Le Laboratoire Langue, Communication, Pédagogie et Développement
Organise un colloque international sur le thème
« Langues, discours et identités : marqueurs et processus de (re)construction »
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc
Marrakech, 29 février et 1 mars 2024
Argumentaire
Notion fragile et complexe, l’identité n’est pas une essence. Elle est le produit toujours dynamisé d’un processus à travers lequel l’affirmation de soi et la relation à l’autre (l’individu-sujet et le groupe, l’individu-sujet et son entour, l’individu-sujet et le monde) interagissent indéfiniment. Claude LÉVI-STRAUSS affirme que « l'identité se réduit moins à la postuler ou à l'affirmer qu'à la refaire, la reconstruire ; et que toute utilisation de la notion d'identité commence par une critique de cette notion » (LÉVI-STRAUSS, 2019). L’identité est partout et sous différentes formes (collective, individuelle, générationnelle, générique, corporelle, génétique…) brandie comme une revendication : « chacun veut se nommer soi-même. » (GLISSANT, 1997).
La construction sociale de l’identité s’effectue essentiellement par la langue (FOUCAULT 1969, BERGER et LUCKMANN 1969, DUBAR 2000, BURR 1995, etc.). « l’homme est un animal grégaire, politique, dépendant affectivement, si bien qu’il a besoin de pouvoir parler la même langue que ses congénères pour mener à bien ses actions et se sentir membre d’une communauté. », dit Béatrice GODART-WENDLING (GAYON, 2020). D’abord, les différences existent entre les individus au niveau ontologique. Ensuite, la langue intervient en donnant des sens à ces différences comme, par exemple, la conversion de la différence biologique entre homme et femme en une différence entre masculinité et féminité (YAGUELLO, 1979, 1989). Des regroupements s’effectuent en rassemblant en catégories les personnes ayant les mêmes traits significatifs. Chaque catégorie s’octroie alors une identité en se basant sur ce qui la distingue des autres catégories. Rappelons au passage le caractère évolutif de la langue et qu’elle est loin d’être un système figé.
Le monde est plurilingue. En plus de sa diversité linguistique, il est déterminé par une autre division entre langues de tradition écrite et langues de tradition orale (CALVET, 1999). Dans une telle situation, la langue devient un marqueur identitaire sur lequel les individus et les communautés se basent pour se distinguer. Au Maroc, l’identité arabe et l’identité amazighe sont respectivement déterminées à partir de la langue arabe et de la langue amazighe. Le même phénomène peut être observé en France, en Espagne, en Algérie, aux Antilles… La revendication de l’identité linguistique pourrait donner lieu à des tensions et à des conflits dans la mesure où la différence linguistique est traduite en hiérarchie entre les langues allant jusqu’à rejeter les étrangers, c’est-à-dire ceux qui ne pratiquent pas ma langue, dans la barbarie. Notons que le rapport entre l’identité linguistique et la pratique d’une langue n’est pas univoque. Certains locuteurs s’octroient une identité linguistique même s’ils ignorent catégoriquement la langue attachée à cette identité. Inversement, d’autres maîtrisent parfaitement une langue et pourtant ils n’attachent par leur identité à cette langue. Ce qui signifie que parler n’est pas forcément être, et que l’identification en une langue est aussi une position idéologique et politique (RACHIK, 2016).
Il est admis que l’identité se construit essentiellement par la langue. Ce qui indique que la première identité se forge en langue (s) maternelle (s). Or, l’identité n’est pas figée. Elle est en perpétuel changement et objet d’incessants remaniements en fonction des interactions et des changements sociaux. Ceci se manifeste clairement chez des locuteurs qui sont socialisés dans des contextes plurilingues ou d’entre-deux langues (SIBONY, 1991). Notons à ce propos l’étude de THAMIN (2007) qui a montré que les identités linguistiques des immigrés en situation de mobilité sont généralement hybrides et plurilingues.
Le concept de l’identité sociale est fondamental dans les études identitaires. Les principaux théoriciens de ce concept sont TAJFEL et TURNER (1979) qui ont circonscrit une théorie de soi du point de vue de sa nature collective. L’identité sociale signifie le sentiment d’appartenance d’un individu à un groupe (ou à des groupes) avec qui il partage certains traits identitaires. Elle se caractérise par sa variabilité, sa multiplicité et sa complexité puisque l’individu manifeste son appartenance en fonction de la situation de communication.
En réalité, plus que par la langue, c’est à travers ses différents usages ou discours que l’identité tant collective qu’individuelle est véhiculée. À la base de l’identité de chaque groupe, il y a un poème épique, une grande fiction, une mythologie… Le sujet parlant de son côté manifeste son identité à l’aide de l’organisation du discours, par les modes de prise de parole et par le biais du maniement des unités du langage véhiculaires des messages (politiques, religieux, idéologiques, ethniques, sexistes, militants, etc.). Les différents discours véhiculés par les différents sujets s’organisent à leur tour dans des « genres » (littérature, culture populaire, opinion publique, politique, écriture féminine…) ou des « fictions » qui deviennent eux-mêmes des vecteurs identitaires. On parle alors d’auteur, d’écrivaine féministe, de littérature francophone, d’influenceur, de blogueur… Mais certaines expressions ou revendications identitaires ne passent pas forcément par le discours verbal. Elles recourent à des pratiques discursives non-verbales telles que la danse, la peinture, la photographie, etc., ou hybrides telles le théâtre, le cinéma, la performance artistique, etc.
