Colloque "La préhistoire à l'ère de l'anthropocène : discours et représentations"
Amiens, 19-20 mai 2022,
organisé par Catherine Grall, maîtresse de conférences en littérature générale et comparée, Université de Picardie Jules Verne
Depuis quelques années, sous l'effet des alarmes climatologiques, des menaces qui pèsent sur plusieurs biotopes et diverses espèces de vivants, ceci dans un contexte mondialisé, on observe un retour du thème des origines préhistoriques de l'humain en littérature et dans les arts. L’historien P. Semonsut en propose un premier bilan dans sa thèse de 2009 (La représentation de la Préhistoire en France dans la seconde moitié du XXe siècle, 1940-2000) et M. Lantelme estime que le thème préhistorique répond d’une certaine manière à la tendance (post-)apocalyptique de certains romans (Le Roman contemporain – Janus postmoderne, 2006). Cette année, Ch. Morille a soutenu une thèse intitulée « Si d'argile se souvient l'homme » — résonances de la préhistoire dans la littérature et les arts plastiques (1894-2019) : domaines français, espagnol, anglais et américains ». Au théâtre, en 2014, Roberto Castellucci représentait une caverne avec des hommes préhistoriques dans Go down Moses, après une scène d’accouchement douloureux. La série américaine The Leftovers (D. Lindelof et T. Perrotta, HBO, 2014-2017) ouvre sa 2e saison par une scène de secousse sismique qui isole une femme des débuts de Sapiens avec son bébé, ceci mis en parallèle avec les secousses d’un monde futuriste, traumatisé par des disparitions inexpliquées. Le cinéaste thaïlandais A. Weerasethakul ranime régulièrement d’anciens fantômes venus du cœur de la terre dans ses films oniriques. É. Davodeau vient de publier un roman graphique intitulé « Le droit du sol — de Pech Merle à Bure s/Yvette ». De grandes expositions parisiennes comme « Préhistoire, une énigme de la modernité » (Beaubourg, 2019) ou « Les Origines du monde » (Orsay, 2021), le Musée des Confluences à Lyon avec « La Terre en héritage — du Néolithique à nous » (2021) redisent l’actualité toujours revisitée des temps anciens (on pense aussi à l’exposition « La Valise d’Orphée » de Damien Deroubaix au Musée de la chasse et de la nature, à Paris, en 2021 où de grandes peintures animalières faisaient face à une multitude de petites sculptures datant parfois de plusieurs milliers d’années).
Un large public est toujours plus amateur de grandes synthèses sur l'histoire de Sapiens et de ses prédécesseurs (cf J. Diamond, Y. N. Harari…), l’anthropologie sociale et politique croise les travaux de préhistoriens (cf F. Bon : Préhistoire, la fabrique de l’homme, 2009 ; J. C. Scott : Homo domesticus, 2019 …) et l'évolutionnisme ne cesse d'être réinterrogé (serait-ce à l'aune du transhumanisme), cependant que Neandertal connaît plusieurs regains de faveur, et que les postcolonial studies et les gender studies ajoutent leurs pierres à l’édifice de contestation du « progrès » apporté par la civilisation occidentale (on interroge qui était la femme préhistorique plutôt que l’homme préhistorique, et on repense la question des races et des métissages depuis les origines). Dans Néolithique Anthropocène — Dialogue autour des 12000 dernières années (coédition École urbaine de Lyon et Éditions deux-cent-cinq, 2021), des anthropologues, des géographes, des archéologues et une spécialiste de l’anthropocène croisent leurs réflexions sur ces deux périodes diamétralement opposées.
La seconde est certes contestée par la plupart des géologues et des archéologues — mais on l’utilisera, pour ce colloque, comme une notion qui donne à penser deux temporalités, plus que comme un outil scientifique. Quant à la préhistoire, on se demandera si, après le mythe d’Eden et la fiction philosophique du bon sauvage, cette longue période que les techniques permettent de définir et connaître toujours mieux, avec ses composantes terrestres, géographiques et biologiques, est susceptible de servir de fiction scientifique, d’image fondatrice, de repère, sans oublier qu’elle promeut également des fantasmes (voir les travaux de W. Stoczkowski, de C. Cohen, entre autres). Brigitte Röder avait pointé dès 2011 l’illusion selon laquelle connaître les débuts de l’humanité ne signifie pas nécessairement comprendre sa nature, et encore moins pouvoir résoudre sa situation présente et les problèmes à venir (Brigitte Röder, « Si les hommes préhistoriques n'existaient pas, il faudrait les inventer », Les nouvelles de l'archéologie [En ligne], 113 | 2008, mis en ligne le 21/12/2011). Par ailleurs, Marcel Otte, dans l’introduction de son essai Sommes-nous si différents des hommes préhistoriques ? (2020) explique qu’« avec l’humanité, les contraintes deviennent des stimulations à se transformer » et que « les découvertes scientifiques ou les réalisations d’œuvres d’art procèdent selon le même schéma : créer ce qui n’est pas encore fait, et spécialement si c’est considéré comme impossible » (p.10) Remonter aux temps originels permet-il de se positionner de façon particulièrement intéressante face à ce que l’humain fait de la planète ? On espère faire dialoguer, dans ce colloque, des spécialistes de la période qui se positionnent par rapport aux temps présents (archéologues, paléontologues, historiens des sciences, épistémologues…) et des spécialistes d’histoire culturelle, de littérature et d’arts quant au discours et aux représentations aujourd’hui pénétrées de ce « paradigme préhistorique » complexe.
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Les propositions sont à adresser avant le 29 janvier 2022 à Catherine Grall, grallthecat@gmail.com.
Le colloque se déroulera à Amiens, les 19 et 20 mai 2022, sous réserve des restrictions sanitaires et des disponibilités de tous.
Nous espérons qu’il pourra donner lieu, en bonne part, à la publication d’un numéro de la revue Épistémocritique (https://epistemocritique.org).