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« Permettez-moi de rire ! » : Les formes du comique dans l’œuvre de Blaise Cendrars (Lyon 2)

« Permettez-moi de rire ! » : Les formes du comique dans l’œuvre de Blaise Cendrars (Lyon 2)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Bastien Mouchet)

Appel à communications pour le colloque

« Permettez-moi de rire ! »

Les formes du comique dans l’œuvre de Blaise Cendrars

 8-9 juin 2023, université Lumière Lyon 2

une initiative soutenue par

Laboratoire CSLF - Université Paris X Nanterre

Laboratoire Passages Arts & Littératures (XX-XXI) - Université Lumière Lyon 2

Associations AIBC et CEBC

« Plus rien ne compte/ Sauf ce rire que nous aimons[1] ». Ces deux vers tirés du poème « Rire », paru d’abord en 1928 avant d’être repris dans le recueil Feuilles de route en 1944, donnent un aperçu de la générosité des esclaffements qui se manifestent dans l’œuvre de Cendrars. « Nous ne voulons plus être tristes[2] », peut-on encore lire, à deux reprises, dans le dernier poème de Sud-Américaines. Le lecteur n’est-il pas en droit de se sentir inclus dans ce « nous » qui le conduit à se délecter d’un rire qui balaye tout sur son passage ?

La critique a pu être amenée à remarquer qu’une telle manifestation du corps chez Cendrars est aussi bien le signe d’une jubilation sincère, immédiate, voire incontrôlée, qu’une marque d’ironie ou un outil de subversion. Pourtant, le comique cendrarsien n’a pas encore fait l’objet d’une approche d’ensemble. Il sera donc question de s’efforcer d’identifier les formes du comique dans l’écriture de Cendrars, mais aussi d’en saisir la visée. À quoi le reconnaît-on ? Dans quelles circonstances survient-il ? Quelles sont ses fonctions ? Celles-ci pourront être appréhendées dans leurs manifestations particulières, au sein d’un poème, d’un roman, ou bien de l’un des volumes qui constituent la tétralogie autobiographique des Mémoires, mais également comme des phénomènes unificateurs de l’œuvre dans son ensemble qui, à bien des égards, prend des allures de « Comédie humaine ». Ainsi les thématiques du rire, ou la variété des gammes du comique chez Cendrars nous permettront de reconsidérer les paradoxes d’une œuvre littéraire qui ne cesse de se donner au lecteur dans le secret de son unité et de ses nombreuses contradictions.

Une poétique de l’éclat de rire

Dans quelles mesures Cendrars fabrique-t-il une poétique de l’éclat de rire ? Il est possible de repérer de nombreux exemples de rires francs et directs, qui se nourrissent de la farce, du jeu de mots ou encore du grotesque, cette forme de « comique absolu[3] » pour Baudelaire. De manière générale, les éclats de rire émaillent l’œuvre dans son ensemble : qu’il s’agisse d’un fou rire, d’un rire jaune, d’un rire joyeux, d’un rire gras, ou d’un rire déformé jusqu’à « la Grimace[4] », les corps cendrarsiens sont régulièrement secoués par le rire et le portraitiste qu’est Cendrars recourt souvent à leur déformation comique. Le personnage de Charlot, en tant qu’il est un générateur de situations burlesques, est un modèle en la matière ¾ « il nous a appris à rire[5] », écrit Cendrars en 1924 dans Le Disque vert ¾ et un modèle qui innerve toute une partie du personnel (voire du bestiaire) cendrarsien. On sait ainsi l’importance du clown brésilien Piolim, ou encore celle de Saint-Joseph de Cupertino en qui Cendrars dit trouver un « un personnage drolatique qui [l]e passionne[6] ».

De surcroît, on se souvient que c’est du Brésil que le « je » du poème « Hic Haec Hoc » dans Feuilles de route dit emporter « le plus bel éclat de rire[7] ». Quand on sait l’importance de ce pays pour Cendrars, terre d’un nouveau départ, on peut ainsi se demander si ces éclats à répétition ne constitueraient pas des outils au service de ses multiples renaissances. Il y a-t-il là une sorte d’ingénuité régénératrice, qui devient force de libération ? En effet, c’est aussi le rire dans sa dimension anthropologique qui fait l’objet d’une attention rigoureuse de la part de Cendrars, ce dernier investiguant les formes et les valeurs qui lui sont associées par-delà les latitudes et les hémisphères. Ainsi, le rire ressurgit souvent, en signe de désamorçage, pour appréhender le lointain et l’étranger, et redonner, également, une certaine humanité à ce qu’il y a de plus ineffable dans sa cosmologie[8]. On remarque d’ailleurs que les enfants (« les enfants sont comme les saints, ils […] aiment rire[9]. »), autant que les animaux (le singe dans Moravagine, le septicolore dans La Tour Eiffel sidérale…), se trouvent régulièrement associés au rire. C’est que l’éclat de rire, manifestation proprement charnelle, est aussi pour Cendrars le signe d’une transcendance souvent mythique[10] révélée par une mise à distance du réel, entre extase et contemplation. Or, peut-on aller jusqu’à considérer que Cendrars convoque une religiosité/mystique du rire[11] ?

