Colloque international
UPJV/CERCLL (Amiens), TRINITY COLLEGE (Dublin)
AMIENS, Logis du Roy (9 square Bocquet, près de la cathédrale)
22 et 23 septembre 2022
L'Origine interrogée. Entre les Lumières et aujourd’hui
L’origine est d’abord une interrogation. Par nature, elle nous échappe. Comme le relevait Condillac au seuil du Traité des sensations (1754), « Nous ne saurions nous rappeler l'ignorance dans laquelle nous sommes nés : c'est un état qui ne laisse point de traces après lui. » Dans l’ordre implacable des choses en effet, nous ne pouvons nous souvenir du temps antérieur à notre mémoire. Notre commencement, comme être de conscience, vient toujours inévitablement après notre origine. Pourtant, individuellement et collectivement, que ce soit sous une forme ou sous une autre, cette origine, tout en se dérobant toujours à nous, ne cesse à la fois de nous hanter et nous aimanter. Comme si notre temporalité, loin d’être un simple mouvement unilatéral coulant du passé vers l’avenir, était tendue par une double flèche contradictoire, nous projetant en avant et nous aspirant en même temps en arrière, vers cette origine irrémédiablement obscure et indéfinie mais pourtant ineffaçable.
Faisant suite à la force d’évidence de la première affirmation, la seconde partie de la phrase de Condillac – « c'est un état qui ne laisse point de traces après lui » - laisse cependant bien davantage hésitant. Est-il si certain que l’origine ne laisse point de traces ? L’absolu d’un tel interdit ne couperait-il pas radicalement la continuité de notre être en séparant irrémédiablement passé et présent ? À rebours de l’hypothèse condillacienne, nous ferons le pari contraire en postulant que, dans la profondeur de notre humanité, dans le creux de nos langues, dans les filets de nos littératures, dans le passé de nos cultures, quelque chose comme une trace de l’origine, ou des origines, se trouve, d’une manière ou d’une autre, encore retenue et enveloppée. Certes, ce ne peut être que sous une forme obscure, confuse et ambiguë, tel un sillage de pistes multiples qui à la fois se concurrencent et se recouvrent, écheveau qu’il s’agira autant que possible de démêler.
Nous prendrons cependant également en compte, outre cette archéologie des traces, les autres choix méthodologiques envisageables pour relever un tel défi, à savoir soit la reconstruction hypothétique de l’origine, véritable « ingénierie » intellectuelle se fondant simplement sur la règle du plus probable, soit l’expérience de la revivescence qui peut être elle-même réelle ou fictive, soit – le dernier mais non le moindre - le récit imaginaire, qu’il soit littéraire ou mythologique. Aucune combinaison entre ces différentes pistes méthodologiques n’étant a priori exclue.
Enfin, l’origine est également un thème moteur pour la création humaine. En ce sens, la thématisation de l’origine, qu’elle soit explicite ou implicite, peut être elle-même considérée comme une origine, facteur puissant de cohérence, de valeur et d’identité, parfois aussi de réappropriation de soi et de liberté face à un présent devenu trop exclusif. Dans le cas du récit, on peut même soupçonner que c’est là l’une de ses dimensions constantes, voire constitutives, ce à quoi il faudra porter attention. Enfin, à une échelle plus large, il s’agira aussi de prendre en considération ce rôle de l’origine dans la constitution et le fonctionnement des cultures et civilisations où il est également central.
Le site privilégié pour cette interrogation de l’origine sera celui des Lumières. Le XVIIIe siècle est en effet le moment historique où, la notion de Dieu ne recouvrant plus aussi massivement que naguère cette question de l’origine, celle-ci tend à se poser à nouveaux frais dans la forme laïcisée que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Ce choix n’interdira cependant pas, mais impliquera au contraire, des points de comparaison avec le paysage contemporain, tant le dialogue peut être fécond entre cette époque du XVIIIe siècle, si fertile en interrogations et en visées expérimentales, réelles ou fictives, voire fantasmatiques, d’une part, et, d’autre part, la nôtre qui affiche des résultats scientifiques en regard à ces questions d’hier, mais que l’on peut interroger à leur tour par ces questions.
