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Lectures de la fatigue. Entre pathologisation, critique sociale et créations artistiques

Lectures de la fatigue. Entre pathologisation, critique sociale et créations artistiques

Publié le par Marc Escola (Source : Maria de Jesus Cabral)

Lectures de la fatigue

Entre pathologisation, critique sociale et créations artistiques

30 juin - 1er juillet | Porto

 

L’apparente banalité des expériences de fatigue contraste avec leur omniprésence dans le discours contemporain, sous des figures aussi diverses que l’erreur humaine, l’épuisement professionnel, la dépression ou la fatigue sociale, avec une prédominance des sentiments d’usure, d’impuissance, d’impossibilité à continuer, de saturation, ou au contraire de vacuité… Principal motif de consultation médicale, signe fonctionnel banal et non spécifique d’un grand nombre d’affections et de maladies (et faisant en tant que tel l’objet d’un traitement essentiellement symptomatique), mais aussi, sous un angle ergonomique, « facteur humain » étudié parmi les tout premiers, la fatigue serait l’un des fléaux — et peut-être même un marqueur — de notre civilisation.

La fatigue est presque constamment définie comme une baisse de la performance fonctionnelle (modifications cognitives, volitives, voire motrices) et sociale (repli sur soi, agressivité…), susceptible d’altérer temporairement notre rapport au monde, mais aussi, plus structurellement, notre conception du monde. La fatigue embrasse ainsi un vaste panorama d’expériences, allant de la sensation délicieuse ou du désagrément passager à la souffrance existentielle, et susceptible de porter ses effets, eux aussi contrastés, dans la sphère intime aussi bien que dans l’arène collective ou politique, de l’apathie à l’agitation, de la résignation-prostration à la révolte.

Investie par la Médecine, dans sa fièvre métrologique, dès la fin du XIXe siècle (Jules Amar, Angelo Mosso, Étienne-Jules Marey…), puis délaissée en raison du poids de la subjectivité qui rendait impossible son objectivation, limitée à des préoccupations hygiénistes pré-managériales autour de la reconstitution de la force de travail, la fatigue est plus récemment redevenue un objet important dans les approches liées à la qualité de vie — qualité de vie des patients dans les sciences de la santé, qualité de vie au travail pour les sciences de gestion et des organisations, etc.

Co-produit du conflit intrapsychique pour la Psychologie clinique, facteur de risque pour l’Ergonomie, la fatigue peut aussi être lue, pour la Sociologie notamment, au prisme de l’engagement du corps dans le processus de production, ou des mécanismes de domination, ou encore envisagée sous l’angle de sa production sociale, voire de la construction de ses ressentis somatiques et psychiques [Loriol, 2000], ou de l’émergence de la fatigue comme question publique comme objet d’étude des sciences et techniques [Vatin, 1999].

Sujet mineur en Philosophie, la fatigue admet à la fois une dimension ontologique et métaphysique, comme caractéristique primordiale de la condition humaine face à la déité [Chrétien, 1996], et une dimension phénoménologique.

Enfin, si la fatigue n’occupe en tant que telle une place centrale dans la Littérature que chez un nombre limité d’auteurs (par exemple, Michaux ou Laferrière) ou d’œuvres (par exemple, l’Essai sur la fatigue de Handke), elle constitue en revanche — et cela en fait un objet de choix pour la littérature comparée ou les humanités médicales — un élément important, quoique subtilement diffus, dans toute la littérature centrée sur des motifs aussi variés que la mélancolie (Pessoa), le spleen (Baudelaire), la neurasthénie (Proust), la dépression (Houellebecq, etc.), l’impassibilité postmoderne des minimalistes (Toussaint, Gailly), la maladie, le pessimisme (Cioran, Bernhard), l’ennui, fût-il doré (Flaubert, Scott Fitzgerald, Sagan, Easton Ellis), la décadence familiale ou sociétale (Mann, Roth, Fontane, Tomasi di Lampedusa, Eça de Queirós), le voyage et l’aventure (London, Verne, Hémon), la guerre et les combats (Tolstoi), les conditions sociales (naturalisme, réalisme, vérisme, mais aussi littérature contemporaine sur le monde du travail [de Vigan, Nothomb, etc.]), la quête identitaire et la construction de soi (Huysmans, Gide, Mishima, Svevo, Walser)…

Finalement, il semble possible de dégager quelques grands axes d’exploration de la fatigue, autour de notions telles que la vulnérabilité, le combat et le conflit, la satiété, la révolte ou l’ennui.

