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La résilience, fil de la complexion du transclasse ? (Valenciennes)

La résilience, fil de la complexion du transclasse ? (Valenciennes)

Publié le par Marc Escola (Source : Nicolas Balutet)

Appel à communications

La résilience, fil de la complexion du transclasse?

Journée d'étude proposée par Nicolas Balutet et Edwige Camp-Pietrain

18 novembre 2022

Université Polytechnique des Hauts-de-France (Valenciennes)



Si l’étude de la mobilité sociale n’est pas nouvelle, elle suscite depuis quelques années un intérêt croissant dans l’hexagone, fréquemment pour établir un triste constat : « […] les chances d’ascension des générations nées après les années 1960 se sont nettement détériorées et […] le risque de déclassement intergénérationnel s’est accru pour les jeunes de tous les milieux » [Pasquali, 2014 : 413]. Au mieux, la société française se retrouverait immobile, figée en la matière depuis la fin des Trente Glorieuses [Peugny, 2013 : 17, 414]. Pour parvenir à radiographier cette situation qui frôle l’ « assignation à résidence », une expression récemment employée par Salomé Berlioux et Erkki Maillard [2019 : 26], les sociologues ont mobilisé leurs appareils méthodologiques et épistémologiques habituels (tables de destinée, tables de recrutement, enquêtes de terrain, entretiens, etc.). De son côté, en 2014, la philosophe Chantal Jaquet a mis en lumière une approche complémentaire et novatrice dans son essai intitulé Les transclasses ou la non-reproduction [2014]. Dans cet ouvrage, elle s’intéresse à la figure du « transclasse », un néologisme qu’elle introduit en français, le préférant au qualificatif de « transfuge de classe », lequel possède, selon elle, une connotation péjorative en lien avec l’idée de traîtrise et ne semble faire référence qu’aux changements vers le haut de la hiérarchie sociale en omettant l’existence des déclassements.

Loin de « métamorphoser un fait social ordinaire en une curiosa » comme le pense Gérard Mauger [2021 : 53], le terme proposé par Chantal Jaquet est plus neutre, donc moins connoté, mais là n’est pas le principal intérêt de son étude. S’appuyant notamment sur des récits littéraires et des témoignages autobiographiques, la philosophe esquisse une théorie de la non-reproduction, principalement dans le cadre d’une ascension, dont certains éléments lui sont inspirés par la pensée spinoziste. Ainsi, elle se concentre sur le déterminisme psychique du transclasse, c’est-à-dire, outre son ambition, les causes étrangères à sa volonté, nommant ingenium ou « complexion » cet « entrelacement compliqué de fils » [Jaquet, 2015 : 102]. Le transclasse en mobilité sociale ascendante, en tant qu’être relationnel, ne serait donc pas l’unique moteur de sa migration verticale mais, au contraire, le fruit d’une histoire aux multiples entrelacs et d’une « radicalisation du travail de la différence, de l’effort de déprise par lequel chacun s’affirme dans son être singulier » [Jaquet, 2015 : 221]. Malgré des impensés, le travail de Chantal Jaquet, complété quatre ans plus tard par un volume collectif dirigé en collaboration avec Gérard Bras [2018], est devenu incontournable pour aborder les questions liées aux migrations sociales. Par le nouveau regard qu’il propose, par les nouvelles perspectives qu’il ouvre, l’essai de 2014 contribue puissamment à la mutation d’un champ de recherche.

De son côté, s’il n’est pas nouveau, le terme de « résilience » a connu, ces dernières années, une véritable « boursouflure sémantique » [Cyrulnik, 2016 : 10], au point que le psychiatre Serge Tisseron préfère parler de « résiliences » au pluriel [2021 : 18]. D’abord utilisé en français dans les champs de la mécanique et de la physique pour qualifier « la résistance d’un matériau au choc » [Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales ], le mot désigne désormais, de manière très large, le processus de redressement d’un individu ou d’un groupe face à un traumatisme ou des difficultés provenant de conditions ou de situations déstabilisantes (milieu social défavorisé, violence, maladies, handicaps, etc.) [Cyrulnik, 2001 : 10 ; Cyrulnik et Pourtois, 2007 : 14 ; Terrisse et Lefebvre, 2007 : 47 ; Cyrulnik, 2012 : 8 ; Anaut, 2015 : 9-10]. Étant donné que l’individu en mobilité sociale ascendante se construit dans l’adversité, la résilience ne pourrait-elle pas constituer un des multiples fils de sa complexion ? Ce questionnement apparaît d’autant plus fondé qu’il n’est pas rare que le processus de résilience s’appuie, quand la famille est défaillante, sur des « tuteurs », souvent des enseignants, de bienveillantes figures d’attachement auprès desquelles les jeunes gens issus de milieux défavorisés trouvent aide et soutien [Anaut, 2003 : 53, 103 ; Gayet, 2007 : 36 ; Terrisse et Lefebvre, 2007 : 49 ; Anaut, 2015 : 43, 75 ; Ostermann, 2016 : 47 ; Tisseron, 2021 : 15, 54-55]. Or, de manière similaire, le transclasse s’identifierait couramment à un modèle [Jaquet, 2015 : 30-32, 45-46]. Avant ce « grand professeur » qui traverserait toutcurriculum d’étudiant [Bourdieu et Passeron, 1985 : 42], l’instituteur constitue d’ordinaire cette première figure.

