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Poésie et langages du vivant (XXe et XXIe s.), deuxième volet (Rouen)

Poésie et langages du vivant (XXe et XXIe s.), deuxième volet (Rouen)

Publié le par Marc Escola (Source : Thomas Augais)

Poésie et langages du vivant (XXe et XXIe siècles), deuxième volet.

Université Rouen Normandie, 27 septembre 2024. 

Mont-Saint-Aignan, UFR Lettres et Sciences Humaines. 

Journée d’étude organisée par

Thomas Augais, (Sorbonne Université/ CELLF), Irène Gayraud (Sorbonne Université / CRLC) et Thierry Roger (Université de Rouen Normandie / CÉRÉdI)

 Cette journée fait suite à une première journée d'étude sur cette question, qui a eu lieu le 2 juin 2023 à Sorbonne Université.

« Que serait la biologie sans les poètes [1] ? », s’interrogeait Francis Hallé citant Ponge et Valéry. Pourtant ceux-ci ne cessent de rencontrer leurs limites, cherchant de quelle manière la langue poétique pourrait retenir quelque chose de la complexité du vivant. Les travaux actuels de l’écocritique et de l’écopoétique, souvent minés par le simple thématisme ou le pur environnementalisme, doivent alors en venir à une interrogation en profondeur sur le signe. Le travail des poètes a-t-il contribué à faire émerger la conscience qu’anthropos et les vivants non humains partagent la même « sémiosphère » ? David Abram et Paul Shepard ont avancé l’hypothèse d’une « co-évolution des formes naturelles et des langages des hommes[2] », inspirant la zoopoétique, qui explore la manière dont « les syntaxes de nos langues répondent à une grammaire de la vie[3] ». Pour Philippe Jousset, « le principe qui préside à l’engrènement du logos sur la physis est d’abord celui d’un prolongement[4] ». Une telle vision rencontre celle du poète Lorand Gaspar, pour lequel le langage humain est « organiquement lié au langage de la vie[5] ». La voie est ouverte pour une relativisation de l’arbitraire du signe, en particulier à partir des travaux de Dominique Lestel s’efforçant de penser une « métabolisation des formes animales par les langages humains[6] ». Notre époque est celle d’une grande déstabilisation du langage. Pour l’écrivain Camille de Toledo, attentif à la biosémiotique, c’est « la notion même de langage qui est en train de se déplacer[7] ». Prenant appui sur la pensée des intraduisibles de Barbara Cassin[8], il en appelle alors à un « continuum du traduire » capable de répondre à ces secousses sismiques lézardant la table d’écriture, si cette table est notre sol. Le moment est venu de sortir d’un logocentrisme humain condamnant les non humains à n’être que des aloga, afin de prendre la mesure des sèves qui ont nourri ce renouveau contemporain dans la manière d’envisager les rapports entre le langage humain et un monde « muet » dont on ne cesse de découvrir à quel point il est saturé de sons, cris, appels, signaux… Pour Gabriel Vignola, il est urgent de « transformer le regard que nous posons sur la théorie littéraire » pour « problématiser la question du langage, de la représentation et de la littérature différemment, dans une perspective inspirée des modèles de l’écologie telle qu’elle se développe en sciences naturelles[9] ».

Il s’agira dans cette journée d’études, située au carrefour entre écocritique et épistémocritique, de reprendre à nouveaux frais le problème de la « sémiotique du monde naturel[10] » abordé en son temps par Greimas, en vue d’ouvrir la recherche sur la poésie à l’écosémiotique, laquelle s’appuie sur la biologie de la signification de Jakob von Uexküll. De quelle manière se pose aujourd’hui la question médiévale du liber naturae, de la « lisibilité du monde[11] » ? Ne nous conduit-elle pas à interroger les survivances et les transformations, au sein des sociétés modernes, de l’ontologie « analogiste » théorisée par Philippe Descola[12] ?

Cette seconde journée, qui fait suite à celle organisée à Sorbonne Université le 2 juin 2023 (https://www.fabula.org/actualites/114375/poesie-et-langages-du-vivant.html), sera donc ouverte à des propositions qui, à partir d’un corpus de poésie – française ou comparatiste – postérieur à 1900 chercheront à articuler les travaux récents de la recherche dans les domaines de la littérature, de la linguistique et des sciences du vivant. 

Quelques pistes de réflexion : 

* Les communications chercheront à montrer de quelle manière le bruissement du monde féconde celui de la langue poétique, à partir d’un corpus monographique ou bien en convoquant de multiples poètes. Des études zoopoétiques pourront être envisagées, mais on pourra aussi s’interroger, dans le sillage d’Eduardo Kohn[13], sur la pensée des forêts ou celle d’autres vivants non humains.

