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Esthétiques et politiques théâtrales d’Amérique latine aujourd’hui: quels enjeux autour de la (dé)colonialité? (Toulouse)

Esthétiques et politiques théâtrales d’Amérique latine aujourd’hui: quels enjeux autour de la (dé)colonialité? (Toulouse)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Lîlâ Bisiaux)

 Esthétiques et politiques théâtrales d’Amérique latine aujourd’hui: quels enjeux autour de la (dé)colonialité? 

Ce colloque interdisciplinaire, faisant dialoguer recherches universitaires et arts vivants, se déroulera en présentiel les 3, 4 et 5 avril 2024, à l’Université de Toulouse - Jean Jaurès. Il s’inscrit dans le cadre de l’axe « Corps politique et société » et plus particulièrement de l’axe « Esthétiques et politique du corps et de la scène » du laboratoire LLA - CRÉATIS. Il naît de la volonté, d’une part, de consolider QUETZAL (Questions Théâtrales sur la Zone Amérique Latine / https://collectif-quetzal.com), le réseau interdisciplinaire de jeunes chercheur.euse.s francophones sur le théâtre latino-américain, créé en 2020, et d’autre part, de poursuivre les discussions amorcées lors des premières journées d’études organisées en ligne par le collectif du 25 au 27 novembre 2020, et qui ont donné lieu à une publication (https://journals.openedition.org/amerika/12446)

Plus particulièrement, il s’agit de partir de la notion de “colonialité du pouvoir” (Quijano, 1992) qui renvoie à une série de phénomènes de domination perdurant au-delà des processus de décolonisation politique. Cette notion est aussi centrale pour les études décoloniales, que féconde pour de nombreuses recherches. On la suppose capable d’éclairer les enjeux politiques du théâtre latino-américain contemporain en termes de productions esthétiques, de lieux de représentation, de circuits de diffusion, de politiques culturelles, et de dialogisme avec le théâtre européen et nord-américain.  Complétant et complexifiant les approches intersectionnelles (Delaporte et al., 2022), la colonialité du pouvoir est à comprendre comme une matrice du pouvoir, un dispositif épistémique (Aníbal Quijano) classifiant et hiérarchisant les êtres (Walter B. Mignolo) et les savoirs (Edgardo Lander), et qui se fonde sur l’introduction et la normalisation du concept de race, de genre (Maria Lugones) et d’hétéronormativité (Rita L. Segato). 

Concrètement, ce concept renvoie au fait d’inférioriser et de reléguer dans un temps dépassé les individus ne présentant pas les mêmes caractéristiques (phénotypiques, religieuses, alphabétiques, sexuelles, culturelles, etc.) que le modèle des hommes blancs cisgenres et hétérosexuels privilégiés (Breny Mendoza). Ces derniers, dans l’ordre d’une hiérarchie sociale et coloniale, se sont historiquement autorisés à classifier universellement la population selon ces critères et à nier la capacité de certains individus à produire de la pensée, de la connaissance (Enrique Dussel), ou de l’art. 

Selon les penseur.euse.s du groupe Modernité/Colonialité/Décolonialité, la colonialité est alors consubstantielle à la modernité, dans le sens où elle légitime et autorise l’expropriation et l’exploitation des terres, ainsi que la logique de substituabilité des vies humaines (Walter B. Mignolo), pierre angulaire de l’émergence d’une nouvelle économie (Aníbal Quijano), à savoir le capitalisme internationalisé à l’échelle planétaire. Or, parce que les processus des Indépendances, en Amérique latine, se sont principalement restreints aux sphères économique et politique, autrement dit parce qu’ils se sont réalisés contre la colonisation et non contre la colonialité, les imaginaires et les institutions sont toujours travaillés par cette hiérarchisation des êtres et des savoirs dont ils sont aussi les garants (Enrique Dussel). 

C’est à ce titre que ce colloque s’intéressera aux esthétiques dramatiques et scéniques d’Amérique latine, et plus particulièrement à la manière dont elles reconduisent, interrogent, troublent, déplacent les imaginaires coloniaux et modernes. Sans pour autant verser dans une dichotomie simpliste entre œuvres coloniales et de résistance (Bentouhami-Molino, 2015), il s’agira de voir comment des concepts tels que la colonialité de l’être (Mignolo, 2003), du savoir (Lander, 2000), du genre (Lugones, 2008), la transmodernité (Dussel, 2015), la pensée frontalière (Anzaldúa, 2021), l’interculturalité (Walsh, 2005) sont opérants pour mettre en lumière l’articulation esthético-politique de certaines œuvres répondant à leur contexte de création. 

