Éclatement des formes, des théories et des pratiques didactiques de la littérature sous l'impact du numérique (Volume 18 de la R2LMM)
En concomitance avec la tenue du 3e colloque international sur l’enseignement de la littérature avec le numérique, ayant lieu dans le cadre du 90e Congrès de l’Acfas (Montréal, 10-12 mai 2023), la revue R2LMM lance un appel à articles portant sur les trois axes de l’évènement. Après avoir analysé « l’influence des ressources numériques sur l’enseignement » (Grenoble, 2017) et les enjeux de « form[ation] de l’adulte de demain » (Montréal, 2019), il s’agira notamment d’interroger l’évolution des formes artistiques et littéraires numériques, des approches théoriques et didactiques ainsi que des pratiques d’enseignement de la littérature sous l’impact du numérique. On souhaite, par cela, faire état d’une époque post-révolution numérique, les « mutations » (Bessard-Banquy, 2012) des pratiques de lecture et les « métamorphoses du livre » (Chartier, 2001) à l’ère numérique ayant progressivement mené à une reconfiguration du « fait littéraire » (Monjour, Vitali-Rosati et Wormser, 2016), du discours critique et social sur les écrits d’écran (Souchier, 1996) ainsi que des attentes concernant la formation littéracique des jeunes.
Axe 1 : Éclatement des formes littéraires, artistiques et documentaires numériques. Comment la production littéraire, artistique et documentaire pour les jeunes publics et pour les adolescent·e·s est-elle en train d’évoluer ? Quelles sont ses formes et ses nouvelles filiations ? Quels sont ses convergences et ses points de rupture avec les modèles traditionnels ou du moins antérieurs, qu’ils soient numériques ou analogiques ?
Axe 2 : Éclatement des approches théoriques et didactiques. Quelles formes d’éclatement des notions et des approches théoriques existantes (sémiotiques, narratologiques, poétiques, didactiques, etc.) peut-on déceler ? À quelles recompositions et reconfigurations de théories antérieures assiste-t-on ? Comment se théorise la didactique de la littérature numérique ? Quels moyens sont mis à l’épreuve pour penser les arts littéraires numériques et leurs transpositions didactiques ?
Axe 3 : Éclatement des pratiques didactiques. Comment s’incarne dans la classe l’éclatement des pratiques littéraires, artistiques et documentaires numériques contemporaines ? Comment l’éclatement est-il scolarisé (en termes de corpus, savoirs, compétences, etc.) ? Comment les œuvres numériques se lisent-elles et s’étudient-elles ? Comment se trouvent-elles associées ou non aux œuvres analogiques plus communément travaillées en classe ?
Ce numéro de la revue R2LMM contiendra, par ailleurs, une section de documentation de pratiques, consacrée aux différents chantiers du projet de recherche MULTINUMERIC (FRQSC, 2021-2024).
Manifestations d’intérêt : les propositions, incluant un titre et un court résumé (5-10 lignes), seront envoyées à Eleonora Acerra (eleonora.acerra@uqat.ca) et Jean-François Boutin (profboutin@gmail.com) avant le 16 février 2023.
Modalités de soumission des articles : les articles devront respecter les indications fournies sur le site web de la revue dans la Section Soumission.
Calendrier de publication
- Envoi des manifestations d’intérêt : 16 février 2023.
- Envoi de la première version des articles : 15 juin 2023.
- Retour des arbitrages : 15 aout 2023.
- Envoi de la deuxième version des articles : 15 octobre 2023.
- Publication : décembre 2023.
