
L'Afrique subsaharienne face aux enjeux écologiques actuels: Perspectives transdisciplinaires (Douala, Cameroun)
Appel à contributions pour un ouvrage collectif
L’Afrique subsaharienne face aux enjeux écologiques actuels : perspectives transdisciplinaires
Denis-Ghislain MBESSA
&
Floribert NOMO FOUDA
Argumentaire
L’ère de l’anthropocène a érigé l’être humain en principale force géophysique de la planète, un rôle praxéologique lui concédant désormais le pouvoir de modifier l’environnement à sa guise. Aiguillée par l’anthropocentrisme et le technoprogressisme, son action envers son oikos (cadre vital) déclenche, par voie de conséquence, des crises environnementales dont les effets sont ressentis à l’échelle globale : changements climatiques, disparition des espèces, pollution de la biosphère, dégradation des écosystèmes et de la biodiversité, cataclysmes naturels, déversement des eaux usées, assèchement des oueds et des lacs naturels (le lac Tchad en l’occurrence), fuites de pétrole, réduction de la nappe phréatique, rétrécissement de la couche d’ozone, fonte des glaciers, surexploitation et appauvrissement des ressources édaphiques et pédologiques, entre autres. Dans le monde occidental, ces dysfonctionnements ont pour origine la course folle à l’industrialisation sauvage, matérialisée par le développement tous azimuts des laboratoires et la croyance à la toute-puissance de la technoscience. En regard d’une telle contexture, la chercheure Anaïs Boulard (2014) subodore dans l’action anthropique contemporaine les signes apocalyptiques de la fin de l’Homme. Conscient de l’irréversible anéantissement de son espèce, ce dernier a vite fait de manifester un sentiment eschatologique relayé par une imagerie médiatique véhiculant l’idée anxiogène d’un monde en danger. Reflet du vécu quotidien et fille de son temps, la création artistique et littéraire se réinvente. Nombre d’auteurs (J.M.G Le Clézio, Alice Fernay, Éric Chevillard, Daniel Maximin, Patrick Chamoiseau, etc.) produisent, en effet, des écofictions (Chelebourg, 2012), sortes de réactions positives de l’Homme face à son néant futur dont elles proposent une résolution efficiente, à travers l’artialisation d’ailleurs poétiques.
Dans la même veine, le discours épistémologique en la matière se rénove, en élargissant la focale du point de vue anthropocentrique vers une perspective écocentrique, laquelle interroge à nouveaux frais l’utopie technoprogressiste cartésienne consacrant l’Homme comme maître et possesseur de la nature. Le philosophe et anthropo-sociologue français Edgar Morin a ainsi élaboré, dans L’an I de l’ère écologique (2007), une « pensée écologisée » fondée sur trois piliers : la réintégration de notre environnement dans notre conscience anthropologique et sociale, la résurrection écosystémique de l’idée de nature et l’apport décisif de la biosphère à notre conscience planétaire (Morin, 2007 : 26). Également préoccupée par l’éco-anxiété consubstantielle à l’espèce humaine, la critique littéraire élaborée en Occident fait peau neuve. En témoigne la floraison de nouveaux logiciels d’exégèse des textes, à l’instar de la géopoétique, de l’écocritique et de l’écopoétique, tous ayant à cœur d’apparenter la donnée écologique à un paradigme majeur du discours scientifique produit en ces terres. Le moins que l’on puisse dire est que la nécessité d’inclure l’ensemble des éléments écosystémiques à la vision axiologique de l’univers s’y pose de plus en plus en condition sine qua non.
Pour autant qu’on s’y penche, la conscience environnementale a longtemps fait partie intégrante de l’éthique africaine traditionnelle. À l’inverse de la réalité décrite supra, un idéal moral holistique intégrait, sous les cieux africains et depuis les temps immémoriaux, les composantes anthropologiques, écologiques et spirituelles du quotidien. En l’occurrence, une croyance y dotait les humains du pouvoir de se transformer en animaux, en plantes, tels les arbres, ou en forces, à l’instar du vent. Très répandue dans la praxis, elle avait des implications importantes sur la manière dont la nature, dans son ensemble et dans ses diverses manifestations spécifiques, était envisagée. Le système traditionnel africain précolonial se caractérisait, par exemple, par l’éco-bio-communautarisme, l’égalitarisme, la tendance au nivellement et l’obsession de la droiture morale (Tangwa, 2010). Inculquée à l’Africain dès son plus jeune âge, cette dernière valeur reposait sur le caractère sacré des tabous, destinés à garantir, selon Godfrey Tangwa, que les biens, qui n’étaient en aucun cas des luxes, étaient essentiels à la simple survie. Les peuples traditionalistes s’interdisaient ainsi de consommer ou de tuer certaines bêtes, état de choses qui participait de la pérennité de la faune. Il leur était tout autant proscrit d’abattre des bêtes en gestation et si leur mise à mort était perpétrée par erreur, des rituels cathartiques devaient être effectués. Qui plus est, des tabous prohibaient de tuer les animaux domestiques élevés pour tenir compagnie et aider l’engeance humaine (Tangwa, 1996 : 189).
