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L'écriture du silence dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (Padoue)

L'écriture du silence dans À la recherche du temps perdu de Marcel Proust (Padoue)

Publié le par Marc Escola (Source : Ludovico Monaci)

Université de Padoue les 1-2-3 décembre 2022

Source d’information qui paraît se soustraire à la communication et forme langagière qui répudie la parole, le silence manifeste sa présence par la rupture, et donc par l’absence momentanée, d’un flux sonore. Symbole du sublime naturel et de l’inspiration de l’artiste, il participe esthétiquement, graphiquement et stylistiquement à la construction du texte littéraire. « Le silence, apparente figure du vide, doit être compris comme une promesse de sens » (Boucharenc 1987, 240) : la nature polymorphe et paradoxale de ce phénomène implique et impose un travail de déchiffrement herméneutique à plusieurs niveaux. Qu’elle soit délibérée ou involontaire, une omission de la part de l’auteur questionne le lecteur sur les étapes diégétiques voire génétiques du récit, tandis que le silence d’un personnage impose des contraintes au co-énonciateur, surtout si ce dernier n’avait pas l’intention de réduire au silence son partenaire. « Au vingtième siècle, la littérature se déplace du côté du silence » (De La Motte 2004, 1). Dans À la recherche du temps perdu, Marcel Proust met la parole dite et écrite au centre du projet romanesque : en dépit (ou à cause) de cela, l’absence de parole joue un rôle aussi important. Le syntagme oxymorique « silence éloquent » (P, III, 554) témoigne du rapport étroit entre la parole et le silence : à la longueur et à la fixité du « silence éternel » (CG, II, 852), « constant » (AD, IV, 49) et « infini » (AD, IV, 64) s’opposent la rapidité et la soudaineté du « silence subit » (P, III, 596), « profond mais intempestif » (CS, I, 24), qui scande le temps et le rythme d’une émission sonore ou d’une conversation (JF, I, 573 ; SG, III, 321). Dans son acception positive, le silence est « bienveillant » (CG, II, 787), « heureux » (SG, III, 326), « obéissant » (SG, III, 407) et « calmant » (P, III, 589). Lorsqu’il est « courtois » (AD, IV, 216), il constitue le trait typique de la politesse : le rituel phatique le combine à des gestes de révérence tels que l’inclination (JF, I, 562 ; SG, III, 308). Cela n’empêche que l’acception négative soit celle majoritaire : un silence peut être « indifférent » (P, III, 662), « presque désobligeant » (CS, I, 17), « réprobateur » (CS, I, 254), « hautain » (SG, III, 343), « aigre » (P, III, 754), ou encore « glacial » (JF, I, 459 ; JF, II, 241), « menaçant » (CG, II, 781), « hostile » (SG, III, 340), et « sévère » (TR, IV, 283). Enfin, une synesthésie peut attribuer au silence le caractère d’une nourriture (CS, I, 49), et d’une couleur (CS, I, 87). À la lumière de la polysémie de sa définition, nous interrogerons le silence dans l’œuvre de Marcel Proust, en tenant compte de l’extrême variété des situations auxquelles cette notion est associée. En particulier, nous invitons à réfléchir aux axes suivants :

•Axe 1 : Le silence environnemental

Dans cette section, nous considérerons le silence comme un élément faisant partie « du cadre spatial romanesque » (Van Den Heuvel 1985, 75). Notre objet privilégié sera la description du silence de la nature, des espaces artificiels (les chambres, les pièces…), ainsi que le mutisme des objets et le silence lié à un événement, à un moment et à une atmosphère, comme par exemple l’« unanime silence » (JF, I, 439) qui précède l’entrée en scène de la Berma. De plus, le silence est une condition essentielle pour démarrer, inspirer et achever l’écriture : « L’art véritable n’a que faire de tant de proclamations et s’accomplit dans le silence » (TR, IV, 460) ; « les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l’obscurité et du silence. » (TR, IV, 476) Une autre piste s’attachera au silence dans sa relation avec l’acte d’écriture.

•Axe 2 : Le silence des personnages

Il serait intéressant d’analyser « le silence humain dans la perspective de l’énonciation et de la communication » (Van Den Heuvel 1985, 75), afin d’évaluer le poids qu’il exerce dans l’« univers essentiellement oral de la Recherche » (Genette 1969, 223) : « sous le volume dense et coloré de leur parole » (Barthes 2014, 62), les figures proustiennes peuvent cacher des tendances conversationnelles concernant le silence. Est-ce qu’il y a des personnages qui y recourent le plus souvent ? De quelle manière et avec quel but ? Est-ce qu’il y en a d’autres qui sont systématiquement réduits au silence par les autres ? Toutes les différentes expressions de l’absence de parole dans les interactions des personnages de la Recherche pourront être envisagées. Un silence stratégique (et complice, lorsqu’il est manifesté par deux actants concurremment) sert à cacher un secret et/ou à omettre une vérité. Un silence de honte de la part du locuteur fait suite à une attitude coupable, à une offense subie ou à la révélation inconsciente et non voulue d’une vérité. Enfin, une déficience physique ou une émotion psychologique peuvent donner lieu à une réticence locutoire : le sujet parlant est incapable « de verbaliser ses pulsions, donc condamné au silence » (Van Den Heuvel 1985, 81).