Texte de cadrage
Cinquante ans d’expérimentations technolittéraires et technoartistiques ont en effet mené au développement d’une production large et éclatée, dont la richesse et la diversité formelle, générique et technologique sont bien illustrées par les outils de catalogage progressivement développés pour en documenter les manifestations et en favoriser la découvrabilité (Bisaillon, 2018), tels leRépertoire des écritures numériques, Lab·yrinthe ou le nouveau Catalogue des œuvres littéraires numériques du Québec. Les œuvres de première génération (hypertextes narratifs, poèmes et récits génératifs, performances littéraires en ligne, etc.), tout comme les formes d’arts littéraires numériques (Bisenius, Audet et Gervais, 2022) plus récentes, souvent sociales, ludiques, géolocalisées, issues de combinaisons de flux de données ou de systèmes d’intelligence artificielle (Grumbach, 2022), témoignent d’expérimentations, technologiques et littéraires qui, constamment, interrogent les rapports aux supports, aux médias et aux espaces (médiatiques et analogiques), en mettant à l’épreuve, en repoussant et en éclatant les frontières génériques, formelles et techniques de la littérature. Ce faisant, elles révèlent également leur potentiel heuristique (Bouchardon, 2014). Non seulement elles se prêtent à (ré)interroger des concepts clés de la théorie littéraire, de la narratologie, de la sémiotique ou de la linguistique, comme ceux de « genre », de « littérarité » ou de « récit », mais elles invitent à éclater la focale et à observer, analyser et penser leurs phénomènes, expérimentations et spécificités à l’aune de cadres théoriques mixtes, issus, entre autres, des études littéraires, vidéoludiques ou cinématographiques. Comment s’actualise alors cette métamorphose formelle, générique et technologique dans la création numérique contemporaine ? Comment les nouvelles formes d’arts littéraires numériques et les interactions entre codes, dispositifs et manifestations du sens sont-elles en train de reconfigurer les poétiques et la rhétorique contemporaines ? Quels croisements théoriques et méthodologiques semblent nécessaires pour penser l’écosystème littéraire numérique et son éclatement ? Comment de telles œuvres, et les questionnements qu’elles engendrent sur les nouvelles textualités, matérialités et cultures numériques, se répercutent-elles sur les pratiques et les objets d’enseignement ?
Considérer les arts littéraires numériques comme potentiellement scolarisables, c’est admettre qu’ils puissent appartenir aux corpus scolaires et qu’ils puissent être enseignés en tant qu’objets numériques et en tant qu’objets littéraires, contribuant ainsi autant à l’apprentissage de la lecture-écriture littéraire que des codes et des cultures numériques. Plusieurs travaux des dernières années ont montré les expériences actuellement menées en classe, en cherchant à décrire les corpus mobilisés, les savoirs et les compétences littéraires et numériques travaillées par les enseignant·e·s ainsi que les apprentissages des élèves, et ce, en différents contextes et niveaux d’enseignement. Les publications issues des deux éditions précédentes de ce colloque (Brunel et Lacelle, 2017 ; Brunel et Boutin, 2020 ; Lacelle et Brehm, 2020), les ouvrages portant sur les pratiques d’enseignement de la littérature et de l’écriture numériques (Brunel et Quet, 2018 ; Petitjean et Houdart-Merot, 2015), les thèses soutenues ou en préparation interrogeant les usages scolaires d’applications, de livres audios et de jeux vidéos narratifs, tout comme les différents projets de recherche menés à l’échelle nationale et internationale, témoignent de la diversité de dispositifs, d’approches méthodologiques, de formes littéraires et de questionnements mis à l’épreuve. Comment sont perçus les poèmes numériques (Médard-Ghimire, 2016) ou les applications littéraires (Acerra et Louichon, 2018) ? Comment les spécificités sémiotiques et technologiques des œuvres numériques sont présentées par les enseignant·e·s ou saisies par les élèves pour construire le sens ? Quelles compétences ciblent les enseignant·e·s lorsqu’iels travaillent sur des récits interactifs (Brunel et Bouchardon, 2020), des vidéopoèmes (Florey, Jeanneret et Mitrovic, 2020) ou des jeux vidéos narratifs (Brunel, Acerra et Lacelle, 2022) ? On pourrait également se demander si d’autres types de travaux et d’activités numériques, qui reposent sur des œuvres analogiques, peuvent influencer les apprentissages littéraciques et littéraires. Les bandes-annonces littéraires (Gennai et Eugène, 2019), les book-tubes (Brillant-Rannou, 2018) peuvent-ils témoigner d’une réception subjective des élèves ? Les blogues et les forums (Moinard, 2017) peuvent-ils donner à voir l’évolution du rapport aux œuvres et des propositions interprétatives ? Les pratiques d’écriture sur les réseaux sociaux, par le biais d’avatars ou de profils réels, sont-elles à même de favoriser l’appropriation de l’œuvre littéraire (Augé, 2018), le développement de la réflexivité (Longhi, 2015), l’expression de soi ou la découverte poétique (Lemieux et al., 2022) ? Ces travaux et activités peuvent-ils mener, à terme, à l’étude d’œuvres nativement numériques ?
