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L'Europe de Beaumarchais (Sorbonne Université)

L'Europe de Beaumarchais (Sorbonne Université)

Publié le par Marc Escola (Source : Virginie Yvernault)

L’Europe de Beaumarchais 

Les 20 et 21 janvier 2023, Paris

Colloque international organisé par

Linda Gil (Université Paul Valéry Montpellier 3 – IRCL),

Gilles Montègre (Université Grenoble Alpes – LUHCIE)

et Virginie Yvernault (Sorbonne Université – CELLF)

 
À l’intersection d’une culture populaire et d’une culture savante, Beaumarchais est un homme du livre, fin lecteur et éditeur avisé : toutes ses activités passent par une pratique de la communication écrite - mémoires, plans, rapports, projets, mais aussi articles de presse et correspondance – qui fait de lui un intellectuel. 

Avec le succès des Mémoires contre Goëzman, dans les années 1770, Beaumarchais acquiert une célébrité européenne qui se fonde autant sur ses œuvres que sur ses multiples activités : après un long séjour en Espagne, où il fréquente les diplomates les plus en vue et tente d’accroître l’influence française à l’étranger, il est envoyé en mission secrète à Londres, où il se mêle cette fois aux milieux louches de Grub Street et négocie avec le chevalier d’Éon. À la poursuite d’un libelle scandaleux, il se rend aussi en Hollande et parcourt l’Allemagne avant de se retrouver prisonnier à Vienne sur ordre du chancelier Kaunitz. Ces voyages à travers l’Europe ont contribué pour beaucoup à façonner l’image de Beaumarchais à laquelle la postérité s’est accoutumée, celle d’un aventurier infatigable, intrigant et insolent à souhait comme son barbier Figaro. Aujourd’hui encore, cette image oriente une grande part de la production critique ou biographique qui prend pour objet cette figure des Lumières (un symptôme de ce qu’on peut appeler la figaromania[1]). L’Europe de Beaumarchais se dévoile pourtant sous un jour nouveau si on la considère au prisme d’une « nouvelle histoire de la diplomatie » : celle-là même qui valorise l’importance des acteurs informels et des réseaux parallèles de la négociation, qui insiste sur l’enchâssement des échelles de l’information, et qui valorise les croisements avec les études littéraires et culturelles. 

Si maints de ses contemporains le perçoivent comme un dilettante à l’honnêteté parfois douteuse (les accusations qui pèsent sur lui lors de l’affaire viennoise montrent le peu de crédit que les grands lui accordent), Beaumarchais nourrit des desseins dont la visée, mais aussi la cohérence le distinguent résolument des aventuriers des Lumières étudiés naguère par Alexandre Stroev. La vocation de ce fils d’horloger parisien pour la politique est aussi ancienne que durable : en témoignent les nombreux mémoires qu’il adresse aux ministres de Louis XV et de Louis XVI, qui, pour la plupart, sont conservés à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française, dans les archives nationales ou dans les archives diplomatiques et qui offrent un tableau de ses vues européennes à travers l’exposé de nombreux projets politico-commerciaux impliquant la France, l’Espagne ou l’Angleterre. La riche correspondance de Beaumarchais, dont une large part demeure inédite, permet elle aussi de prendre la mesure de ces réflexions politiques qui s’étendent à différentes aires linguistiques et géographiques de l’espace européen. Au fil de ces échanges avec les représentants de la diplomatie ou de l’infra-diplomatie se dessine une certaine idée de l’équilibre des puissances européennes, que l’on retrouve dans la pratique et les écrits de plusieurs ministres et ambassadeurs contemporains, tels que Vergennes ou Bernis.

L’attrait de Beaumarchais pour les affaires publiques, qui se double d’un sens particulier du négoce, est cependant bien souvent contrarié par ses origines sociales. La distorsion entre l’image de l’aventurier dilettante et amateur et la réalité des ambitions de cet intellectuel des Lumières provient de son audacieux parcours de « transfuge de classe ». À l’instar d’un Casanova, les voyages que Beaumarchais entreprend à travers l’Europe lui offrent ainsi la possibilité de reconfigurer à de multiples reprises un crédit social visant à favoriser son ascension au sein de la société d’Ancien Régime[2]. Ses détracteurs, nombreux, ne lui pardonnent pas d’être « tour à tour politique, négociateur, commerçant, auteur, plaideur, dissertateur, libertin[3] », pour reprendre la formule dénigrante du rédacteur des Mémoires secrets, d’autant que le succès de celui qui devient une véritable  figure publique (Antoine Lilti) a de quoi agacer : son œuvre littéraire, constituée pour l’essentiel de pièces de théâtre et de factums, s’exporte avec la plus grande facilité, quoique sous des formes extrêmement variées qui, loin du mythe d’une Europe française des Lumières[4], rendent compte des appropriations nationales singulières dont elle fait l’objet.