Si l’école au sens large peut être qualifiée de « haut lieu de résilience » [Lahaye et Burrick, 2007 : 109], elle constitue aussi l’endroit privilégié où la personne issue d’un milieu social défavorisé [Hoggart, 1970 ; Piketty, 2013 ; 2015 ; Sen, 2000 ; Stiglitz, 2012] se confronte à un nouveau monde et aux héritiers, lesquels ont reçu, associés à d’autres formes de capitaux, « des habitudes, des entraînements et des attitudes qui les servent directement dans leurs tâches scolaires [mais aussi] des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un “bon goût” dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine » [Bourdieu et Passeron, 1985 : 30]. Alors, conscient de son retard et de ses lacunes, pénétré de l’idée que seule compte la volonté pour parvenir à ses fins, de l’adage populaire du « quand on veut, on peut », l’aspirant transclasse se met généralement à lire abondamment et, s’il en a la possibilité, à fréquenter les lieux culturels [Jaquet, 2015 : 145-146]. Ce surinvestissement dans le travail, qui vise à réduire les écarts avec les héritiers, pourrait-il être une manifestation de la résilience ? Cette dernière serait-elle toujours à l’œuvre quand, appliquée à combler ses lacunes, la personne en mobilité sociale ascendante en vient à s’amputer de relations affectives [Cyrulnik, 2012 : 199] ? Par ailleurs, de la même façon que le genre, l’orientation sexuelle et l’appartenance ethnique semblent exercer une influence sur la mobilité sociale [Santelli, 2001 ; Éribon, 2010 : 25, 203 ; Beaud, 2014 : 36-48 ; Éribon, 2014 : 36 ; Beaud, 2018 ; Dubéchot, 2020 : 25-26 ; Truong, 2020], existe-t-il des modalités spécifiques de résilience liées à ces dimensions particulières ?

Une fois parvenu à son but au terme d’un long parcours, le transclasse en aurait-il terminé avec la résilience, son intégrité psychique étant supposément stabilisée ? Ou bien, au contraire, poursuivrait-il son processus, la mobilité sociale ascendante s’accompagnant fréquemment de nouvelles souffrances : sentiment d’illégitimité ou d’imposture [Éribon, 2014 : 95-96, 172 ; Pasquali, 2014 : 311 ; Jaquet, 2015 : 74, 144, 155-156, 160-161 ; Roux, 2015 : 58 ; Gaulejac, 2016 : 15, 30 ; Lagrave, 2021 : 264, 381-382] ; peur d’apparaître aux yeux de sa communauté d’origine comme une personne suspecte, un parvenu, un renégat, un traitre, voire un ennemi [Guéhenno, 1961 : 164, 187 ; Nizan, 1971 : 64 ; Juliet, 2003 : 25 ; Filippetti, 2005 : 43 ; Lagarce, 2009 : 223 ; Louis, 2014 : 94, 107 ; Vance, 2018 : 107 ; Berlioux et Maillard, 2019 : 39] ; honte ou dégoût vis-à-vis de ses racines [Guéhenno, 1961 : 187-188 ; Ernaux, 1984 : 181 ; 2013 : 20-21 ; Pasquali, 2014 : 353-354 ; Jaquet, 2015 : 74-75 ; Lafon, 2018 : 35] ? De son côté, qu’en est-il du transclasse menacé de déclassement ? Est-il capable de mobiliser des ressorts spécifiques pour éviter une telle situation ?

Enfin, le transclasse se retrouverait dans une position quelque peu singulière et hybride, celle d’un « caméléon » [Naselli, 2021 : 94], d’une « créature à faces multiples » [Jaquet, 2015 : 106], d’un être pourvu d’un sens aigu de l’adaptation, de la négociation et de la réappropriation des identités. Certains spécialistes estiment que le parcours personnel de l’individu en mobilité sociale ascendante, lié au déplacement, au franchissement des frontières sociales et à la distance, le doterait, en conséquence, d’une pensée créative, décalée et anticonformiste [Bourdieu, 2004 : 89, 131, 134-135 ; Lapierre, 2006 : 19, 142, 277 ; Hoggart, 2013 : 24 ; Jaquet, 2015 : 147-148]. Ces propos ne rejoindraient-ils pas l’idée selon laquelle les blessures à l’origine de la résilience alimenteraient divers processus créatifs [Cyrulnik, 2001 : 195 ; Anaut, 2016 : 69-70] ?

Le présent projet, qui prendra la forme d’une journée d’étude, entend donc examiner la pertinence du rapprochement entre résilience et mobilité sociale ascendante en prenant appui, mais de façon non exclusive, sur les quelques pistes de réflexion ici esquissées.

Étant donné la pluridisciplinarité du Laboratoire de Recherche Sociétés & Humanités (LaRSH) qui accueillera cette manifestation scientifique, les contributions pourront émaner de spécialistes de diverses disciplines et porter sur plusieurs aires culturelles. De prime abord, il peut sembler inapproprié d’utiliser, en les transposant, des cadres théoriques issus d’un locus enuntiationis spécifique, pensés pour analyser une expérience culturelle déterminée. Il est vrai que la question de la mobilité sociale dépend, en premier lieu, des conditions économiques et politiques du système scolaire en vigueur dans une société donnée, de sa conception et des fondements de la hiérarchie sociale, de ses modes de reproduction, etc. Cela étant, au-delà de ce contexte qui doit être clairement posé, il convient de rappeler, d’une part, que la résilience est susceptible de concerner tout individu quelles que soient ses origines et, d’autre part, qu’au cœur de la théorie de la non-reproduction proposée par Chantal Jaquet se trouve une pluralité de facteurs pan-humains : les rencontres, le mimétisme, les affects.

La journée d’étude aura lieu le vendredi 18 novembre 2022.

Les propositions de communications, qui ne dépasseront pas les 5000 signes (espaces compris) et comprendront une courte biographie précisant le rattachement institutionnel, seront envoyées ànicolas.balutet@uphf.fr et à edwige.camp@uphf.fr avant le 15 juin 2022.

Le retour se fera avant le 30 juin 2022.

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