•Axe 3 : Le silence du texte

L’article « À propos du “style” de Flaubert » montre que Marcel Proust n’est pas insensible à l’écriture du silence : « À mon avis, la chose la plus belle dans l’Éducation sentimentale, ce n’est pas une phrase, mais un blanc. » (CSB, 595) Or, « l’acte de la non-parole ne produit pas un énoncé linguistique, mais un vide textuel, un blanc » (Van Den Heuvel 1985, 67). Cet axe se concentrera sur les techniques et les stratagèmes dont l’écrivain dispose pour transposer l’oralité (manquée) du silence dans le texte littéraire. Les points de suspension, les phrases inachevées, des figures de style comme l’ellipse et l’aposiopèse concourent à la représentation graphique d’un silence du texte. De même, le signe conventionnel du « etc. », « version négative de l’inépuisable » (Boucharenc 1987, 242), abrège une liste en omettant des éléments considérés comme superflus et redondants. On pourra également aborder le silence du texte dans une autre perspective : « Les analyses génétiques restituent elles aussi des couches du discours qui se sont tues mais qu’on entendrait encore par écho ou rémanence. » (Le Meur 2011, 76) Dans les cahiers de brouillon et de mise au net, dans les dactylographies et dans les épreuves, le silence du texte n’est-il pas représenté par les biffures, par les épisodes supprimés, par les leçons rejetées, par tous les éléments qui ne verront pas le jour dans la version définitive ?

Les trois axes qu’on vient de présenter n’ont pas la prétention d’être exhaustifs : toute autre approche du silence dans la Recherche (ou dans Jean Santeuil, dans la Correspondance…) sera bienvenue.

Calendrier

Colloque Université de Padoue les 1-2-3 décembre 2022.

Délai de soumission des résumés : 28 février 2022

Les propositions de communication (300 mots maximum) doivent être accompagnées d’une note biobibliographique et envoyées aux adresses suivantes :
genevieve.henrot@unipd.it et ludovico.monaci@phd.unipd.it.

Retour du comité : Les participant(e)s recevront une réponse au plus tard le 31 mars 2022.

Publication : Les actes seront publiés dans la revue Quaderni proustiani (vol. 17, 2023 https://quaderniproustiani.padovauniversitypress.it/). Les articles (40 000 signes espaces comprises) devront être envoyés avant le 1er septembre 2022 (donc avant le colloque) et seront soumis à une relecture en double aveugle pour une publication au printemps 2023.

Comité scientifique

• Geneviève Henrot Sostero • Università di Padova (IT)
• Françoise Leriche • Université de Grenoble Alpes (FR)
• Anne Simon • École Normale Supérieure de Paris – République des Savoirs (FR)
• Isabelle Serça • Université de Toulouse-Le Mirail (FR)
• Eleonora Sparvoli • Università di Milano (IT)
• Anna Isabella Squarzina • Università LUMSA (IT)
• Davide Vago • Università Cattolica di Milano (IT)
• Marisa Verna • Università Cattolica di Milano (IT)
• Ilaria Vidotto • Université de Lausanne (CH)

Bibliographie sommaire

Barthes, Roland, Le Degré zéro de l’écriture [1953], Paris, Seuil, 2014.
Boucharenc, Myriam, « L’artiste et le silence : Stendhal, Proust », Nineteenth-Century French Studies, vol. 15, n° 3, 1987, p. 239-251.
Bourdieu, Pierre, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris Fayard, 1982.
Corbin, Alain, Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016.
Mura-Brunel, A. et Cogard K. éd, Limites du langage : indicible ou silence, Paris, L’Harmattan, 2002.
De La Motte, Annette, Au-delà du mot. Une « écriture du silence » dans la littérature française au vingtième siècle, Münster, Lit Verlag, 2004.
Ergal, Yves-Marie, Finck Michael éd., Écriture et silence au XXe siècle, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010.
Genette, Gérard, « Proust et le langage indirect », Figures II, Paris, Seuil, « Tel Quel », 1969.
Heilmann, Luigi, Silere-tacere. Nota lessicale, «Quaderni dell’Istituto di Glottologia dell’Università di Bologna», I, 1955-1956, pp. 5-16.
Henrot Sostero, Geneviève, Serça, Isabelle (dir.), Marcel Proust et la forme linguistique de la ‘Recherche’, Paris, Honoré Champion, 2013.
Henrot Sostero, Geneviève, « Dynamique conversationnelle dans le “Roman d'Albertine” de Marcel Proust », in Gisella Maiello (dir.), Il dialogo come tecnica linguistica e struttura letteraria, Napoli, Editrici Scientifiche Italiane, 2008, p. 111-131 ; traduit en anglais dans « Conversational Dynamics in ‘Albertine’s Love story’ (Marcel Proust, In Search of Lost Time) », Sociolinguistic Studies vol.11, n° 2, https://journals.equinoxpub.com/index.php/75, 2017, p. 41-67 (online)].
Henrot Sostero, Geneviève, « Déviances discursives. Portrait de Charlus en haut-parleur », Bulletin d’informations proustiennes, nº 32, 2001-2002, p. 121-136.
Kerbrat-Orecchioni, Catherine, L’Implicite, Paris, Colin, 1986.
Labeille, Véronique, « Le silence dans le roman : un élément de monstration », Loxias, n° 18 [en ligne].
Le Meur, Cyril, « Le silence du texte. La fondation du langage adressé », Poétique, n° 165, 2011, p. 73-90.
Perrichot, Claude, « La littérature du silence », Études françaises, vol. 2, n° 1, 1966, p. 109-116.
Anne Simon, « L’"arrière-plan de silence” du style de Proust », La Rumeur des distances traversées. Proust, une esthétique de la surimpression, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque proustienne », 2018, p. 239-252.
Van Den Heuvel, Pierre, Parole mot silence. Pour une poétique de l’énonciation, Paris, Librairie José Corti, 1985.