Or, la consolidation du recours dans les classes à certaines formes d’arts littéraires numériques (la twittérature, le blogue, la vidéopoèsie, etc.) et, en parallèle, l’émergence de nouveaux objets, supports et modalités de lecture, écriture et manipulation pourraient susciter des questionnements inédits. De même, l’implantation des référentiels des compétences numériques élaborés au fil des années dans les pays francophones et le recours à différentes stratégies institutionnelles d’intégration du numérique pourraient contribuer au développement d’approches didactiques de la littérature (par le) numérique très différentes, qu’il convient de documenter. Comment se transforme le panorama d’enseignement de la littérature (avec le) numérique, en fonction des corpus et de l’affirmation de certaines pratiques pédagogiques numériques ? Comment se lisent, se discutent et se pratiquent les arts littéraires numériques en classe ? À partir de quels cadres institutionnels, conceptuels et théoriques sont-ils appréhendés ?
C’est ce que nous invitons les contributeur·rice·s à observer, d’une part, en dressant un premier état des lieux de l’éclatement des formes littéraires, artistiques et documentaires numériques contemporaines, notamment de celles qui réussissent à s’inscrire progressivement dans le champ de l’enseignement formel — et informel — de la littérature, d’autre part, en interrogeant de façon critique les modalités d’appropriation personnelle et de transposition didactique adoptées par les enseignant·e·s dans différents contextes d’enseignement.
Les propositions pourront ainsi concerner des réflexions théoriques, des analyses de corpus numériques (potentiellement) scolarisables, des études empiriques de situations de classe, des enquêtes auprès des enseignant·e·s, etc..
Bibliographie
Acerra, E. et Louichon, B. (2018). Lire et débattre autour d’une application hypermédiatique de littérature pour la jeunesse à l’école primaire. Étude exploratoire. TEXTURA - Revista de Educação e Letras, 20(42). https://doi.org/10.17648/textura-2358-0801-20-42-3608
Augé, C. (2018). Écriture collaborative numérique et appropriation d’une œuvre patrimoniale. Le français aujourd’hui, 200, p. 57-66. https://doi.org/10.3917/lfa.200.0057
Bessard-Banquy, O. (dir.). (2012). Les mutations de la lecture. Presses universitaires de Bordeaux.
Bisaillon, J.-R. (2018). Qu’est-ce que la découvrabilité ? LATICCE - Wiki UQAM. https://wiki.uqam.ca/pages/viewpage.action?pageId=41077947
Bouchardon, S. (2014). La valeur heuristique de la littérature numérique. Hermann.
Brunel, M., Acerra, E. et Lacelle, N. (2022). Enseigner la littérature numérique : quelles traces
d’une adaptation à l’innovation des enseignants ? Communication présentée dans le cadre des rencontres du REF (Réseau international francophone de recherche en éducation et formation). Université de Namur et Université de Mons, 6-8 juillet 2022.
Bisenius-Penin, C., Audet, R. et Gervais, B. (2022). Introduction. Recherches & Travaux, 100. http://journals.openedition.org/recherchestravaux/4689
Brillant Rannou, N. (2018). Du BookTube à la vidéo de lecteur : enjeux d’un genre scolarisable. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 8. https://litmedmod.ca/sites/default/files/pdf/r2-lmm_vol8_rannou.pdf
Brunel, M. et Quet, F. (dir.) (2018). L’enseignement de la littérature avec le numérique. Peter Lang, coll. ThéoCrit.
