La littérature et les autres arts
Sorbonne Université - Doctorales de l'ED 3 - 10 juin 2023
Appel à communications pour la journée d’étude « La littérature et les autres arts »,
organisée par les doctorant·es de l’école doctorale III de Sorbonne Université et destinée aux doctorant·es et jeunes docteur·es.
Date limite d’envoi des propositions de communication : 25 avril 2023
Longueur des propositions de communication : 250 mots maximum, accompagnés d’une courte biobibliographie
Profil des intervenants : doctorant·es ou jeunes docteur·es
Réponse : début mai 2023
Date de la journée d’étude : 10 juin 2023
Durée des communications : 15 minutes
Adresse d’envoi : doctoralesed3@gmail.com
La journée d’étude aura lieu exclusivement en présentiel et en français. Les frais de déplacement et de séjour ne seront pas pris en charge.
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Doctorales 2023, Sorbonne Université, Samedi 10 juin 2023, 9h-12h, Amphithéâtre Cauchy
En 1969, le philosophe Etienne Souriau proposait une classification des arts[i], en distinguant sept disciplines et en remaniant ainsi la représentation antique des neuf Muses. Cette classification débattue et repensée au cours des siècles a fait émerger dans les écrits théoriques comme dans les pratiques une conception à la fois analogique et différentielle des disciplines artistiques. Il s’agira pour nous de questionner et d’exposer les liens entre la littérature, art du langage, et les autres pratiques artistiques et créatives, dans une conception étendue de l’art. Cette démarche comparative et interdisciplinaire pourra ainsi convoquer l’architecture, la sculpture, les arts plastiques (peinture, dessin, bande dessinée…), le cinéma, la photographie, la musique, la danse, les arts du spectacle, ou bien même les jeux vidéo.
La littérature noue des relations singulières et riches avec l’ensemble des autres domaines artistiques. Il sera intéressant d’interroger cette interconnexion et de montrer comment la littérature accueille les autres arts, non seulement dans sa production textuelle, mais aussi dans sa propre conception théorique, et comment les emprunts à d’autres techniques et pratiques artistiques ont pu enrichir la création littéraire. Les spécialistes d’autres disciplines sont chaleureusement invité·e·s à participer. Les propositions de communication pourront s’inspirer librement des pistes de réflexion suivantes.
Concevoir une histoire de la littérature et des arts
Dès l’Antiquité, la classification des arts a mené à une vision hiérarchique des disciplines qui accorde une importance particulière à l’art du discours, l’art des mots et de la parole. Cet art de l’organisation des idées s’est fait le médium d’une théorie des arts élaborée en parallèle de réflexions poétiques et esthétiques. Aristote avec sa Poétique et sa Rhétorique circonscrit le champ de la création littéraire, en fixe les genres, les techniques, les outils propres. Tout en formulant des principes poétiques, l'Épître aux Pisons d’Horace introduit une analogie entre la peinture et la poésie : ut pictura poesis, l’écrivain et le peintre ont une ambition commune. C’est donc toujours dans un rapport analogique et différentiel, en complément d’une théorie de correspondance des arts, que s’élabore une réflexion poétique.
Par ailleurs, la redécouverte des textes fondateurs d’Aristote à partir du XIIe siècle influence durablement la conception de la création littéraire, et accorde à la littérature une dignité de poids dans la hiérarchie des arts. La poétique littéraire constitue alors un modèle pour les autres arts, auxquels elle impose ses normes et son vocabulaire. Dès lors, dans un souci de légitimation, le théoricien allemand Joachim Burmeister conceptualise la musique en appliquant les figures de rhétorique aux motifs musicaux ; ses traités, Musica poetica (1606) et Musica autoschédiastikè (1601)[ii], cherchent ainsi à doter l’art musical d’une théorie, tout en rapprochant la musique de la rhétorique.
Par conséquent, réfléchir aux liens entre les arts, c’est aussi penser l’histoire de leur théorisation, une histoire de l’esthétique qui s’est souvent conçue dans la correspondance des arts.
Écrire les arts
De fait, c’est parce qu’elle est art des mots et de l’organisation des idées que la littérature s’est souvent trouvée être le lieu de la réflexion, du jugement, de l’analyse et de l’élaboration théorique d’un discours sur l’art. Il serait pertinent alors de se pencher sur ce discours, qui se développe au XVIIIe siècle, notamment avec les écrits de l’abbé Du Bos (Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, 1718-1719) et les Salons de Diderot (1759-1781), pour s’ériger en véritable genre : la critique d’art.