 

Un « rire dévoyé »

L’intérêt critique pour le comique cendrarsien repose certainement sur la nature paradoxale du rire, pris notamment entre un mouvement de relâchement et de contraction dans le rapport au réel[12]. Ainsi, le rire conserve presque systématiquement une dimension déplaisante, et le grotesque n’est pas toujours un grotesque humaniste et joyeux. Outre les nombreux cas où l’ironie se présente, il existe aussi des passages où sont cultivés l’humour noir, le sarcasme et l’autodérision.

Cette dérision, qui détruit ce qu’elle touche, refuse tout esprit de sérieux. Ainsi, l’anéantissement apparaît comme un autre versant de cette poétique de l’éclat de rire qu’expérimentent certains personnages de Cendrars. S’il est renaissance, génération voire création, le rire se trouve également souvent rapproché de la catastrophe[13]. Dan Yack, par exemple, découvre, dans un état de stupeur remarquable, que « [t]out se consume dans un grand éclat de rire », et le narrateur précise que « [c]e rire dévoyé est le nouveau régime de la personnalité[14] ». En quoi consiste exactement ce dévoiement ? Quel est son lien avec la modernité ? De quoi protège-t-il ?

Les multiples nuances de l’ironie font en effet tout le sel de l’écriture cendrarsienne, intégrant parfois un certain sadisme déstabilisant pour le lecteur. Quelle est la fonction de ce rire grinçant qui préserve la position de surplomb de l’auteur ? S’agit-il d’une ironie qui renforce la figure d’un Cendrars cynique – ironie « négative » au sens où l’entend Jankélévitch[15] – et qu’il faudrait relier aux références philosophiques qui façonnent l’univers cendrarsien où la mélancolie romantique côtoie la gaité nietzschéenne ?

 

Un rire rebelle[16] ?

Enfin, l’on pourra se demander s’il existe un rire politique chez Cendrars. Si on repère aisément la tendance à faire du pauvre un personnage comique[17], les saillies satiriques qui visent par ailleurs à tourner en ridicule des personnalités comme Cocteau, Gide, Jules Romains, les surréalistes ou Sartre, entre autres, ne manquent pas. Ainsi, Cendrars ne ridiculise-t-il pas la communauté des universitaires qui croient connaître Villon quand il écrit : « Un savant, François ? Permettez-moi de rire[18] ! ». Et que penser de cet étrange détournement du poème « Le voyage » dans les premières pages d’Emmène-moi au bout du monde !, où les vers de Baudelaire se mêlent à une mise en scène brutale et obscène, autant que risible, de la sexualité de l’héroïne. À quoi bon défaire ainsi l’autorité du poète ?

Faire rire et sourire le lecteur apparaît en effet comme une marque de défiance à l’égard d’un milieu littéraire qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, demeure largement polarisé par la figure de l’écrivain engagé et par ses différentes prises de positions politiques et morales au regard des conflits tragiques qui ont ensanglanté le XXe siècle. Loin d’être absentes de l’œuvre de Cendrars, ces questions sont, au contraire, traitées selon des modalités qui offrent une large prise au rire et à la distance comique. Que penser par exemple de la truculence de La Main coupée, et dans quelle mesure celle-ci s’inscrit-elle paradoxalement dans le vaste champ de la littérature qui traite de la Grande Guerre ? Au même titre, on pourrait s’interroger sur ce qui pousse Cendrars à conjurer le récit de la mort de son enfant dans Le Lotissement du ciel avec une vie de Saint Joseph de Cupertino. C’est que le comique est surtout affaire de décalage, de ruptures et de détournement qui témoignent à divers titres de cette déprise rebelle dont fait preuve Cendrars à l’égard de l’Histoire et des conséquences qu’il faudrait en tirer.

Il lui arrive enfin d’exhiber l’insolence de son rire, comme dans « La Naissance de Charlot », où il raconte comment un spectateur, qui assiste en même temps que lui à la projection d’un film avec Charlot, trouve inconvenant qu’il rie aussi fort alors que dehors « C’est la guerre ! ». Et Cendrars de commenter : « Il ne pouvait pas comprendre. Je riais aux larmes[19] ». Aussi, peut-être est-ce à nous d’essayer de comprendre.

 

D’autres axes de réflexions peuvent être envisagés.