C’est dans ce cadre pluridisciplinaire ouvert et englobant que nous entendons aborder les lectures de la fatigue comme modalité d’être au monde, fût-elle passagère, et comme message, en faisant dialoguer des perspectives médicales, philosophiques, littéraires et artistiques.  

Les propositions accueillies devront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants :

Axe 1 : Dimensions individuelles de la fatigue : de l’enfance à la retraite, de la santé à la maladie aiguë ou chronique. 
Axe 2 : Discours et représentations experts et artistiques sur les fatigues professionnelles 
Axe 3 : Dimensions sociopolitiques de la fatigue : fatigue et dialogue social, fatigue et critique sociale, fatigue et opinions politiques, fatigue et médias, fatigue et révolte
Axe 4 : Dimensions socio-historiques de la fatigue : fatigue et Weltanschauung, fatigue et (post-)modernité, fatigue sociale et atmosphères fin-de-siècle, etc.
Axe 5 : Fatigues de l’artiste : créativité, création et (in)succès

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Bibliographie indicative


Brennan, Teresa (2000). Exhausting Modernity – Grounds for a New Economy. London/New York : Routledge. 
Chrétien Jean-Louis (1996). De la fatigue. Paris : Éditions de Minuit, coll. Philosophie. 
Ehrenberg Alain (2000). La Fatigue d’être soi – Dépression et société. Paris : Odile Jacob, coll. Poches. 
Gijswijt-Hofstra Marijke, Porter Roy, coord. (2001). Cultures of Neurasthenia – From Beard to First World War. Amsterdam/New York : Rodopi, coll. Cli Medica. 
Han Byung-Chul (2010). Müdigkeitsgesellschaft. Berlin : Matthes & Seitz (trad. fr. J Stroz, La Société de la fatigue, Belval : Circé, 2014).
Hockey Robert (2013). The Psychology of Fatigue – Work, Effort and Control. Cambridge : Cambridge University Press. 
Loriol Marc (2000). Le Temps de la fatigue – La gestion sociale du mal-être au travail. Paris : Anthropos, coll. Sociologiques. 
Neckel Sighard, Schaffner Anna Katharina, Wagner Greta, dir. (2017). Burnout, Fatigue, Exhaustion : An Interdisciplinary Perspective on a Modern Affliction. Springer Verlag. 
Rabinbach Anson (1990). The Human Motor – Energy, Fatigue, and the Origins of Modernity. Berkeley : University of California Press. 
Schaffner Anna Katharina (2016). Exhaustion- A History. New York : Columbia University Press. 
Vatin François (1999). Travail, sciences et société, essais d’épistémologie et de sociologie du travail, Bruxelles : Presses de l’Université de Bruxelles (trad. port. Epistemologia et Sociologia do Trabalho, Instituto Piaget, Lisboa, 2002)
Vigarello Georges (2020). Histoire de la fatigue du Moyen Âge à nos jours. Paris : Seuil, coll. L’Univers historique.
Zawieja Philippe, coord. (2016). Dictionnaire de la fatigue. Genève : Droz. 
 
Organisation : 

Maria de Jesus Cabral (CEHUM / Un. Minho) 
José Domingues de Almeida (ILCML/Un. Porto)
Maria de Fátima Outeirinho (ILCML/Un. Porto)
Philippe Zawieja (Un. de Strasbourg/Un. de Paris/Un. de Florence/Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail de Montréal)

Langue des communications : Français 

Envoi des propositions : 
Merci d’envoyer le titre de votre proposition, un résumé de 250 mots et une  brève notice bibliographique (100 mots maximum) à l’adresse : rdvcritique11@gmail.com 

Calendrier :

30 avril 2022 : date limite pour l’envoi des propositions 
Inscription : 120,00 € (comprend les deux déjeuners). 
Les frais de déplacement et d’hébergement sont à charge des participants. 

 Lien : https://apef-association.org/    www.ilcml.pt

Les textes sélectionnés à l’issue du colloque feront l’objet d’une publication, sous condition d’avis favorable du comité de lecture (évaluation en double aveugle).  

Contact : rdvcritique11@gmail.com