Par ailleurs, la production théorique d’artistes qui convoquent ou se réapproprient les concepts principaux du groupe Modernité/Colonialité/Décolonialité feront également l’objet d’une analyse. Il s’agira de confronter ces théories aux œuvres et de voir dans quelle mesure elles permettent d’éclairer la production artistico-politique ou de constater l’écart entre les discours et les pratiques artistiques, ainsi que de mettre en exergue des discours parfois lucratifs permettant de s’insérer dans des réseaux de diffusion existants. 

De plus, le dialogisme entre certaines formes dramatiques européo-nord-américaines et latino-américaines sera également abordé. Dans le sillage des études pionnières sur la réception du théâtre latinoaméricain en France (Obregón, 2002), il s’agira d’envisager la circulation de certaines formes théâtrales (comme le théâtre pauvre de Jerzy Grotowski, le théâtre épique brechtien, le théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, le théâtre de l’opprimé d'Augusto Boal) ou celle de compagnies (comme l’Odin Teatret) de part et d’autre de l’Atlantique. Plutôt qu’en termes de modèle ou d’influence des théories, dramaturgies ou mises en scène européennes en Amérique latine, cette circulation sera plutôt appréhendée sur le mode du transfert (Compagnon, 2009), du dialogisme (Plana, 2014) et de la réappropriation, ouvrant ainsi le débat quant à l’existence d’un théâtre ibéro-américain ou euro-américain. 

En outre, il s’agira d’interroger le lien existant entre espaces de production, circuits de diffusion et lieux de représentation, en fonction du type de public visé et des choix artistiques. Plus particulièrement, il s’agira de penser la place de la colonialité et de la décolonialité dans les divers « mondes de l’art » (Becker, 2010 [1982]) ou « mondes du théâtre » (Urrutiaguer, 2014), depuis des courants de « théâtre populaire » ou de « théâtre communautaire », en passant par des espaces alternatifs (comme le festival Container à Valparaiso ou le festival #Horizontes# à Punta Arena), jusqu’aux espaces plus consacrés et institutionnalisés tels que les grands festivals latino-américains (FIBA de Buenos Aires, Festival Ibéro-américain de théâtre de Bogota, festival Santiago a Mil à Santiago de Chile, etc.). Il s’agira de voir comment et de quelle manière la rhétorique décoloniale est présente ou absente, revendiquée ou effacée, au cœur du travail artistique, de la communication entourant les œuvres et les événements, ainsi que dans la fabrique des politiques culturelles. 

Enfin, faire de la colonialité le point nodal de la réflexion nous invitera à questionner notre posture de chercheur.euse.s, voire d’artistes-chercheur.euse.s, ainsi que les outils, concepts et méthodologies que nous utilisons. Plus spécifiquement, il s’agira de mettre en évidence la localisation épistémique des chercheur.euse.s afin d’interroger leur aptitude à installer, renforcer ou rompre des logiques de dominations modernes et coloniales. 

Ce colloque pourra aborder cet ensemble de questions du point de vue des études en arts de la scène, des études hispano-américaines et de civilisation, et dans la perspective des sciences humaines et sociales. 

Réception des propositions 

Le comité d’organisation attire l’attention sur la spécificité interdisciplinaire : pourront être envoyées des propositions universitaires de la part de chercheur.euse.s en études théâtrales, en littérature, en philosophie, en études esthétiques, linguistiques, aréales, de civilisation ou de sciences sociales, dans la mesure où ces propositions correspondent aux axes du colloque.

Par ailleurs, sont également bienvenues les propositions de communications d’artistes ou de praticien.ne.s de la culture, sans besoin d’être inscrit.e.s  dans une institution ou un cursus universitaire. En ce sens, les communications pourront être proposées, sans obligation, dans des formats d’exposition atypiques.

Le comité, tout en appelant de ses vœux de telles propositions, se réserve néanmoins le droit de délibérer, en dernière instance, sur leur pertinence et leur recevabilité vis-à-vis des conditions matérielles dans lesquelles se tiendra la manifestation.  Les propositions de communications seront à envoyer à l’adresse mail contact@collectif-quetzal.com, au plus tard le 20 juillet 2023. Elles seront composées d’un titre, d’un résumé de 300 mots, d’une série de 5 mots-clés et d’une brève présentation de l’auteur.e mentionnant son activité et son institution de rattachement (5 lignes maximum).  Il est demandé de préciser le format de la communication qui souhaite être présenté : une communication universitaire classique, ou une communication plus atypique (conférence performée, performances-action, etc.) et auquel cas, est attendue la mention des besoins spécifiques en termes d’espace, de matériel, de dispositif, etc., afin de les prendre en compte, dans la mesure du possible, lors du colloque.  Les propositions pourront être rédigées en français, espagnol, anglais et portugais (et être présentées à l’oral, sous réserve d’acceptation par le comité, dans l’une de ces quatre langues). 

