauve de l’auteur – qui vous fait un clin d’œil. » (L’Échiquier). 

L’écrivain, le peintre, le photographe, l’artiste use du geste pour entrer en communication avec l’autre autant qu’avec le monde. Comme le signale Merleau-Ponty, le geste induit la nécessité d’une compréhension réciproque entre les êtres : « Le geste dont je suis le témoin désigne en pointillé un objet intentionnel. Cet objet devient actuel et il est pleinement compris lorsque les pouvoirs de mon corps s’ajustent à lui et le recouvrent » (Phénoménologie de la perception). En ce sens, l’écriture, « entre tous le geste noble » et « le plus mental de tous nos gestes » (Guérin), crée une forme de dissidence vis-à-vis du monde, sur laquelle Toussaint ne cesse de revenir, qu’il convient d’interroger. En tant que créateur, l’écrivain belge demeure cependant soucieux de maintenir « le fil ténu qui [le] relie encore au monde » (Football) et à l’autre.

Les contributions pourront se pencher sur toutes les œuvres de Toussaint : les livres, le cinéma, les photographies, les installations et les entreprises muséales. Tous les champs théoriques (sociologie, anthropologie, philosophie, psychanalyse, linguistique, etc.) pourront également être mobilisés, afin de couvrir les axes de réflexion suivants :

·       Le quotidien et l’événement

·       Le toucher et la sensualité

·       L’urgence et la patience

·       La temporalité du geste

·       Le lien de la main au regard

·       Le rapport aux autres artistes (cinéastes, peintres et écrivains)

·       Le geste et l’instrument

·       La pratique du montage

·       Le rapport à la photographie, au dessin et au cinéma

·       La posture auctoriale

·       L’exposition des archives

·       L’environnement matériel de l’écrivain (le bureau, l’ordinateur, etc.)

Les propositions de communication (maximum 1000 caractères ou 150 mots) sont à adresser conjointement à Margareth Amatulli (margherita.amatulli@uniurb.it), à Maria Giovanna Petrillo (magi.petrillo@uniparthenope.it) et à Christophe Meurée (christophe.meuree@aml-cfwb.be) pour le lundi 26 février 2024 au plus tard (une réponse sera fournie dans les six semaines qui suivent).

Les frais de voyage et de séjour seront à la charge des participants.

Comité scientifique :

Arcana Albright (Albright College, PA), Margareth Amatulli (Université Carlo Bo d’Urbino), Bruno Blanckeman (THALIM, Université Sorbonne nouvelle), Laurent Demoulin (Université de Liège), Chiara Elefante (Université de Bologne), Christophe Meurée (Archives & Musée de la Littérature, Bruxelles), Maria Giovanna Petrillo (Université Parthénope de Naples), Isabelle Roussel-Gillet (Université d’Artois), Marta Sábado Novau (UCLouvain), Valeria Sperti (Université Federico II de Naples), Maxime Thiry (UCLouvain).

Bibliographie indicative

Pistes théoriques

Giorgio Agamben, « Notes sur le geste », Moyens sans fins, Paris, Payot & Rivages, « Petite Bibliothèque », 2002, pp. 59-71.

Giorgio Agamben, « L’auteur comme geste », Profanations, Paris, Payot & Rivages, « Petite Bibliothèque », 2006, pp. 77-93.

Giorgio Agamben, L’Usage des corps : Homo sacer, IV, 2, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 2015.

Giorgio Agamben, Karman, court traité sur l’action, la faute et le geste, Paris, Seuil, 2018.

Ruth Amossy, La Présentation de soi : ethos et identité verbale, Paris, PUF, « L’interrogation philosophique », 2010.

John Langshaw Austin, Quand dire, c’est faire : How to Do Things With Words [1962], trad. Gilles Lane, Paris, Seuil, « Points essais », 1970.

Raphaël Baroni, La Tension narrative : suspense, curiosité et surprise, Paris, Seuil, « Poétique », 2007.

Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, La Découverte, 2015.

Yves Citton, Gestes d’humanité : anthropologie sauvage de nos expériences esthétiques, Paris, Armand Colin, 2012.

Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, Paris, Minuit, « Critique », 1983.

Gilles Deleuze, L’Image-temps, Paris, Minuit, « Critique », 1985.

Georges Didi-Huberman, Aperçues, Paris, Minuit, 2018.

Vilém Flusser, Les Gestes, Paris, HC – D’arts, 1999.

Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne [1923], trad. Samuel Jankélévitch, Paris, Payot, « Petite bibliothèque », 2001.

Marie Glon et Isabelle Launay, Histoires de gestes, Arles, Actes Sud, 2012.