Autant asserter que la Weltanschauung de l’Afrique traditionnelle précoloniale avait partie liée avec la reconnaissance et l’acceptation de l’interdépendance et de la coexistence pacifiques entre la Terre, les plantes, les animaux et les humains. Appréhendé sous l’angle de l’environnement naturel à préserver pour les générations futures, le modus vivendi éco-bioconservatiste de l’Afrique subsaharienne se positionnait tel un étalon de la conscience environnementale, le sentiment de la nature y étant régi par une dimension à la fois culturelle, cultuelle et rituelle, laquelle mettait la communauté à l’abri des actions écocides de grande envergure. L’activité cynégétique et l’abattage des arbres s’y déployaient non pas à des fins de développement industriel mais pour des besoins de subsistance alimentaire et d’habitat, et les rares accidents écologiques enregistrés étaient dus davantage à l’ignorance en matière des normes environnementalistes qu’à une volonté de nuire à l’équilibre écosystémique. À tout prendre, le rapport de l’Homme à l’environnement, tel que conçu en terres africaines subsahariennes traditionnelles, était un tremplin pour le développement durable, à telle enseigne que loin des préoccupations anthropocentriques, il favorisait l’éthique environnementale et l’empathie interspécifique.
La situation a changé de façon notable. Aujourd’hui, l’Africain subsaharien, qu’il soit du village ou de la ville, a tendance à ne plus être humble et prudent, méfiant et incertain de ses capacités écocides. Il est moins accommodant et respectueux des autres personnes, des plantes, des animaux, des choses inanimées, ainsi que des diverses forces invisibles/tangibles. Bref, il n’est plus très enclin à adopter une attitude écophile, à savoir une posture protectrice de la vie et de l’environnement naturel. À l’échelle individuelle, son comportement à l’égard de la nature est marqué par le braconnage, à l’origine de la raréfaction des espèces fauniques ; l’occupation des zones à risque, responsable des accidents écologiques tels que les éboulements ; l’utilisation abusive du bois de chauffe, cause du réchauffement climatique. L’Africain subsaharien d’aujourd’hui consomme désormais allègrement de la viande du chien, du chat et de nombre d’animaux domestiques, y compris ceux en gestation. En Afrique subsaharienne, la distinction entre les plantes, les animaux et les choses inanimées, entre le sacré et le profane, la matière et l’esprit, la communauté et l’individu, n’est plus aussi mince et plastiquement flexible qu’elle l’était à l’âge d’or ci-dessus présenté. Quant aux politiques gouvernementales africaines, elles ne sont pas toujours soucieuses de l’éducation environnementale, les dirigeants, à travers des mesures de tolérance administrative préjudiciables, étant permissifs en ce qui concerne l’investissement des zones non constructibles. Par conséquent, des épisodes de glissements de terrains sont désormais légion. Il en est ainsi de ceux, très meurtriers, ayant dévasté l’Afrique du Sud (en particulier les provinces du KwaZulu-Natal et du Cap-Oriental) après trois jours de pluie battante en avril 2022, situation ayant amené le pays à déclarer l’état de catastrophe nationale. Des accidents écologiques similaires sont survenus le 29 octobre 2019 à Ngouache au Cameroun et, plus récemment, le 08 octobre 2023, à Mbankolo, une banlieue de la capitale camerounaise. Fréquent et dévastateur, le phénomène semble n’épargner aucun pays subsaharien. Au-delà de la permissivité, les gouvernants agréent le pillage des ressources naturelles par des firmes étrangères, avec, en guise de corollaire, la dégradation de l’environnement au sujet de laquelle les ONG occidentales n’ont de cesse d’éveiller leurs consciences.
D’un point de vue géomorphologique, l’Afrique subsaharienne n’est pas épargnée par les effets de l’érosion côtière, phénomène provoqué en partie par l’action humaine mais amplifié par les conditions météorologiques extrêmes. Son impact sur le PIB des États côtiers d’Afrique de l’Ouest n’est pas minime. Makhtar Diop (2015) en relevait déjà la menace à l’est de Lomé (Togo), faisant observer qu’elle empiète sur la côte de sept mètres par an. Au vu de ce qui précède, il appert qu’en matière de contribution à la préservation du bien public qu’est la Terre, l’Afrique subsaharienne, autrefois écrin de la conscience environnementale, nourrit de nos jours des enjeux majeurs, le sujet écologique s’y étant mué en une préoccupation éminemment politique. En atteste la COP21 au cours de laquelle les États africains, pour arrêter de polluer, ont exigé des compensations, mettant en surplomb leur rôle décisif dans la résolution des problématiques écologiques actuelles. Dans un contexte de diminution des habitus écologiques, l’ouvrage collectif à venir entend sonder la prégnance du paradigme environnemental dans les arts, les lettres, l’artisanat, les sciences humaines, les discours (politiques, sociaux, etc.) et les médias de l’Afrique subsaharienne. Pareille perspective transdisciplinaire a vocation à mettre en exergue la complexité de l’objet d’analyse dont les contributions s’attacheront à explorer les incidences sur toutes les échelles de l’existant. Comment l’épistémè y relative réfléchit-elle les questions écologiques engageant le devenir de cette partie du monde ?