 

Calendrier :

Les propositions d’articles d’une quinzaine de lignes, accompagnées d’une notice bio-bibliographique, devront être adressées au comité scientifique (cendrars.comique@gmail.com) au plus tard le 23 janvier 2023.

Les auteurs seront informés de l’acceptation de leurs propositions le 6 février 2023.

Comité scientifique :

  • Joao DA ROCHA
  • Manon JULIAN
  • Bastien MOUCHET

 

Bibliographie :

- Revue Humouresques (42 numéros, 1990-2017) : publication par l’Association pour le développement des recherches sur le Comique, le Rire et l’Humour (CORHUM) attachée au Centre de Recherche Interdisciplinaire sur l’Humour (C.R.I.H) de Paris VIII.

- Bertrand Dominique et Gély-Ghédira Véronique (dir.), Rire des dieux, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2000.

- Briand Michel, Dubel Sandrine, Eissen Ariane (dir.), Rire et dialogue, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « La Licorne », 2017.

- Émelina Jean, Le Comique, Essai d’interprétation générale, Paris, SEDES, 1996.

- Hamon Philippe, L’Ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette Université, 1996.

- Mongin Olivier, Éclats de rire, variations sur le corps comique, Paris, Le Seuil, coll. « La Couleur des Idées », 2002.

- Vaillant Alain, La Civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016.

- Vaillant, Alain, Villeneuve, Roselyne de (dir.), Le Rire moderne, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « RITM », 2013.

- Moura Jean-Marc, Le Sens littéraire de l’humour, Paris, Presses universitaires de France, 2010.

 

 

 

[1] Blaise Cendrars, « Rire », Feuilles de route, dans Œuvres romanesques, précédées des poésies complètes, t. I, Claude Leroy (dir.), avec la collaboration de Jean-Carlo Flückiger et Christine Le Quellec Cottier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », n°628, 2017, p. 177.

[2] Blaise Cendrars, Sud-Américaines, Ibid., p. 186.

[3] Charles Baudelaire, De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques [1855], dans Œuvres complètes, t. II, Claude Pichois (dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », n°7, 1976, p. 535.

[4] « Voyez les Dents. Vivantes, elles mastiquent – et mortes, elles se découvrent. Et c’est le Rire. C’est Dieu. C’est la Vie. C’est la Grimace. » Bourlinguer, dans Œuvres autobiographiques complètes, t. II, Claude Leroy (dir.), avec la collaboration de Jean-Carlo Flückiger et de Christine Le Quellec Cottier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », n°590, 2013, p. 185.

[5] Blaise Cendrars, « Charlot », Le Disque vert. Revue mensuelle de littérature, n°4-5, 1924, Bruxelles, Éditions Jacques Antoine, t. 2, 1971, p. 78.

[6] Blaise Cendrars, « Le nouveau patron de l’aviation », Le Lotissement du ciel dans Œuvres autobiographiques complètes, t. II, op. cit., p. 418.

[7] Blaise Cendrars, « Hic Haec Hoc », Feuilles de route, dans Œuvres romanesques, précédées des poésies complètes, op. cit., p. 173.

[8] Aude Bonord, Les « Hagiographes de la main gauche ». Variations de la vie des saints au XXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012.

[9] Blaise Cendrars, « Le nouveau patron de l’aviation », Le Lotissement du ciel dans Œuvres autobiographiques complètes, t. II, op. cit., p. 524-525.

[10] Dominique Bertrand (dir.), Rire et mythes, Humouresques, n. 22, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, juin 2006.

[11] Bernard Sarrazin (dir.), Humour et religion, Humouresques, n. 12, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, juin 2000.

[12] Alain Vaillant, La Civilisation du rire, Paris, CNRS éditions, 2016.

[13] Nelly Feuerhahn (dir.), Humour et catastrophes, Humouresques, n. 30, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, printemps 2014.

[14] Blaise Cendrars, Dan Yack, dans Œuvres romanesques, précédées des poésies complètes, op. cit., p. 945 pour les deux citations de la phrase.

[15] Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, « Champs Essais », 2011.

[16] Judith Kauffmann (dir.), Rires marginaux, rires rebelles, Humouresques, n. 19, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, janvier 2004.

[17] Jean-Marc Moura, « Le personnage du pauvre comme source d’humour », Humouresques, n. 40, Le Rire du pauvre, Paris, Les Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, automne 2014.

[18] Blaise Cendrars, Sous le signe de François Villon dans Œuvre autobiographique complète, t. I, Claude Leroy (dir.), avec la collaboration de Michèle Touret, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », n°589, 2013, p. 9.

[19] Blaise Cendrars, « La Naissance de Charlot » dans Aujourd’hui, Paris, Denoël, « TADA », vol. XI, 2005, p. 127.