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Les oublié(e)s et invisibles. La face cachée des êtres, des faits et des objets dans le contexte franco-allemand

Les oublié(e)s et invisibles. La face cachée des êtres, des faits et des objets dans le contexte franco-allemand

Les oublié(e)s et invisibles

La face cachée des êtres, des faits et des objets dans le contexte franco-allemand

(à comprendre comme relations entre la France et les pays germanophones)

Le premier colloque « Les oublié(e)s et les invisibles dans le contexte franco-allemand des 19e et 20e siècles », qui s’est tenu en juin 2022 à Angers, avait comme objectif de rappeler le souvenir de personnes, de faits et d’œuvres ignorés, tombés dans l’oubli, volontairement (ou non) escamotés. La publication est en cours. Ce deuxième colloque s’inscrit dans une démarche quelque peu différente. Il s’agit cette fois-ci de détecter, débusquer, dévoiler des facettes et des aspects ignorés de personnages, de faits ou d’œuvres déjà connus, toujours dans un contexte franco-allemand, c’est-à-dire dans le cadre des relations de la France avec les mondes germaniques, à toutes les époques. Dans ce cadre il pourrait donc même être question de développer une nouvelle approche d’une thématique qui paraît déjà avoir été bien explorée.

La réflexion sera articulée autour de cinq axes (mais d’autres peuvent être encore proposés) :

1.         Les mythes 

Déjà Roland Barthes (Mythologies, 1957) partait du principe qu’à l’ère des médias, tout pouvait devenir un mythe, puisque la mythification ne dépend non pas de l’objet mais de la manière dont il est représenté. Cela s’applique non seulement à notre époque, mais aussi plus généralement au regard que nous portons sur le passé, comme Martin Sabrow le met en évidence dans Die Macht der Mythen (1998). Par exemple, les biographes ne soulignent que quelques aspects d’une personnalité, en passent d’autres sous silence ou n’en tiennent absolument pas compte. De ce fait, selon Martin Sabrow, la dimension ambivalente d’une personne (ou d’un événement) doit plutôt être interprétée comme l’expression de la mémoire ambivalente de ses contemporains et de la postérité.

Le prince Hermann von Pückler-Muskau (1785-1871) fournit un excellent exemple de cette construction d’une image publique qui perdure des décennies, voire des siècles. Outre ses créations paysagères, il reste en mémoire comme homme à femmes et bon vivant toujours endetté, ou tout bonnement comme inventeur supposé de la glace éponyme. Ainsi, la culture aristocratique et les relations épistolières galantes (qui n’impliquent pas toujours de véritables histoires d’amour) ne reçoivent pas l’intérêt qu’elles méritent pourtant. Les transferts culturels initiés par le prince à partir de l’Angleterre, de la France et de l’Orient, son intégration dans un réseau international, ses activités de journaliste et d’éditeur sont ignorés. 

Dans la mémoire collective française, la révocation de l’édit de Nantes fut longtemps associée à la résistance et au martyre des Huguenots, condamnés aux galères ou contraints de s’exiler (notamment dans des États allemands). Cependant, l’historien Jacques Poujol a démontré que, d’une part, les persécutions précédèrent largement la révocation et que, d’autre part, les Huguenots abjurèrent rapidement et massivement, à la grande surprise du pouvoir royal. Ainsi, si la représentation quasi mythique de l’exil et des condamnations se base certes sur des faits avérés, elle occulte en revanche les abjurations qui décidèrent même le roi à avancer la date de la révocation.

Dans Macht der Mythen (1989), Martin Sabrow se demande quelle confiance mérite l’historiographie. Est-elle capable de nous montrer ce qui advint vraiment (par exemple en 1968 ou en 1989) ? Ou ne peut-on s’échapper de la prison d’un présent qui refaçonne sans cesse le passé à sa propre image ? Selon Erik H. Erikson, un mythe n’est pas vraiment un mensonge mais plutôt la fusion de réalités historiques avec de la littérature, d’une manière qui sonne « vrai » pour une époque ou un pays donné.

2.         Les points aveugles / les angles morts  

Le point aveugle (en ophtalmologie, une zone de la rétine insensible à la lumière) est défini au sens figuré par Christa Wolf comme quelque chose d’inconscient, d’invisible, de « pas encore explicable », qui est volontairement ou non caché, ou encore enfoui dans la mémoire. Les individus ou les groupes sociaux voudraient ainsi se protéger de ce qui n’est pas moralement admissible, de leur propre comportement moralement répréhensible. Ils n‘ont alors rien vu, rien entendu, rien dit. 

