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Les Lieux de Georges Perec (Leiden, Pays-Bas)

Les Lieux de Georges Perec (Leiden, Pays-Bas)

Publié le par Marc Escola (Source : Annelies Schulte Nordholt)

Colloque « Les Lieux de Georges Perec »

24-26 janvier 2024, Université de Leiden, Pays-Bas

De 1969 à 1975, Georges Perec a travaillé à ce qui fut un de ses projets les plus
ambitieux : la description, sur place et par le souvenir, des douze lieux parisiens qu’il considérait comme les lieux-clefs de son existence. Ce projet mémoriel résulta en un vaste ensemble de textes, de photographies et de documents qui vient enfin d’être publié, ce printemps 2022, en format papier ainsi que dans une édition numérique. Le livre et le site constituent une mine d’or pour les chercheurs et un formidable instrument de travail, qui invite à l’exploration. C’est à cette invitation que nous nous proposons, avec ce colloque, de donner suite.

Les recherches sur Lieux – dossier resté longtemps difficilement accessible – sont encore assez peu nombreuses, c’est pourquoi nous nous fixons un double objectif : celui, d’abord, d’explorer et d’analyser le corpus lui-même ; celui, ensuite, de l’étudier dans ses rapports aux autres œuvres de Perec, contemporaines ou immédiatement postérieures à Lieux. La nouvelle édition pourra servir de point de départ des recherches, à partir duquel on pourra remonter au manuscrit, consultable par intranet à la Bibliothèque de l’Arsenal. La recherche pourra se faire à partir des grands axes thématiques du projet. Nous en esquissons quelques-unes, qui ne sont nullement exclusives : Lieux d’abord comme un document ou un chantier autobiographique donc comme une écriture de soi, dont on analysera les formes et pratiques, dans le sillage de Philippe Lejeune (1991) ; Lieux ensuite comme une écriture du quotidien, de l’infra-ordinaire : les Réels comme les Souvenirs constituent des « mémoires du quotidien » (Schilling 2006).

Il conviendra également d’approfondir un certain nombre de questions que le projet de Lieux persiste à nous poser : celle des contraintes, de leur fécondité mais aussi de leur limites (De Bary 2005); celle de l’étonnante disjonction entre les Réels et les Souvenirs et de leur enchevêtrement – à considérer en lien avec les autres œuvres de Perec où on trouve un tressage comparable. Cette question touchant à la structure de Lieux mènera à celle des méthodes régissant le projet, qui sont nombreuses. Car dans Lieux, Perec n’est pas seulement oulipien mais il est tour à tour rhétoricien, archiviste, ethnographe, cartographe et – last but not least – écrivain. Le titre de Lieux désignant à la fois des lieux physiques et des lieux rhétoriques, essentiels pour la production même de ces textes, on pourra étudier plus avant les topiques que dessinent ces lieux (Reggiani 2009, Schulte Nordholt 2022). Ce travail de la mémoire va de pair avec une « pulsion d’archive » qui mène Perec à construire une archive de sa vie passée, véritable « herbier des villes » avant la lettre (Schilling 2006). En outre, dans ses Lieux, Perec s’est modelé sur le travail des ethnographes, dont il emprunte les méthodes et parfois les tics : quel est l’impact des sciences humaines sur Lieux ? De leur questionnement ? De leur style d’écriture ?

Si les archives de Perec sont d’abord textuelles, elles sont aussi puissamment
visuelles : Lieux comprend plus de 250 photographies noir et blanc de la main de Christine Lipinska et de Pierre Getzler. Celles-ci constituent un extraordinaire document sur le Paris des années 70. À présent publiées, et partiellement explorées (Schulte Nordholt 2022), ces photographies permettront d’approfondir la question de leur rôle dans Lieux et celle de leur rapport à l’esthétique perecquienne de la photographie. Cependant, cette dimension visuelle ne se limite pas aux photographies car les textes eux-mêmes (et les enveloppes qui les enferment) sont parsemés de graphismes et de croquis : plans de rues ou d’appartements, graphes, arborescences...

Cette inventivité méthodologique n’empêche pas que Perec soit avant tout écrivain, et l’écriture propre à Lieux mérite qu’on s’y arrête. La plupart de ces textes sont écrits du premier jet et le protocole du projet interdisait toute réécriture. Ecriture de l’infra- ordinaire, le style en est-il aussi factuel qu’il le paraît ? Dans ces textes, tantôt écrits à la main, tantôt à la machine, quel est le rôle de la matérialité de l’écriture, comme inscription dans l’espace ?

Si l’exploration du corpus est un premier objectif de ce colloque, elle ne pourra se faire sans des recherches plus larges, allant au-delà de Lieux, vers d’autres régions de l’œuvre de Perec et vers les œuvres dont Lieux se réclame. Il s’agira d’examiner comment, après l’abandon de Lieux, le travail sur les lieux parisiens s’est prolongé dans une série d’œuvres-satellite : radiophonique (Tentative de description des choses vues au Carrefour Mabillon), textuelle (La Clôture ; Les lieux d’une ruse) et cinématographique (Les lieux d’une fugue ; Un homme qui dort). Œuvres qui méritent d’être réexaminées dans leur rapport à Lieux. Plus largement, Lieux a alimenté les œuvres de Perec des années 70, de W ou le souvenir d’enfance à Espèces d’espaces et de La boutique obscure à La Vie mode d’emploi, avec lesquelles le projet entretient des rapports fascinants mais peu étudiés jusqu’à présent. Enfin, si Lieux contient peu de références directes à d’autres écrivains, cette entreprise a pourtant ses figures tutélaires – Barthes, Cayrol, Leiris, Queneau, Proust, Roussel – dont les traces en pointillé méritent l’attention.

Les propositions de contribution (titre et argumentaire de 300 mots environ + brève notice biobibliographique) devront parvenir avant le 1er février 2023 à l’adresse mail suivante : a.e.schulte@hum.leidenuniv.nl

Organisation : Annelies Schulte Nordholt (Université de Leiden)

Comité scientifique : Claude Burgelin (Université de Lyon II), Maryline Heck (Université de Tours), Manet van Montfrans (Université d’Amsterdam) et Derek Schilling (Université Johns Hopkins, Baltimore).

Ouvrages et articles cités :

Perec, Georges, Lieux (Editions du Seuil, Bibliothèque du 21e siècle, 2022) ; édition numérique : Sommaire | Lieux - Georges Perec (seuil.com) : https://lieux-georges- perec.seuil.com/sommaire/

Constantin, Danielle, Joly, Jean-Luc et Reggiani, Christelle dir., Cahiers Georges Perec no. 12, « Espèces d'espaces perecquiens », Le Castor Astral, 2015.

De Bary, Cécile, « Le réel contraint », Poétique, no. 144/4, novembre 2005, pp. 481-489.

Lejeune, Philippe, « Lieux », La Mémoire et l’oblique. Georges Perec autobiographe, Paris, P.O.L, 1991.

Reggiani, Christelle, « Perec et l’art de la mémoire », La Mémoire des lieux dans l’œuvre de Perec, Sahar, R. Abdelkéfi éd., 2009, pp. 103-127.

Schilling, Derek, Mémoires du quotidien : les lieux de Perec, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006.

Schulte Nordholt, Annelies, Les lieux de mémoire de Georges Perec, Leiden, Brill, coll. Faux Titre, 2022.

Pour une bibliographie plus complète, voir les « Indications bibliographiques et audiovisuelles », dans l’édition numérique de Lieux suscitée.