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Tensions et rénovations du canon littéraire et critique en Amérique centrale et dans les Caraïbes hispanophones (Sociocriticism, XXXVII-1)

Tensions et rénovations du canon littéraire et critique en Amérique centrale et dans les Caraïbes hispanophones (Sociocriticism, XXXVII-1)

Publié le par Marc Escola (Source : Sophie Large)

Le contexte de l'Amérique centrale et des Caraïbes est marqué par des processus politiques et économiques qui ont provoqué, au cours des dernières décennies, non seulement quelques vagues de changement (renouveau des mouvements féministes et écologistes, plus grande visibilité des associations LGBTQI+ et de leurs activités, approbation du mariage pour tou·tes au Costa Rica et à Porto Rico), mais aussi, de façon dramatique, la recrudescence des violences de genre et des discriminations, ainsi qu'une crise humanitaire majeure liée aux mouvements migratoires. L'assassinat en 2016 de Berta Cáceres, militante écologiste hondurienne, a mis pendant quelque temps à la une de la presse internationale une région marquée par les luttes de nombreux·ses défenseurs·euses des droits humains, dont beaucoup d'indigènes, mort·es dans l'Isthme pour leurs idées. C'est également le cas des crimes de haine perpétrés contre la communauté LGBTQI+, en particulier contre les femmes transgenres.

La région se caractérise également, depuis quelques années, par une augmentation de la violence institutionnelle, à travers des politiques étatiques qui tendent à fragiliser les populations les plus vulnérables et à mettre en danger leurs droits fondamentaux, tout en empêchant le développement d’une pensée critique dans les espaces académiques ou artistiques. On peut notamment citer la gestion inefficace de la crise provoquée à Porto Rico par l'ouragan María en 2017, la répression violente des manifestations estudiantines et populaires au Nicaragua en 2018 ou, dans ce même pays, le mandat d'arrêt émis en septembre 2021 contre l'écrivain Sergio Ramírez, lauréat du prix Cervantes 2017 et figure centrale de l'opposition nicaraguayenne. L'impunité face aux crimes de haine ou aux assassinats politiques est l’un des nombreux visages de la violence d'État : au Honduras, par exemple, on estime que 90 % des meurtres ne sont pas élucidés (Bow 2016).

Dans le même temps, et paradoxalement, les atteintes aux droits humains et à la liberté d'expression en particulier ont joué un rôle dans la reconfiguration des mouvements de protestation sociale et dans la gestation de nouvelles modalités critiques, à mi-chemin entre le politique et l'artistique. On peut notamment penser au « perreo combativo » à Porto Rico, qui a conduit à la démission du gouverneur Ricardo Rosselló en 2019, à la suite de la révélation dans la presse de propos sexistes et homophobes qu'il avait tenus avec ses collaborateurs sur l'application Telegram.

Face à ce panorama complexe, il est essentiel d'explorer les différentes stratégies de revendication, de dénonciation et de critique que les productions culturelles d'Amérique centrale et des Caraïbes ont développées au cours des deux dernières décennies, en réponse aux tensions sociales et politiques de la région. Dans quelle mesure peut-on identifier des dynamiques de renouvellement par rapport aux traditions littéraires antérieures ou, à l’inverse, des traces de continuité avec les engagements politiques forts du XXe siècle ? Dans cette perspective, on peut également observer la construction de discours critiques hégémoniques dans les différents pays (critique littéraire, établissement du canon, prix et institutionnalisation de certains textes) qui se sont positionnés en faveur ou en opposition à ces luttes mais aussi, simplement, dans leur invisibilisation.

Deux mouvements pourront être envisagés dans ce numéro de Sociocriticism : d'une part, la révision des préjugés masculinistes, racistes et cis-hétéronormatifs qui ont présidé à la formation des canons littéraires nationaux dans l'aire culturelle centraméricaine et caribéenne. De l'autre, l'émergence et le puissant développement de formes littéraires et artistiques qui diffusent des discours féministes, antiracistes, queer et décoloniaux qui disloquent, décentrent et déboulonnent les paradigmes hégémoniques, modernes et nationalistes. Nous proposons de cartographier les modalités adoptées par ces regards oppositionnels (bell hooks 1992), tant dans la critique que dans la production littéraire et artistique. L'analyse de ces irruptions et interruqtions (val flores 2013) nous permettra de contextualiser et de retracer les réseaux et constellations des diasporas qui construisent les politiques épistémiques et artistiques actuelles des minorités, ainsi que les tensions des époques précédentes que les paradigmes de la critique n'avaient pas valorisées ou avaient effacées.

De même, cette réflexion sur la reconfiguration de la pensée critique accordera un intérêt particulier à l'exploration des zones frontalières, tant sur le plan culturel, linguistique et géographique, étant donné que la migration représente un phénomène central et multiforme dans les réalités centraméricaines et caribéennes, que sur le plan épistémique, puisque la division entre littérature, art et théorie semble de plus en plus obsolète, l'art et la littérature étant des formes nouvelles et puissantes de théorisation dans la région (King 2014). En ce sens, la révision du canon doit aussi être appréhendée à partir de la reconfiguration et du renouvellement des disciplines, en tenant compte notamment des apports des études décoloniales sur la colonialité du savoir (Lander 2000) ou du rôle de la culture populaire dans la production de la connaissance.

Les contributions pourront s’inscrire dans les axes suivants (liste non exhaustive) :

  • (Dis)continuités dans les productions littéraires et artistiques : renouvellement des genres littéraires ; phénomènes de pastiche, de parodie ou de dialogisme dans une perspective féministe, antiraciste, écocritique ou LGBTQI+ ; construction d'un discours contre-hégémonique.
  • (Re)configuration des mécanismes de constitution du canon : panorama éditorial et accès à la publication ; instrumentalisation politique et institutionnelle des artistes ; rôle des institutions académiques et de la critique littéraire ; avatars de l'écrivain engagé…
  • Porosité épistémique et nouvelles pratiques culturelles et discursives : hybridité générique ; renouvellement des modalités et des espaces de gestation de la pensée critique ; « low theory » (Halberstam 2011)...
  • Transferts et traduction culturelle : (ré)appropriation de concepts théoriques ; tropicalisation (Hernández Cruz 1976) de pratiques culturelles étrangères ; influence des flux diasporiques dans la formation de nouveaux espaces critiques et littéraires...

Calendrier :

Format des articles : 40 000 signes maximum (notes et références bibliographiques incluses).

Langues de publication : anglais, espagnol, français.

Date de remise des propositions jusqu’au jeudi 30 juin 2022

La forme demandée est la suivante : un titre et un résumé de 3 000 signes (500 mots), 5 mots clés et 5 références bibliographiques, le nom et prénom de l’auteur·e ainsi que son institution de rattachement. Les propositions devront être envoyées aux deux adresses suivantes : sergio.coto-rivel@univ-nantes.fr ET sophie.large@univ-tours.fr

Réponse du comité éditorial : le vendredi 15 juillet 2022

Remise de la première version de l’article : le mercredi 30 novembre 2022

Remise de la version définitive de l’article : le lundi 30 janvier 2023

Plus d'informations sur le site de la revue :

https://revues.univ-tlse2.fr/sociocriticism/index.php?id=3080#tocto1n5