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La machine naturaliste : stratégies d’expansion et retombées éditoriales (Paris)

La machine naturaliste : stratégies d’expansion et retombées éditoriales (Paris)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Aurélie Barjonet)

Colloque international

La machine naturaliste : stratégies d’expansion et retombées éditoriales

Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

14-15 septembre 2023 

 

En 1981 paraissait l’étude majeure de Jacques Noiray consacrée à l’image de la machine dans le roman français. Le premier volume montrait qu’Émile Zola ne s’est pas seulement intéressé à toutes les machines de son temps, les personnifiant et exprimant à travers elles sa confiance et sa peur du progrès, mais qu’elles sont au fondement de son imagination, donc de son art[1]. Présente au niveau de la production, la métaphore de la machine convient également pour décrire la réception des œuvres et des écrits théoriques de Zola, a fortiori transnationale.

Grâce à l’accélération des moyens de transport et à la mécanisation des techniques de production, les dynamiques littéraires prennent un élan sans précédent à la fin du XIXe siècle. La diffusion des textes en dehors des frontières nationales est désormais plus aisée, ce qui produit une internationalisation de la réception et des débats esthétiques. Notre colloque sera consacré aux rapports existants entre ces évolutions techniques et le succès mondial du naturalisme. Il se focalisera notamment sur les stratégies d’expansion de ce mouvement littéraire et les retombées éditoriales qui en découlent.

Yves Chevrel rappelle que, sous le Second Empire, le développement des chemins de fer améliore considérablement la diffusion des livres. Il donne l’exemple de la ligne Paris-Coimbra, ouverte en 1864, qui initie une « véritable révolution littéraire au Portugal[2] ». Ancien responsable du service publicité de la maison Hachette, Zola est conscient de cette accélération de la circulation des textes littéraires. Son projet naturaliste comporte – en quelque sorte – également un « volet marketing » à l’international, qu’il parvient à réaliser via différents « agents », notamment identifiés au moment de l’édition de sa Correspondance[3]. Grâce à ce réseau, ses textes se répandent rapidement et dans tous les coins du monde. Nana (1880), par exemple, ne met que six semaines à passer de Paris à Buenos Aires, dans la rubrique feuilleton du journal La Nación

Théâtre d’importants combats intellectuels et d’innovations esthétiques, la capitale française devient, au XIXe siècle, « la ville dotée du plus grand prestige littéraire au monde », ainsi que l’a montré Pascale Casanova[4]. Le naturalisme est l’un des premiers mouvements littéraires qui savent en tirer profit en se répandant dans le monde entier. Alors que ce mouvement est souvent considéré comme anti-littéraire, notamment parce qu’il rompt avec les esthétiques dominantes, il renoue par le franchissement des frontières nationales avec l’idéal renaissant de la république des lettres. Il n’est pas moins vrai que le naturalisme incarné par Zola heurte les sensibilités, et tout particulièrement à l’étranger, notamment en tant que produit d’importation français. Placé dans de nouveaux contextes culturels et sociaux, le naturalisme connaît ainsi des réinterprétations, selon que l’on s’attache à ses idées, ses romans, ou à ce qu’untel en retient. Il se décline en naturalisme « radical » (en Allemagne, avec Gerhart Hauptmann), en naturalisme « catholique » (en Espagne, avec Emilia Pardo Bazán) ou en naturalisme « tropical » (au Brésil, avec Aluísio Azevedo). D’ailleurs, Colette Becker et Pierre-Jean Dufief ont, pour le dictionnaire qu’ils ont coordonné sur le naturalisme international, opté pour le pluriel[5].

Nous nous demandons comment se produit concrètement cette circulation transnationale du mouvement zolien. Comment travaillent ces agents du naturalisme[6] ? Quels sont les mécanismes qui rendent possible la diffusion des textes et quels en sont les effets ? Quel est le rapport entre l’écriture naturaliste et les nouvelles conditions de production des livres ? Dans quelle mesure les débats autour du naturalisme font-ils évoluer les voies de communication, ou sont-ils influencés par eux ? Quelles sont les retombées éditoriales – et non uniquement littéraires – du naturalisme (développement de certains formats de livre, de produits dérivés, etc.) ? Le succès international du naturalisme est bien connu[7] mais insuffisamment dans sa dimension matérielle, sans compter que de nombreux phénomènes transnationaux restent à explorer, en particulier à travers des « études comparatistes de réception, c’est-à-dire des travaux qui comparent plusieurs naturalismes étrangers[8] », comme l’ont souligné récemment Aurélie Barjonet et Karl Zieger. Notre colloque se fixe donc trois objectifs :

1.      comprendre le rôle des moyens de transport, de la mécanisation des techniques et des stratégies marketing dans la réception internationale des textes naturalistes ;

2.      analyser les réseaux d’acteurs transnationaux, leurs voies de communication et le rôle des supports médiatiques dont ils se servent ;

3.      définir le naturalisme comme un genre transnational qui, grâce à l’évolution du marché du livre, connaît différentes modifications d’un espace culturel à l’autre.