Axes de réflexion non exhaustifs
· Arts, artisanat d’Afrique subsaharienne et conscience écologique : musique, slam, peinture, sculpture, vannerie, poterie, architecture.
· Littérature africaine subsaharienne et écologisme : écocritique, écopoétique, géopoétique et zoopoétique.
· L’éthique environnementale dans l’oraliture africaine subsaharienne : légendes, contes, berceuses, mythes, chants de labeur.
· Science-fiction africaine et motifs écologiques (Ecotopia, éco-dystopie).
· Discours médiatiques et écologie en Afrique subsaharienne (presse écrite, émissions de télévision, radio).
· Les médias numériques consacrés à l’environnement naturel de l’Afrique subsaharienne (blogs, sites web).
· L’écologisme dans les discours et programmes politiques des gouvernants en Afrique subsaharienne.
· Le discours écologique dans les sciences humaines en Afrique subsaharienne : éthique, bioéthique, éthique environnementale africaine, culture africaine et durabilité, (bio) conservatisme, biotechnologies agro-industrielles.
· Enjeux touristiques et (géo) politiques de la conscience environnementale africaine en arts, lettres et sciences humaines : esthétique environnementale, promotion de l’habiter/habitat écologique, promotion des villes vertes, touristiques et des cités balnéaires.
Langues de rédaction : français et anglais
Modalités de soumission
Les résumés d’environ 350 mots accompagnés d’une brève notice biobibliographique (ainsi que de cinq mots clés) doivent être envoyés simultanément aux adresses suivantes : mbessadeghis@gmail.com et florinomo@yahoo.fr, au plus tard le 30 janvier 2024.
Calendrier
· Publication de l’appel : 30 octobre 2023
· Soumission des propositions d’articles : 30 janvier 2024
· Notification aux contributeurs : 28 février 2024
· Réception des articles rédigés : 30 mai 2024
· Retour des expertises : 30 juillet 2024
· Retour des articles corrigés : 30 août 2024
· Parution de l’ouvrage : décembre 2024
Comité scientifique
Pr Pierre Martial ABOSSOLO, Université d’Ébolowa (Cameroun)
Pr Flora AMABIAMINA, Université de Douala (Cameroun)
Pr Marie Louise BA’ANA, Université de Douala (Cameroun)
Pr Pierre FANDIO, Université de Buea (Cameroun)
Pr Roger FOPA KUETE, Université de Maroua (Cameroun)
Pr Albert JIATSA JOKENG, Université de Maroua (Cameroun)
Pr Thomas MINKOULOU, Université d’Ébolowa (Cameroun)
Pr Roger MONDOUE, Université de Douala (Cameroun)
Pr Roger ONOMO ETABA, Université d’Ébolowa (Cameroun)
Pr Bachir TAMSIR NIANE, Université Général Lansana Conté, Conakry (Guinée)
Pr Godfrey B. TANGWA, Université de Yaoundé I (Cameroun)
Pr Mbih Jerome TOSAM, Université de Bamenda (Cameroun)
Pr Williams Fulbert YOGNO TABEKO, Université de Dschang (Cameroun)
Dr Laurain Lauras ASSIPOLO, Université de Douala (Cameroun)
Dr Aristide BITOUGA, Université de Douala (Cameroun)
Dr Alain Roger BOAYENIAK BAYO, Université de Douala (Cameroun)
Dr Joseph Patrice FOUMAN, Université de Maroua (Cameroun)
Dr Wendnonga Gilbert KAFANDO, Université Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso)
Comité de lecture
Dr Albin Nelson Georges HOUACK, Université de Douala
Dr Denis-Ghislain MBESSA, Université de Douala
Dr Mouhamadou NGAPOUT KPOUMIÉ, Université de Dschang
Dr Floribert NOMO FOUDA, Université de Yaoundé I
Dr Martin SOUMBAI, Université de Maroua
Dr Stéphane SOH SOKOUDJOU, Université de Dschang
Coordonnateurs du Projet
Dr Denis-Ghislain MBESSA, Université de Douala
Dr Floribert NOMO FOUDA, Université de Yaoundé I
Bibliographie indicative
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