L’objet de ce colloque, qui s’inscrit dans le prolongement du projet d’inventaire et d’édition numérique de la correspondance de Beaumarchais mené autour de Linda Gil à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, sera donc d’interroger la trajectoire européenne de Beaumarchais en mobilisant les apports des recherches récentes et en faisant varier les échelles d’observation afin que l’accent soit mis sur les mécanismes de circulation des hommes et des textes[5]. Dans une double perspective historienne et littéraire et en complément des études ponctuelles et localisées, une attention particulière sera accordée à la mise au jour des réseaux transnationaux d’intermédiaires et de correspondants de Beaumarchais. L’Europe de Beaumarchais pourra également être abordée à travers la « diaspora des objets[6] » relatifs au dramaturge ou à son œuvre.

Plusieurs pistes susceptibles de réévaluer l’image déformante de l’intrigant aventureux et du dilettante incompétent ou de mettre en valeur des pans souvent négligés du corpus beaumarchaisien pourront ainsi être explorées :

- Beaumarchais et la « société des diplomates[7] » en Europe. À travers le dossier espagnol, les négociations avec le chevalier d’Éon, l’aventure autrichienne ou encore l’entreprise de Kehl[8], c’est l’appartenance de Beaumarchais à une société des diplomates complexe, transversale et bigarrée qui mérite d’être interrogée. Il est possible de le faire à travers la correspondance (dont une part importante demeure dans les archives diplomatiques), les échanges autour du Courrier de l’Europe, réunis par Gunnar et Mavis von Proschwitz[9], ainsi que les mémoires adressés aux ministres ou aux agents non officiels des gouvernements. Les Observations sur le Mémoire justificatif de la Cour de Londres, auxquelles répond l’historien britannique Edward Gibbon, en est un exemple parmi d’autres.

- Beaumarchais, un intellectuel voyageur dans l’Europe des Lumières ? Les échanges avec les princes éclairés, avec les comédiens, écrivains, traducteurs et imprimeurs étrangers pourront être réexaminés au prisme des voyages et des circulations internationales des hommes et des savoirs. Il s’agira également de restituer les vues politiques et philosophiques de Beaumarchais en mettant en avant sa conscience aiguë des enjeux des échanges internationaux. L’on pourra enfin établir des comparaisons avec d’autres figures emblématiques des Lumières européennes.

- La réception et la circulation européenne des œuvres de Beaumarchais. La figaromania s’étend à toute l’Europe ; les œuvres théâtrales, mais aussi judiciaires séduisent les différents publics européens. L’on pourra étudier avec profit certaines traductions, adaptations ou mises en scène des œuvres dramatiques, du XVIIIe siècle à nos jours.

Le colloque se tiendra à Paris les 20 et 21 janvier 2023 (la première journée à la Comédie-Française, la seconde en Sorbonne).

Les propositions de communication, qui n’excéderont pas une page et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique, sont à envoyer, au plus tard le 30 septembre 2022, conjointement aux trois adresses suivantes : linda.gil@univ-montp3.fr ; gilles.montegre@univ-grenoble-alpes.fr ; virginie.yvernault@sorbonne-universite.fr 

[1] Voir Virginie Yvernault, Figaromania, Beaumarchais tricolore, de monarchies en républiques (XVIIIe- XIXe siècles), Paris, Hermann, 2020.

[2] Voir Clare Haru Crowston, Credit, fashion, sex: economies of regard in Old Regime France, Durham, Duke University Press, 2013.

[3] Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la république des lettres en France, à Londres, chez John Adamson, 1780-1789, t. XV, p. 186.

[4] Voir Virginie Yvernault, « Figaromania in Europe. The circulation, reception et appropriation of Beaumarchais’ plays in the 18th century », dans Pierre-Yves Beaurepaire, Philippe Bourdin et Charlotta Wolff (dir.), Moving scenes: the circulation of music and theatre in Europe, 1700-1815, Oxford University Studies in the Enlightenment, 2018, p. 157-170. Et plus largement, à propos du mythe de l’Europe française des Lumières et du rôle du théâtre : Pierre-Yves Beaurepaire, Le mythe de l’Europe française au XVIIIe siècle : diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, Paris, Autrement, 2007 ; et Rahul Markovits, Civiliser l’Europe. Politiques du théâtre français au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2014.