Michel Guérin, Philosophie du geste [1995], Arles, Actes Sud, 2011.

Michel Guérin, La Troisième Main : des techniques matérielles aux technologies intellectuelles, Arles, Actes Sud, 2021.

Tim Ingold, Making: Anthropology, Archaeology, Art and Architecture, Milton Park, Routledge, 2013.

Marcel Jousse, L’Anthropologie du geste [1969], Paris, Gallimard, 2021.

Jérôme Meizoz, Postures littéraires : mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, 2007.

Jérôme Meizoz, La Littérature « en personne » : scène médiatique et formes d’incarnation, Genève, Slatkine, 2016.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, « Tel », 1945.

Stéphanie Péraud-Puigségur, Geste, figures et écritures de maîtres ignorants : Platon, Montaigne, Rancière, Paris, Lambert Lucas, 2022.

Anne Reverseau, Jessica Desclaux, Marcela Scibiorska et al., Murs d’images d’écrivains : dispositifs et gestes iconographiques (XIXe-XXIe siècle), Louvain-la-Neuve, PUL, 2022.

Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, t. 1 : Le Volontaire et l’Involontaire [1950], Paris, Seuil, « Points essais », 2009.

Philippe Roy, dir., « Le geste », Appareil, n° 8, 2011.

Marta Sábado Novau, L’École de Genève : histoire, geste, imagination critiques, Paris, Hermann, « Savoir lettres », 2021.

Daniel Sibony, Le Corps et sa danse, Paris, Seuil, « Points essais », 1995.

Bernard Stiegler, La Technique et le temps, t. 1 : La faute d’Épiméthée, Paris, Galilée, « La philosophie en effet », 1994.

Myriam Watthee-Delmotte, Littérature et ritualité : enjeux du rite dans la littérature française contemporaine, Bruxelles-Berne, PIE-Peter Lang, 2010.

 

Sur Toussaint

Margareth Amatulli, « Fotografare la scrittura: Mes bureaux. Luoghi dove scrivo di Jean-Philippe Toussaint e la memoria del testo », in Dispositivi fototestuali e scritture del sé, Pesaro, Metauro, 2020, pp. 155-193.

Stéphane Chaudier, dir., Les Vérités de Jean-Philippe Toussaint, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2016.

Laurent Demoulin et Pierre Piret, dir., « Jean-Philippe Toussaint », Textyles, n° 38, 2010.

Jean-Michel Devésa, dir., Lire, voir, penser l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2021.

Sarah L. Glasco, Parody and Palimpsest: Intertextuality, language, and the ludic in the novels of Jean-Philippe Toussaint, New York, Peter Lang, 2015.

Christophe Meurée et Maria Giovanna Petrillo, dir., « M.M.M.M. de Jean-Philippe Toussaint », Roman 20-50, n° 72, décembre 2021.

Christophe Meurée et Maxime Thiry, « Autoportrait de l’écrivain en éternel décalé : Jean-Philippe Toussaint au prisme de Jeff Koons », in Textyles, n° 53, 2018, pp. 153-166.

Christophe Meurée, « Notes entre aujourd’hui et demain », in Les Lettres romanes, t. 66, n°3-4, 2012, pp. 485-499.

Christophe Meurée, « Recadrer : poétique du recyclage chez Jean-Philippe Toussaint », in XXI/XX – Reconnaissances littéraires, « Le retour du texte : avatars du “remake” littéraire », dir. Jan Baetens et Éric Trudel, n°4, 2023, pp. 77-93.

Claire Olivier, Les Écritures de l’image par Jean-Philippe Toussaint : expérimentation et sémentation au XXIe siècle, Leiden-Boston, Brill-Rodopi, « Faux titre », 2021.

Maria Giovanna Petrillo, Le Malaise de l’homme contemporain dans l’œuvre de Jean-Philippe Toussaint, Fasano-Paris, Schena-Alain Baudry, 2013.

Alice Richir, Écriture du fantasme chez Jean-Philippe Toussaint et Tanguy Viel : diffraction littéraire de l’identité, Leiden-Boston, Brill-Rodopi, « Faux titre », 2019.

Isabelle Roussel-Gillet et Évelyne Thoizet, dir., « Jean-Philippe Toussaint en coulisses : making of, expérimentations, décalages », L’Entre-deux, n°9, vol. 1, 2021, en ligne : https://lentre-deux.com/index.php?b=numeros.

Mirko F. Schmidt, dir., Entre parenthèses. Beitrage zum Werk von Jean-Philippe Toussaint, Paderborn, Vigilia, 2003.