Par l’exemple, on passa longtemps sous silence l’antisémitisme de Martin Luther, certainement pour ne pas nuire à son image positive de traducteur de la Bible et promoteur de la langue allemande. A l’inverse, d’autres personnalités ne sont représentées que sous un angle négatif avec des couleurs sombres (au propre et au figuré), à l’image de Catherine de Médicis en tenue de veuve, alors qu’elle ne le fut pas toute sa vie. 

Stéphanie de Beauharnais (1789-1860), lointaine parente de Joséphine, adoptée par Napoléon pour des raisons dynastiques et mariée au grand-duc de Bade pour des raisons politiques, constitue un autre exemple franco-allemand. Devenue veuve de bonne heure, après avoir été malheureuse et détestée comme Française, elle se mua finalement en figure maternelle, très appréciée de ses sujets, attirant chaque été l’élite européenne à sa cour de Baden-Baden – ce qui est moins connu.

3.         Les préjugés / les clichés / les stéréotypes/les topoi

Certaines thématiques, dont le corpus est connu et exhaustif, paraissent parfois avoir été définitivement explorées et analysées. Pourtant, une réévaluation critique remet souvent en question les analyses, qui s’avèrent finalement être davantage des clichés, voire des topoi. Le cinéma ouest-allemand de l’ère Adenauer en fournit un excellent exemple. Longtemps méprisé, voire considéré comme une réminiscence du cinéma nazi, il n’est reconsidéré que depuis peu. Dans un article très fouillé publié en janvier, Jonathan Schilling effectue non seulement une brillante synthèse de ce revirement récent de la recherche, mais y contribue également, en redéfinissant les Heimatfilme, en réévaluant le rôle des œuvres ainsi qu’en se basant sur des éléments fondamentaux longtemps négligés, en particulier le succès des films et la popularité des acteurs. Toujours dans le registre du cinéma, Markus Spieker a démontré dans sa thèse, publiée en 1999 que, contrairement aux idées reçues, des films américains furent diffusés sous le Troisième Reich. En effet, l’industrie cinématographique d’Hollywood collabora étroitement avec l’Allemagne nazie, jusqu’à l’entrée en guerre des Etats-Unis, en 1941, afin de pouvoir continuer à y exporter nombre de films. Pour ce faire, révèle l’auteur, les Américains se soumirent aux conditions posées par les Allemands qui ne voulaient voir figurer aucun Juif, ni dans les équipes de production ni dans les castings. 

4.         Les palimpsestes

« Un palimpseste est un parchemin dont on a gratté la première inscription pour en tracer une autre, qui ne la cache pas tout à fait, en sorte qu’on peut y lire, par transparence, l’ancien sous le nouveau. On entendra donc, au figuré, par palimpsestes (plus littéralement : hypertextes), toutes les œuvres dérivées d’une œuvre antérieure, par transformation ou par imitation. De cette littérature au second degré, qui s’écrit en lisant, la place et l’action dans le champ littéraire sont généralement, et fâcheusement, méconnues » (Gérard Genette). 

Cependant, le concept de palimpseste ne se cantonne pas aux analyses intertextuelles, il s’applique également aux études de paysages et de tissus urbains, ainsi qu’à l’historiographie. Au croisement de ces disciplines, dans des registres très différents, on peut signaler, d’une part, l’ouvrage collectif de l’association Antikomplex, Das verschwundene Sudetenland (2004), qui, à l’appui de photos, documente les profondes transformations que l’ouest de la Tchécoslovaquie a connues depuis l’expulsion de sa population germanophone à partir de 1945 et, d’autre part, l’article d’Eva Touboul « La récupération de la mémoire historique : un palimpseste historiographique ? » sur l’histoire du franquisme et de la guerre civile espagnole et leur mise en récit. Dans celui-ci, l’autrice s’emploie à « signaler les points communs entre historiographie et roman de la mémoire historique, depuis une perspective de transtextualité qui met en jeu à la fois le palimpseste […] et d’autres pratiques, qui révèlent les liens secrets unissant textes et genres au sein de ce courant ».

5.         Les tabous 

Selon Alexander et Margarete Mitscherlich, « [l]a définition centrale d’un tabou est la suivante : là où on n’ose plus poser de questions ou si l’on ne pense même pas à le faire, on a affaire à un tabou. […] Les tabous maintiennent donc un niveau de connaissance faible ». Dans son ouvrage Les tabous de l’histoire, l’historien Marc Ferro souligne en introduction : « On le différencie […] de l’interdit qui s’applique plus précisément à ce qui n’est pas autorisé, et il se distingue de l’autocensure ou de la censure […] ». Par exemple, Florian Mildenberger et Hartmut Schröder affirment que l’exposition sur les crimes de la Wehrmacht, organisée à la fin des années 1990, ne révéla pas vraiment des faits nouveaux mais brisa publiquement un tabou façonné par les protagonistes eux-mêmes, ces derniers affirmant que Hitler était l’unique responsable des crimes commis. 