[5] Voir notamment Pierre-Yves Beaurepaire et Pierrick Pourchasse (dir.), Les Circulations internationales en Europe (1680-1780), Presses universitaires de Rennes, 2010 ; Albane Cogné, Stéphane Blond et Gilles Montègre, Les Circulations internationales en Europe, 1680-1780, Neuilly, Atlande, 2011.

[6] Pierre-Yves Beaurepaire, Les Lumières et le monde : voyager, explorer, collectionner, Paris, Belin, 2019, p. 13.

[7] Voir Gilles Montègre, « La société des diplomates. Enseignements tirés des archives privées du cardinal de Bernis », in Revue d’histoire diplomatique, 2020-3, p. 263-279.

[8] Voir Linda Gil, L’Édition de Kehl de Voltaire : une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, préface de Christiane Mervaud, Paris, Honoré Champion, 2018, 2 vol.

[9] Gunnar et Mavis von Proschwitz, Beaumarchais et le Courrier de l’Europe, Oxford, Voltaire Foundation, 1990.



Bibliographie indicative

Outre les éditions et travaux de référence consacrés à Beaumarchais, voici quelques éléments complémentaires récents ou plus spécifiquement liés à la problématique retenue :

-Beaurepaire Pierre-Yves, Le mythe de l’Europe française au xviiie siècle : diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, Paris, Autrement, 2007 ; Les Lumières et le monde : voyager, explorer, collectionner, Paris, Belin, 2019.

-Beaurepaire Pierre-Yves et Pourchasse Pierrick (dir.), Les Circulations internationales en Europe (1680-1780), Presses universitaires de Rennes, 2010.

- Boutier Jean, Landi Sandro, Rouchon Olivier (dir.), La politique par correspondance : les usages politiques de la lettre en Italie, XIVe-XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

-Blond Stéphane, Cogné Albane et Montègre Gilles, Les Circulations internationales en Europe, 1680-1780, Neuilly, Atlande, 2011.

-Crowston Clare Haru, Credit, fashion, sex: economies of regard in Old Regime France, Durham, Duke University Press, 2013.

-Darnton Robert, Éditer et pirater : le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution, Paris, Gallimard, 2021.

- Gil Linda, L’Édition de Kehl de Voltaire : une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, préface de Christiane Mervaud, Paris, Honoré Champion, 2018, 2 vol.

- Kölving Ulla, Entente culturelle. L’Europe des correspondances littéraires, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2021.

- Kulessa Rotraud (von) et Seth Catriona, L’Idée de l’Europe au siècle des Lumières, Cambridge, Open Book Publishers, 2017.

-Lever Maurice et Évelyne, Le Chevalier d’Éon, « une vie sans queue ni tête » [2009], Paris, Pluriel, 2011.

-Lilti Antoine et Spector Céline (dir.), Penser l'Europe au xviiie siècle : commerce, civilisation, empire, Oxford, Voltaire Foundation, 2014.

-Markovits Rahul, Civiliser l’Europe. Politiques du théâtre français au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2014.

-Masseau Didier, L’Invention de l’intellectuel dans l’Europe du XVIIIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1994.

-Montègre Gilles, « La société des diplomates. Enseignements tirés des archives privées du cardinal de Bernis », in Revue d’histoire diplomatique, 2020-3, p. 263-279.

-Proschwitz Gunnar et Mavis (von), Beaumarchais et le Courrier de l’Europe, Oxford, Voltaire Foundation, 1990.

-Stroev Alexandre, Les Aventuriers des Lumières, Paris, Presses universitaires de France, 1997.

- Windler Christian, La diplomatie comme expérience de l’autre : Consuls français au Maghreb (1700-1840), Genève, Droz, 2002

-Yvernault Virginie, Figaromania, Beaumarchais tricolore, de monarchies en républiques (XVIIIe- XIXe siècles), Paris, Hermann, 2020 ; et « Figaromania in Europe. The circulation, reception et appropriation of Beaumarchais’ plays in the 18th century », dans Pierre-Yves Beaurepaire, Philippe Bourdin et Charlotta Wolff (dir.), Moving scenes: the circulation of music and theatre in Europe, 1700-1815, Oxford University Studies in the Enlightenment, 2018.