Porté par cette perspective d’aller-retour du questionnement entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui, le colloque L’Origine interrogée s’emploiera à croiser quatre des principales pistes d’interrogation de l’origine :
La question de notre provenance humaine, telle que la posent notamment l’anthropologie et la philosophie ; Celle de la genèse des langues, au croisement des différentes sciences et théories du langage ; Le traitement de l’origine dans la production, le fonctionnement et l’effet des récits (narratologie, études littéraires, etc.) ; Enfin sa place récurrente dans les études culturelles et civilisationnistes
Programme
Jeudi 22 septembre 2022
Logis du Roy (9 square Bocquet)
8h15 : réception, cafés
8h40 :
Présentations (Jean-Luc Guichet, CERCLL/Université de Picardie Jules Verne, James Hanrahan, Trinity College, et Anne Duprat, directrice du CERCLL)
9h00 – 10h30
Session 1 : Rousseau et l’origine de l’homme
Présidence : Anne Duprat
- Aux origines de l’homme (Rousseau) (Brigitte Weltman-Aron, University of Florida, USA)
- Reconstruction ou revivescence (Condillac vs Rousseau) ? (Jean-Luc Guichet, Université de Picardie Jules Verne)
- L’origine des peuples selon Rousseau (Flora Champy, IHRIM-ENS de Lyon/Princeton University, USA)
10h30-11h : Discussion et pause
11h-12h30
Session 2 : L’origine des sens et du langage
Présidence : Paolo Quintili
- L’origine de l’appareil sensoriel humain selon Johann Gottfried Herder (Clémence Couturier-Heinrich, Université de Picardie Jules Verne)
- Aperçu schématique de l’histoire de l’origine des langues (XVIIIe-XXIe siècle) (Marc Décimo, Université Paris Ouest Nanterre)
- Des réflexions du tournant des XVIIe et XVIIIe siècles sur l’origine de la musique aux réflexions des Lumières sur l’origine des langues (Camille Guyon-Lecoq, Université de Picardie Jules Verne)
12h30-12h45 : Discussion
12h45-14h : Déjeuner
14h – 15h
Session 3 : L’origine et l’auteur
Présidence : Brigitte Weltman-Aron
- « A story from before we can remember » : The Tree of Life de Terrence Malick (Guillaume Gomot, Université de Haute-Alsace, Mulhouse)
- L’origine thématisée et racontée par Pascal Quignard (Irène Kristeva, Université de Sofia, Bulgarie)
15h-15h30 : Discussion et pause
15h30 – 16h30
Session 4 : La représentation des origines nationales
Présidence : Clémence Couturier-Heinrich
- Figurations des origines de la nation germanique dans les arts visuels : des fresques de la résidence impériale de Goslar à la série Die Deutschen, une même perspective téléologique ? (Anne Sommerlat, Université de Picardie Jules Verne)
- “Who Holds the Right to the Land?”. Narratives of Colonization in Baltic-German and Estonian Literatures (Liina Lukas, University of Tartu).
16h30-17h : Discussion et pause
17h00 - 18h00
Conférence : Fiction de l’origine : le jeu de la nécessité et de la contingence au siècle des Lumières (Christophe Martin, Invité d’honneur, Sorbonne Université)
Vendredi 23 septembre 2022
Logis du Roy (9 square Bocquet)
9h : réception, cafés
9h30-10h30
Session 5 : Diderot, matérialisme, origines
Présidence : Sophie Audidière
- Le cri de l’origine. Dom Deschamps et le souvenir du futur (Eleonora Alfano, Università di Roma Tor Vergata, Rome, Italie)
- La multiple temporalité du vivant. L’origine de la vie chez Diderot et la médecine de Montpellier(Paolo Quintili, Università di Roma Tor Vergata, Rome, Italie)
10h30-11h : Discussion et pause
11h-12h
Session 6 : Pourquoi l’origine ?
Présidence : Christine Meyer
- Le début de la fin : où commence la fiction classique (Anne Duprat, Université de Picardie Jules Verne)
- L’indifférence à l’origine. « Qu’importe », Foucault et d’Holbach (Nassif Farhat, ENS Lyon)
12h-12h30 : Discussion
12h30-14h : Déjeuner
14h-15h
Session 7 : Origines et histoire
Présidence : Paula Prescod
- L’origine, le déni de l’histoire et la discordance des temps (Nicolas Piqué, Université Grenoble-Alpes)
- Virgin Island Creole Dutch in missionary writings, from the 1730s onward (Peter Bakker, Université d'Aarhus, Danemark)
15h-15h30 : Discussion et pause
15h30-16h30 :
Session 8 : Origine et histoire chez Fontenelle et Voltaire
Présidence : Camille Guyon-Lecoq
- Fontenelle, une histoire sans origine (Sophie Audidière, Université de Bourgogne)
- La question de l’origine dans les ouvrages historiques de Voltaire (James Hanrahan, Trinity College, Dublin, Irlande)
16h30-17h00 : Discussion et pause
17h00 - 18h00
Conférence : Origines romanesques (Catriona Seth, Invitée d’honneur, Université d’Oxford, Royaume-Uni)
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Comité d’organisation : Valentina Bisconti, Anne Duprat, Catherine Grall, Jean-Luc Guichet, James Hanrahan, Clémence Heinrich, Christine Meyer, Ludolf Pelizaeus, Paula Prescod
Contacts : jean-luc.guichet@u-picardie.fr ; marie-france.thibaut@u-picardie.fr