Le colloque est organisé par Aurélie Barjonet et Timo Kehren et aura lieu du 14 au 15 septembre 2023 à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Les propositions de communication, d’environ une demi-page (titre et résumé), accompagnées d’une information bio-bibliographique, sont à envoyer par voie électronique avant le 31 janvier 2023 à l’adresse suivante : lamachinenaturaliste@gmail.com. Il sera financé par la bourse Jean d’Alembert Paris-Saclay obtenue par Timo Kehren en 2022 et par le Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines.

Comité scientifique :

Aurélie Barjonet (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France)

Pedro Paulo Catharina (Universidade Federal do Rio de Janeiro, Brésil)

Yves Chevrel (Sorbonne Université, France)

Timo Kehren (Universität Mainz, Allemagne / Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France)

Olivier Lumbroso (Université Sorbonne Nouvelle, France)

Carolyn Snipes-Hoyt (Burman University, Canada)

Karl Zieger (Université de Lille, France)


[1] « Tout se passe comme si l’imagination tendait à assimiler à la machine tout ensemble complexe et organisé, à condition qu’il soit susceptible de fonctionnement. » Jacques Noiray, Le Romancier et la machine. L’image de la machine dans le roman français, 1850-1900, Paris, José Corti, t. 1 : L’Univers de Zola, 1981, p. 292.
[2] Yves Chevrel, Le Naturalisme. Étude d’un mouvement littéraire international, Paris, PUF, 1982, p. 34.
[3] Émile Zola, Correspondance, éd. par Bard Hendrik Bakker et Henri Mitterand, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, Paris, Éditions du CNRS, 11 vol., 1978-1995/2010.
[4] Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999.
[5] Colette Becker et Pierre-Jean Dufief (dir.), Dictionnaire des naturalismes, Paris, Champion, 2017, 2 vol.
[6] On pourra s’appuyer sur la correspondance de Zola avec son agent dans le monde anglophone, parue il y a vingt ans déjà : Dorothy E. Speirs et Yannick Portebois (éd.), Mon cher Maître. Lettres d’Ernest Vizetelly à Émile Zola, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2002.
[7] En plus des nombreux travaux écrits ou dirigés par Yves Chevrel, voir notamment : Józef Heistein (dir.), La Réception de l’œuvre littéraire, Wrocaw, Wydawnictwo Uniwersytetu Wrocawskiego, 1983 ; Winfried Engler et Rita Schober (dir.), Hundert Jahre « Rougon-Macquart » im Wandel der Rezeptionsgeschichte, Tübingen, Narr, 1995 ; Auguste Dezalay (dir.), Zola sans frontières, Presses universitaires de Strasbourg, 1996 ; Carolyn Snypes-Hoyt et Anna-Gural Migdal (dir.), Zola et le texte naturaliste en Europe et aux Amériques. Généricité, intertextualité et influences, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2006 ; Norbert Bachleitner, Tone Smolej, Karl Zieger (dir.), Zola en Europe centrale, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Valenciennes, 2012 ; Carolyn Snypes-Hoyt, Marie-Sophie Armstrong, Riikka Rossi (dir.), Re-Reading Zola and Worldwide Naturalism : Miscellanies in Honour of Anna Gural-Migdal, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2013 ; Céline Grenaud-Tostain et Olivier Lumbroso (dir.), Naturalisme – vous avez dit naturalismeS ?, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2016 ; Christopher Hill, Figures of the World : The Naturalist Novel and Transnational Form, Evanston, Northwestern University Press, 2020 ; Aurélie Barjonet et Karl Zieger (dir.), Zola derrière le rideau de fer, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2022.
[8] Aurélie Barjonet et Karl Zieger, « Naturalismes du monde : l’apport de la littérature comparée », Les Cahiers naturalistes, n° 94, 2020, p. 395-415, ici p. 415.