La bipartition identité individuelle (subjective, corporelle, générique, génétique…) / identité collective (identité sociale, culturelle, civilisationnelle…) n’est que méthodologique. Les deux sont intrinsèquement liées, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont toujours harmonieuses. Un sujet peut-être le porte-drapeau de son groupe comme il peut être un « dissident » (KHATIBI, 1987). Le sujet lui-même n’est pas une unité monolithique comme l’ont montré la psychanalyse et la théorie de la polyphonie. Le groupe n’est jamais, lui non plus, homogène. Les discours véhiculés par les sujets parlants traduisent leurs propres clivages et ceux de leurs sociétés. Face à l’autre – et à sa différence, les revendications identitaires collectives peuvent s’incarner dans des attitudes diamétralement opposées que KHATIBI (1983) appelle « identité sauvage » et MAÂLOUF « identités meurtrières », comme elles peuvent être véhiculaires d’une éthique de dialogue ou « poétique de la relation » (GLISSANT ,2009).
De nos jours, avec la numérisation des sociétés, la construction identitaire devient plus complexe. L’individu entre dans des interactions en ligne avec des individus et des communautés virtuels. Ce qui rend la tâche ardue pour les entités classiques de socialisation et d’enculturation qui cherchent à transmettre aux générations à venir des valeurs et des normes qui renforcent la cohésion sociale. L’individu en ligne peut apporter des modifications à son identité réelle (acquise dans le monde réel) lorsqu’il entre dans l’univers numérique par sa participation dans des interactions virtuelles. En ce sens, certains chercheurs parlent même de l’identité d’écran (PEREA, 2010) ou d’identwité (MERCIER, 2013) pour marquer le passage de l’identité réelle à celle composite, à la fois réelle et virtuelle.
Les axes thématiques de ce colloque sont :
1- Langue, identité et socialisation ;
2- Identité, mobilité et migration ;
3- Imaginaires identitaires ;
4- Guerre des langues et guerre des identités ;
5- Subjectivités, identités et écritures (littérature, art, médias…) ;
6- Altérités et métissages ;
7- Identité, discours et genre ;
8- Corps et identité ;
9- L’identité à l’ère du numérique…
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Modalités de soumission
Les propositions de communication ne doivent pas dépasser 500 mots maximum. Les propositions doivent contenir les informations suivantes : nom et prénom, statut, établissement d'attache, adresse email et numéro de téléphone, intitulé de la communication et le résumé. Les langues du colloque sont le français, l'arabe et l'anglais.
Les propositions seront envoyées à l'adresse suivante : langues.discours.identites@gmail.com
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Calendrier
- Date butoir de soumission des propositions : 20/10/2023
- Retour des propositions aux auteurs : 31/10/ 2023
- Le colloque aura lieu à la FLSH, Université Cadi Ayyad – Marrakech les 29 février et 1 mars 2024.
- Une valorisation sous forme de publication scientifique est envisagée.
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Contact
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Comité d'organisation
Abdelghani FENNANE, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Lahcen KADDOURI, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Laila KHATEF, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Souad OUSSIKOUM, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Les doctorants du laboratoire LCP-D, FLSH, UCA, Marrakech, Maroc.
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Coordination
Abdelghani FENNANE, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Lahcen KADDOURI, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Laila KHATEF, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Souad OUSSIKOUM, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
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Comité scientifique
Noureddine AFFAYA, Directeur de l’Institut Académique des Arts, Académie du Royaume du Maroc.
Lalla Khadija ALAOUI YOUSFI, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Abdeljalil AMIME, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Malika BAHMAD, FLLA, Université Ibn Tofaïl, Kenitra, Maroc.
Abdeslam BENABDELALI, FLSH, Université Mohammed V, Rabat, Maroc.
Mohammed BENNIS, FLSH, Université Mohammed V, Rabat, Maroc.
Atmane BISSANI, FP d’Errachidia, Université Moulay Ismaël, Meknès, Maroc.
Fatima BOUKHRIS, FLSH, Université Mohamed V, Rabat, Maroc.
Ahmed BOUKOUS, Recteur de l’Institut Royal de la Culture Amazighe, Maroc.
Abdellah BOUNFOUR, Professeur Emérite, INALCO, Paris, France.
Samir BOUZRARA, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Hafida ELAMRANI, FLLA, Université Ibn Tofaïl, Kenitra, Maroc.
Abdelghani EL HIMANI, FLSH, Saïs-Fès, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès, Maroc.