*On pourra étudier les échanges entre formes du vivant et formes poétiques, à la lumière des travaux d’Adolf Portmann[14], redécouverts par l’esthétique contemporaine, dès lors que « Tout vivant est avant toutes choses une apparence, une forme, une image, une espèce[15] ». La notion d’« autoprésentation » animale croise alors celle de mimésis poétique ; « l’apparence inadressée » dialogue, ou non, avec « l’offrande lyrique », et plus largement avec la question de la transitivité en poésie.

* On s’intéressera particulièrement à des poètes ayant développé une réflexion sur le rapport entre physis et logos, des poètes ayant interrogé la « grammaire du vivant » ou ayant cherché à penser la porosité entre la parole humaine et d’autres formes de langage. On explorera alors le terrain en partie fictif de la « thérolinguistique » chère à Vinciane Despret[16]. L’adoption d’un tel point de vue anthropologiquement décentré permettra de voir en quoi la parole du poème, contre la syntaxe de la domination, contre la syntaxe du dualisme sujet / objet, peut rencontrer le poème de la fourmi ou du poulpe, écrits dans cette langue « qui n’a pas de centre, une langue traversée ou traversière[17] ».

* On pourra s’intéresser à des cas concrets de dialogue entre des poètes et des biologistes ou des éthologues à propos du langage, et plus largement à la culture scientifique des poètes, lorsque celle-ci naît d’une réflexion sur la « thèse de l’exception humaine[18] » dans la sphère langagière.

* Des communications proposées par des chercheurs en linguistique pourront être précieuses, pour aborder en particulier le rapport entre le langage poétique et le domaine de l’écosémiotique.

* Les travaux comparatistes pourront se demander si la manière dont les poètes abordent ce rapport entre la parole humaine et d’autres formes de langage est sujette à des variations en fonction des aires culturelles et linguistiques.

Les propositions de communication doivent être adressées avant le 1er février 2024 à : 

-Thomas Augais : thomas.augais@sorbonne-universite.fr

-Irène Gayraud : irene.gayraud@sorbonne-universite.fr

-Thierry Roger : thierry.roger@univ-rouen.fr


 
[1] Francis Hallé, Éloge de la plante. Pour une nouvelle biologie, Paris, Editions du Seuil, 1999, p. 104.
[2] Anne Simon, Une bête entre les lignes, essai de zoopoétique, Marseille, Wildproject, 2021, p. 104. Voir David Abram, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens [1997], trad. Didier Demorcy et Isabelle Stengers, Paris, La Découverte, 2013 ; Paul Shepard, Thinking animals: Animals and the Development of Human Intelligence, Athens, University of Georgia Press, 1978.
[3] Ibid., p. 105.
[4] Philippe Jousset, Anthropologie du style. Propositions, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2007, p. 28. 
[5] Lorand Gaspar, Approche de la parole, Paris, Gallimard, 1978, p. 10.
[6] Dominique Lestel, L’Animal singulier, Paris, Seuil, 2004, p. 59. 
[7] Propos tenus lors du séminaire « Identités plastiques », organisé par Irène Gayraud, Danielle Perrot-Corpet et Judith Sarfati Lanter : « Réécrire la loi. Rencontre avec Camille de Toledo », séance du jeudi 19 mai 2022, Sorbonne Université.
[8] Barbara Cassin (dir.), Le Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Seuil, 2004.
[9] Gabriel Vignola, « Écocritique, écosémiotique et représentation du monde en littérature », Cygne noir, no 5, 2017, URL : http://revuecygnenoir.org/numero/article/vignola-ecocritique-ecosemiotique [consulté le 30 juin 2022].
[10] Algirdas Julien Greimas, « Conditions d’une sémiotique du monde naturel », Langages, 1968, 10, p. 3-35.
[11] Hans Blumenberg, La Lisibilité du monde, Paris, Le Cerf, 2007.
[12] Philippe Descola, Par-delà nature et culture (2005), Paris, Gallimard, 2015.
[13] Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts, trad. Grégory Delaplace, Paris, Zones Sensibles, 2013.
[14] Adolf Portmann, La Forme animale, Préface de Jacques Dewitte, Paris, La Bibliothèque, 2013.
[15] Emanuele Coccia, La Vie sensible, trad. Martin Rueff, Paris, Payot, 2010, p. 10. 
[16] Voir Autobiographie d’un poulpe, Arles, Actes Sud, 2021.
[17] Ibid., p. 88.
[18] Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, 2007.