Brunel, M. et Bouchardon, S. (2020). Enseignement de la littérature numérique dans le secondaire français : une étude exploratoire. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 11. https://doi.org/10.7202/1071476ar
Brunel, M. et Boutin, J.-F. (dir.) (2020). Enseigner les corpus numériques. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 11. https://litmedmod.ca/r2-lmm-vol11-septembre-2020
Brunel, M. et Lacelle, N. (dir.) (2017). Du texte à l’écran. Nouveaux corpus, nouvelles pratiques dans l’enseignement de la littérature. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 5. https://doi.org/10.7202/1046899ar.
Chartier, R. (2001). Les métamorphoses du livre : Les rendez-vous de l’édition : le livre et le numérique. Éditions de la Bibliothèque publique d’information. https://books.openedition.org/bibpompidou/1701?lang=fr
Florey, S., Jeanneret, S. et Mitrovic, V. (2020). Lire des œuvres littéraires numériques au secondaire post-obligatoire : représentations d’enseignants et objets d’apprentissage. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 11. https://doi.org/10.7202/1071477ar
Gennaï, A. et Eugène, M. (2018). Enseigner la littérature avec des bandes-annonces littéraires ou ce que les book trailers font aux œuvres littéraires. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 8. https://doi.org/10.7202/1050939ar
Guillemin, S., et Moura, K. (2022). Comprendre et interpréter un album de littérature jeunesse numérique : Copain ? de Charlotte Gastaut. Communication présentée dans le cadre de la Journée d’étude sur la littérature de jeunesse numérique en contexte scolaire, Lausanne, Suisse.
Grumbach, S. (2022). L’empire des algorithmes. Une géopolitique du contrôle à l’ère de l’anthropocène. Armand Colin.
Lacelle, N. et Brehm, S. (2020). Lieux de réception, de médiation et de (re)création par le numérique. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 12. https://litmedmod.ca/r2-lmm-vol12-novembre-2020
Lemieux, A. Barton G., Lewkowich D., White B., Gauthier M-C. et Beauchamp F. (2022). Instapoésie : de l’espace de partage littéraire virtuel à la production de textes poétiques en classe du secondaire. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 16. https://litmedmod.ca/instapoesie-de-lespace-de-partage-litteraire-virtuel-la-production-de-textes-poetiques-en-classe-du
Longhi, J. (2015). Pratiquer la twittérature à travers la twittécriture : position théorique, mise en pratique et retours d’expérience. Dans A.-M. Petitjean & V. Houdart-Mérot (dir.), Numérique et écriture littéraire : mutations des pratiques, p. Hermann, p. 61-75.
Médard-Ghimire, S. (2016). Lecteurs et lectures de poésie numérique en lycée. Dans N. Brillant-Rannou, C. Boutevin et M. Brunel, M. (dir.), Être et devenir lecteur(s) de poèmes. De la poésie patrimoniale au numérique. Presses universitaires de Namur, p. 135-153.
Moinard, P. (2017). Partages de lectures sur des blogues et forums scolaires au lycée. Revue de recherches en littératie médiatique multimodale, 5. https://www.erudit.org/fr/revues/rechercheslmm/2017-v5-rechercheslmm03725/1046906ar/
Monjour, S., Vitali-Rosati, M. et Wormser, G. (2016). Le fait littéraire au temps du numérique : pour une ontologie de l’imaginaire. Sens public. https://doi.org/10.7202/1044405ar
Petitjean, A.-M. et Houdart-Merot, V. (dir.) (2015). Numérique et écriture littéraire. Mutations des pratiques. Hermann.
Souchier, E. (1996). L’écrit d’écran, pratiques d’écriture & informatique. Communication & Langages, 107(1), p. 105-119. https://doi.org/10.3406/colan.1996.2662