Abdelghani FENNANE, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Khalid HADJI, FLSH, Université Moulay Abdellah, Fès, Maroc.
Abdeljalil HANOUCHE, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Lahcen KADDOURI, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Laila KHATEF, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Aziz KICH, FSE, Université Mohamed V, Rabat, Maroc.
Rabia MAAROUFI, FLSH, Université Ibn Zohr, Agadir, Maroc.
Leila MESSAOUDI, FLLA, Université Ibn Tofaïl, Kénitra, Maroc.
Catherine MILLER, IREMAM-CNRS, Aix-Marseille, France.
EL Houssaïn EL MOUJAHID, Secrétaire général de l'Institut Royal de la Culture Amazighe, Maroc.
Souad MOUDIANE, FLSH, Université Mohamed V, Rabat, Maroc.
Amal OUSSIKOUM, FLSH, Université Sultan Moulay Slimane, Beni Mellal, Maroc.
Mounir OUSSIKOUM, FLSH, Université Sultan Moulay Slimane, Beni Mellal, Maroc.
Souad OUSSIKOUM, FLSH, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc.
Mohamed Habib SAMRAKANDI, Directeur de la Revue Horizons Maghrébins, Toulouse, France.
Abdelaali TALMENSOUR, FLSH, Université Ibn Zohr, Agadir, Maroc.
Zahra ZAYD, FLSH, Université Chouaib Doukkali, El Jadida, Maroc.
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Bibliographie indicative
- BERGER, P., LUCKMANN, T., La Construction sociale de la réalité, Troisième édition, Armand Colin, Paris, 2014.
- BOUKOUS, A., Identité et mutations culturelles (Maroc), in Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, N° 44, 1987.
- BOUNFOUR, A., La langue est-elle un marqueur d’identité ?, in Revue des Etudes Berbères, V.10, sous la direction de K. NAIT-ZERRAD, INALCO, Paris, 2016.
- BOYER, H., Langue et identité : Sur le nationalisme linguistique, Lambert-Lucas, Limoges, 2008.
- CALVET, L-J., La Guerre des langues et les politiques linguistiques, Hachette Littératures, Paris, 1999 (Payot, 1987 pour la première édition).
- CHARAUDEAU, P., Identité sociale et identité discursive. Un jeu de miroir fondateur de l’activité langagière, in Identités sociales et discursives du sujet parlant, Sous la direction de CHARAUDEAU. P, L’Harmattan, Paris, 2009.
- CHEBEL, M., La Formation de l’identité politique, Presses Universitaires de France, Paris, 1986.
- DABENE, L., Alternance codique : enjeux socioculturels et identitaires, in Revue LIDIL n° 18, Université Stendhal, Novembre 1998.
- DETIENNE, M., L’identité nationale, une énigme, Gallimard, Paris, 2010.
- DUBAR, C., La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, Paris, 2000.
- FOUCAULT, M., L’archéologie du savoir, Editions Gallimard, Paris, 1969.
- GAYON, J., (sous la direction), L’Identité Dictionnaire encyclopédique, Gallimard, Folio-essais, Paris, 2020.
- GLISSANT, E., Le Discours antillais, Gallimard, Folio-essais, Paris, 1997.
- HERMASSI, M.-S., Une Approche de la problématique de l’identité – Le Maghreb arabe contemporain, L’Harmattan, Paris, 2004.
- KHATIBI, A., Maghreb pluriel, Denoël/SMER, Paris/Rabat, 1983.
- LÉVI-STRAUSS, C., L’Identité, PUF, Coll. Quadrige, Paris, 2019.
- MAÂLOUF, A., Les Identités meurtrières, Ed, LGF, Paris, 2013.
- MALEWSKA, H., Identité et devenir du sujet : identités, acculturation et altérité, L’Harmattan, Paris, 2002.
- MERCIER, A., L’identité des journalistes : Entre affirmation de soi et normalisation déontologique, [En ligne], 2013. DOI 10.13140/2.1.3639.0088
- MOHAMED, A., Langue et identité. Les jeunes maghrébins de l’immigration, SIDES, France, 2003.
- MUCCHIELLI, A., L'Identité, coll. "Que sais-je ?", PUF, Paris, 1986.
- PEREA, F., L’identité numérique : de la cité à l’écran. Quelques aspects de la représentation de soi dans l’espace numérique, in Les Enjeux de l’information et de la communication, 2010. (DOI : 10.3917/enic.010.0800.)
- RACHIK, H., Éloge des identités molles, Casablanca, La Croisée des chemins, 2016.
- TAJFEL, H., et TURNER, J.-C., The social identity theory of intergroup behavior, in Psychology of intergroup relations, 2ème éd, W. Austin et S. Worchel éd., Chicago, Nelson Hall, 1986.
- THAMIN, N., Dynamique des répertoires langagiers et identités plurilingues de sujets en situation de mobilité, Thèse de doctorat, Université Stendhal-Grenoble III, France, 2007.