
Le Menuisier de Nevers est un nom d’auteur. C’est même le premier à être devenu célèbre parce que celui qui s’en servait, autour de 1640, proclamait dans ses livres qu’il était un ouvrier. Longtemps réédité, lu et commenté, celui qui s’appelait en fait Adam Billaut a disparu du canon littéraire. Dans Le Menuisier de Nevers. Poésie ouvrière, fait littéraire et classes sociales (XVIIe-XIXe siècle), Dinah Ribard pose en historienne la question de la chronologie de la poésie ouvrière : la littérature n’a pas attendu que les ouvriers deviennent des acteurs de l’histoire, au XIXe siècle, pour consacrer des auteurs issus du peuple laborieux. L’apparition de ce travailleur manuel sur la scène littéraire à l’époque de Louis XIV prouve que la littérature n’enregistre pas le mouvement de l’histoire : elle est une forme d’action qui transforme les voies d’accès à la parole publique et façonne l’histoire des classes sociales. Au cours des deux siècles suivants, on a trouvé naïve et populaire la poésie très savante de ce "Virgile au rabot". Exception glorieuse dans une société férocement hiérarchique, sa figure a maintenu hors de la littérature les très nombreux artisans qui ont composé des vers dans cette période. Elle a ensuite été relayée par les ouvriers poètes qui ont intéressé un moment les éditeurs et écrivains progressistes de l’époque industrielle. En retrouvant tout ce peuple d’auteurs, Dinah Ribard montre que la littérature est une contribution essentielle à l’histoire de l’inégalité. Fabula donne à lire l'introduction de l'ouvrage, avec l'aimable autorisation des éditions du Seuil…
(Gravure attribuée à Nicolas II de Larmessin, Le menuisier-ébéniste dans Les Costumes grotesques et les métiers, 1695)