Les frontières entre discours sur l’art et créations littéraires deviennent plus poreuses. C’est le cas des écrits de Baudelaire, Huysmans, Apollinaire ou encore Breton. Dans le cas de La Chambre claire de Barthes, texte hybride consacré à la photographie qui mêle écriture de soi et essai, l’auteur apporte une dimension émotionnelle et subjective à l’écriture sur l’art et mêle étroitement littérature et réflexion artistique.
On pourrait alors s’interroger sur les outils dont dispose la littérature pour parler d’art, s’intéresser à l’irruption dans le champ littéraire d’un vocabulaire spécifique et technique issu de la pratique des autres arts, questionner le regard de l’auteur·rice sur ces autres domaines artistiques.
Représenter les arts au sein du tissu textuel
La littérature a la particularité de pouvoir représenter l’ensemble des autres arts, soit dans une perspective mimétique, soit dans une perspective d’appropriation, voire de recréation. Ainsi, nombreux et nombreuses sont les auteurs et autrices qui parviennent à rendre visibles, audibles, perceptibles, des œuvres d’art. Par exemple, Balzac tente de raconter tout un opéra dans Gambara ou dans Massimilla Doni. L’immersion du lecteur, permise par la description, voire l’hypotypose, transforme l’expérience artistique en une expérience de lecture spécifique qui modifie sa perception de l’œuvre d’art. Dans le cas des arts visuels, la littérature a souvent recours à l’ekphrasis pour donner à voir au lecteur des tableaux, des sculptures, des tapisseries. Quelles contraintes techniques et quels enjeux esthétiques ce procédé implique-t-il ? La médiation induite par le texte invite à réfléchir sur les effets que les mots ont sur les œuvres d’art.
Il serait par conséquent intéressant de se demander comment la littérature transforme une matière non textuelle (picturale, musicale) en matière verbale, et ce que ce pouvoir d’évocation – voire d’invocation – apporte à l’œuvre d’art représentée. Cette question est d’autant plus frappante quand la littérature s’emploie à représenter des œuvres fictives. Les Onze de Pierre Michon, par exemple, décrit un tableau fictif et fait la biographie d’un peintre fictif. De même, Proust multiplie les passages consacrés à la petite sonate de Vinteuil dans Du côté de chez Swann, exprimant, par le pouvoir des mots, la singularité et le mystère de ce morceau musical fictif.
Atteindre un art par un autre
Non seulement la littérature s’emploie à représenter les autres arts, qu’elle incorpore dans le tissu textuel, mais plus encore, elle s’en nourrit. De même qu’elle a inspiré certains concepts aux différents champs artistiques, de même elle s’est approprié le vocabulaire artistique pour se concevoir elle-même, soulignant par là les rapports étroits qu’elle entretient avec eux. De fait, les écrivain·es usent souvent de métaphores architecturales pour envisager l’élaboration de leur œuvre (cathédrale de papier, mosaïque...). Mallarmé conçoit ainsi son « livre total », qu’il espérait son Grand Oeuvre[iii], comme « architectural et prémédité[iv] » : en mêlant les deux champs artistiques, architecture et littérature, le poète exprime la grandeur de cet ouvrage à venir dont il pense minutieusement la structure.
Par ailleurs, loin de se limiter à un simple emprunt terminologique, les auteurs et autrices s’imprègnent des autres champs artistiques et les transforment en véritables passerelles vers le texte. Roland Barthes évoque ainsi, en faisant référence à l’ouvrage théorique de Marcel Proust Contre Sainte-Beuve, une « théorie de [la] communication entre les arts[v] », c’est-à-dire la capacité d’atteindre un art par un autre. Balzac aurait ainsi écrit la Comédie humaine en ayant en tête une idée de peinture. De même, Barthes souligne que le haïku, par sa nature même, pourrait être saisi à travers l’art photographique. On pourra alors explorer cette façon de concevoir la littérature à partir d’un autre champ artistique.
Enfin, la littérature a la capacité de s’approprier les techniques des autres arts, devenant ainsi une forme hybride, complexe, plurielle. Elle convertit de fait, dans et par le texte, des mouvements, des changements d’optique, des découpages et des combinaisons qui semblaient jusqu’alors propres à tel ou tel domaine. Annie Ernaux donne à lire, dans Les Années, des passages qui s’apparentent à de véritables scènes cinématographiques, courtes mais intenses[vi] ; Jean- Paul Sartre, dans Le Sursis, s’inspire du montage cinématographique ; Wajdi Mouawad recourt quant à lui au zoom photographique dans la scène du bus d’Incendies, racontée par le personnage de Nawal. Ces emprunts, parfois de l’ordre de l’expérimentation littéraire, transforment le rapport au texte et à la lecture. On pourra se demander quelles déformations, quelles transformations, quelles distorsions découlent de ce phénomène, et en quoi il participe au renouvellement et à la galvanisation de la littérature.