L’utilisation du terme tabou peut aussi être abusive. Au courant des années 2000, beaucoup de journalistes et de cinéastes prétendirent à tort que la fuite et l’expulsion des Allemands avaient été des sujets tabous, renforçant ainsi l’attractivité des œuvres produites. Cette croyance, encore largement partagée par le grand public, relève ici quasiment du mythe. 

Ce colloque, focalisé sur le contexte franco-allemand, souhaite explorer les champs de la littérature, de la philologie, de l’histoire et de l’histoire de l’art, de la civilisation et des sciences politiques. Il a pour ambition de préciser, nuancer et approfondir la question des relations franco-allemandes et, plus largement, celle des relations de la France avec les mondes germaniques.  



Les contributions peuvent être proposées en français ou en allemand. Une publication est prévue. 

Merci d’envoyer votre proposition (max. 3000 signes) avant le 16 juillet 2023, accompagnée d’une courte biographie scientifique à

brigitte.pirastru@uco.fr et andrea.micke-serin@uco.fr



Bibliographie :

Antikomplex (Ed.), Das Verschwundene Sudetenland (Zmizelé Sudety), Prag: Antikomplex, 2004

Erikson Erik H., Kindheit und Gesellschaft (1957), Stuttgart: Klett-Cotta, 1982

Ferro Marc, Les tabous de l’histoire, Paris : NiL Editions, 2002 

Genette Gérard, Palimpsestes, Paris : Seuil, 1982 

Genette Gérard, Palimpseste. Die Literatur auf zweiter Stufe, Frankfurt/Main: Suhrkamp, 1993

Hilzinger Sonja (Hg.), Christa Wolf. Sämtliche Essays und Reden, Band 1: 1961–1980 Lesen und Schreiben, Band 2: 1981–1990 Wider den Schlaf der Vernunft, Band 3: 1991–2010 Nachdenken über den blinden Fleck. Berlin: Suhrkamp, 2021  

Jacob Joachim, Nicklas Pascal, «Einleitung: Der Palimpsest und seine Lesarten» in: Palimpseste. Zur Erinnerung an Norbert Altenhofer. Hg. dies. Heidelberg: Winter 2004

Mitscherlich Alexander und Margarete, Die Unfähigkeit zu trauern (1967), München: Piper Verlag, 1988

Osthues Julian, Literatur als Palimpsest. Postkoloniale Ästhetik im deutschsprachigen Roman der Gegenwart, Bielefeld: transcript, 2017 

Pfeil Ulrich (Hg), Mythes et tabous des relations franco-allemandes au XXe siècle - Mythen und Tabus der deutsch-französischen Beziehungen im 20. Jahrhundert, Bern u.A: Peter Lang, 2012 

Poujol Jacques, « Sans attendre 1685, le "nettoyage" des Cévennes » in : Réforme n° 2084, L’édit de Nantes est révoqué, Paris : 23 mars 1985

Sabrow Martin, Die Macht der Mythen. Walther Rathenau im öffentlichen Gedächtnis, Berlin: Verlag Das Arsenal, 1998

Schilling Jonathan, « Mehr als Heimatfilm. Ruth Leuwerik, „Die Trapp-Familie“ und der Publikumsgeschmack der Adenauer-Zeit » in Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte, Heft 1, Januar 2023, De Gruyter Oldenbourg 

Spieker Markus, Hollywood unterm Hakenkreuz. Der amerikanische Spielfilm im Dritten Reich, Filmgeschichte International, Schriftenreihe der Cinémathèque Municipale de Luxembourg, Band 6, Trier/ Wissenschaftlicher Verlag Trier, 1999

Tedoldi Michel, Un pacte avec le diable, Paris : Fayard 2023.



Comité d’organisation :

Dr. Andrea MICKE-SERIN (Université catholique de l’Ouest, Angers) 

Dr. Brigitte RIGAUX-PIRASTRU (Université catholique de l’Ouest et Université d’Angers)

Comité scientifique :

Dr. Andrea MICKE-SERIN (Université catholique de l’Ouest, Angers) 

Dr. Brigitte RIGAUX-PIRASTRU (Université catholique de l’Ouest et Université d’Angers)

Prof. Dr. Gwénola SEBAUX (Université catholique de l’Ouest, Angers)

PH Dr. Jens SPÄTH (Albert-Ludwigs-Universität Freiburg und Universität des Saarlandes).