Le comité d’organisation a jusqu’au 20 octobre 2023 pour répondre aux propositions. 

Le colloque aura lieu en présentiel à l’université Toulouse Jean Jaurès les 3, 4 et 5 avril 2024. 

Bibliographie: 

ANZALDÚA Gloria, Borderlands/ Frontera: the new Mestiza, San Francisco, Aunt Lute Books, 2021.  

BECKER Howard, Les Mondes de l'art, Paris, éditions Flammarion, [1982] 2010. BENTOUHAMI-MOLINO Hourya, Race, cultures, identités, une approche féministe et  postcoloniale, Paris, Presses universitaires de France, 2015, p. 114. 

COMPAGNON Olivier, « L’Euro-Amérique en question. Comment penser les échanges  culturels entre l’Europe et l’Amérique latine », Débats, Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2009. 

DELAPORTE Chloé, FLORES ESPINOLA Artemisa, GUITTET Emmanuelle, HARCHI Kaoutar, SONNETTE-MANOUGUIAN Marie et TALBOT Cécile (dir.), dossier « Dynamiques intersectionnelles dans la production artistique », Revue Biens symboliques, n°10, 2022, en ligne : https://journals.openedition.org/bssg/905

DUSSEL Enrique, Filosofías del Sur, descolonización y transmodernidad, México, Akal,  2015. 

HAMROUNI Naïma, MAILLE Chantal, Le sujet du féminisme est-il blanc? Femmes racisées  et recherches féministes, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2019. 

LANDER Edgardo, Colonialidad del Saber : Eurocentrismo y Ciencias Sociales.  Perspectivas Latinoamericanas, Buenos Aires, Caracas, Consejo Latinoamericano de Ciencias Sociales, 2000. 

LUGONES Maria, « Colonialidad y género », Tabula Rasa, 2008, p. 73‑102. 

MASSON Sabine, Pour une critique féministe décoloniale, Lausanne, Antipodes, 2006.

MENDOZA Breny, Ensayos de crítica feminista en nuestra América, México, Herder  Editorial, 2014. 

MIGNOLO Walter, « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée  frontalière et désobéissance épistémologique », Mouvements, n°73, 2013, pp. 181–190. 

MIGNOLO Walter, Historias locales-diseños globales: colonialidad, conocimientos  subalternos y pensamiento fronterizo, Madrid, Ediciones Akal, 2003. 

MIGNOLO Walter, La désobéissance épistémique: rhétorique de la modernité, logique de la  colonialité et grammaire de la décolonialité, Bruxelles Bern Berlin [etc., PIEPeter Lang, 2015. 

MIGNOLO Walter, Lugones Maria, Jiménez Lucena Isabel, [et al.], Género y  descolonialidad, Buenos Aires, Ediciones del Signo, 2008. 

MIGNOLO Walter, The Darker Side of the Renaissance: Literacy, Territoriality, and  Colonization, Michigan, University of Michigan Press, 1995. 

PLANA, Muriel, Théâtre et Politique. Tome I. Modèles et Concepts, Paris, Orizons, 2014.

OBREGON Osvaldo, La diffusion et la réception du théâtre latino-américain en France de  1958 à 1986, Besançon, Presses Universitaires franc-comptoises, 2002. 

QUIJANO Aníbal, « " Race " et colonialité du pouvoir », Mouvements, vol. 51 / 3, 2007, pp.  111–118. 

QUIJANO, Aníbal, « Colonialidad y modernidad-racionalidad », dans Hector Bonnila (ed.),  Los Conquistadores, Bogota, Tercer Mundo, 1992, pp. 493-507. 

SEGATO Rita Laura, « Género y Colonialidad : en busca de claves de lectura y de un vocabulario estratégico descolonial », in Feminismos y Poscolonialidad. Descolonizando el feminismo desde y en América latina, Buenos Aires, Godot, 2011, p. 17‑48.

URRUTIAGUER Daniel, Les Mondes du théâtre. Désenchantement politique et économie  des conventions, L'Harmattan, Paris, 2014. 

VERGES François, Un féminisme décolonial, Paris, La fabrique éditions, 2019. 

WALSH Catherine, “Interculturalidad, conocimientos y decolonialidad”, Universidad Andina Simón Bolívar,  Signo y Pensamiento XXIV(46) : 39-50, 2005.