Au-delà d’une classification des arts ?
Ces emprunts, ces rapports analogiques, mènent à des collaborations étroites de disciplines artistiques, dont la différenciation a pu être remise en cause. Les arts du spectacle, de la scène, offrent un bon exemple d’une interpénétration indissociable des pratiques artistiques : est-il légitime d’étudier une comédie-ballet de Molière sans tenir compte de la partition musicale, comme on le fait souvent dans les études littéraires ? L’objet artistique doit-il toujours être conçu dans un champ artistique cloisonné ? Comment penser la poésie sans s’intéresser à sa musicalité, à ses effets sonores et rythmiques ?
On pourra ainsi questionner ces classifications artistiques, étudier l'œuvre comme le produit d’une création usant de moyens littéraires, picturaux, musicaux concourant à un but commun, ou cherchant à créer des effets de contraste pour mieux s’enrichir.
[i] Etienne Souriau, La Correspondance des arts, éléments d'esthétique comparée [1947], Paris, Flammarion, coll. « Science de l’Homme », 1969.
[ii] Joachim Burmeister, Musica poetica [1606], augmentée des plus excellentes remarques tirées de Hypomnematum musicae poeticae (1599) et de Musica autoschédiastikè [1601], introduction, traduction, notes et lexique par Agathe Sueur et Pascal Dubreuil, Bruxelles, Éditions Mardaga, 2007.
[iii] Claude Abastado, « Le “livre” de Mallarmé : un autoportrait mythique », in Romantisme, n°44, 1984, p. 65-82.
[iv] Stéphane Mallarmé, Correspondance, II, p. 301.
[v] Roland Barthes, La Préparation du roman [2003], Seuil, coll. « Points Essais », 2019, p. 173.
[vi] Voir par exemple l’analyse de Marie-Pascale Huglo, « Entrer dans un art par un autre » : cinématographie de la petite scène chez Roland Barthes et Annie Ernaux, https://books.openedition.org/quodlibet/490?lang=fr.
Bibliographie indicative
ARISTOTE, La Poétique, texte, traduction, notes par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, éditions du Seuil, coll. « Poétique », 2011.
ADORNO, Theodor Wiesengrund, L’Art et les arts, textes réunis, traduits et présentés par Jean Lauxerois, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.
BARTHES, Roland, La Préparation du roman, Paris, Éditions du Seuil, 2003.
CAYE, Pierre, MALHOMME, Florence, Quand l’art se dit et se pense. Les théories artistiques de l’Antiquité aux Lumières, Paris, Classiques Garnier, 2018.
CHALUMEAU, Jean-Luc, Les Théories de l'art : philosophie, critique et histoire de l'art de Platon à nos jours, Paris, Vuibert, 2002.
CHATEAU, Dominique, Qu'est-ce que l'art ?, Paris, L'Harmattan, 2000.
DENIZEAU, Gérard, Le Dialogue des arts : architecture, peinture, sculpture, littérature, musique, Paris, Larousse, 2008.
DIRKX, Paul (dir.), L’Œil littéraire : la vision comme opérateur scriptural, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
GLIKSOHN, Jean-Michel, « Littératures et arts », dans Pierre Brunel et Yves Chevrel (dir.), Précis de littérature comparée, Paris, PUF, 1989, p. 245-261.
KONSTANTINOVIĆ, Zoran, SCHER, Steven P., WEISSTEIN, Ulrich, Actes du IXe Congrès de l’AILC, t.3, Literature and the other arts, Innsbruck, Institut für Sprachwissenschaft, 1981.
LICHTEN, Albert, Le Signe et le tableau : peinture, écriture, référent dans la pensée contemporaine de la peinture, Paris, Honoré Champion, 2004.
ROQUE, Georges (dir.), Majeur ou mineur ? Les hiérarchies en art, Nîmes, édition Jacqueline Chambon, coll. Rayon Art, 2000.
VOUILLOUX, Bernard, Le Tournant « artiste » de la littérature française : écrire avec la peinture au XIXe siècle, Paris, Hermann Glassion, 2011.
Organisation : Bérengère Darlison, Clara Filippe, Yuwei Gong, Marie Janin-Sartor, Lucas Kervegan, Pauline La Burthe, Louise Mai, Typhaine Sacchi