Le 18 novembre 2021 de 10h à 17h30 à l’UFR Lettres et Langues
Université de POITIERS 1 rue Raymond Cantel, Bâtiment A3 : salle A 415
ou à distance : https://univ-poitiers.webex.com/meet/beatrice.bloch
La Journée d’étude offre une réflexion sur la lecture de la poésie : le mode de lecture courant dans la fiction —l’identification du lecteur à l’histoire ou au personnage — peut-il exister dans la poésie ? Nous verrons s’il existe une possibilité d’identification du lecteur en poésie, qui ne serait pas seulement fusionnelle, par projection du lecteur dans un personnage, mais pourrait offrir aussi de partager un rythme, une voix, une expérience du corps avec le texte.
Du « je » du lecteur, qu’en est-il ? Découverte de soi-même par le texte poétique ou décentrement de soi et découverte d’autres expériences esthétiques, et d’autres réalités vécues que la sienne ?
Prenant la suite d’une recherche menée sur l’identification en fiction, en avril 2021, le FoReLLIS B entend déplacer la question et la poser sur le terrain du poétique : quelle(s) expérience(s) d’identification peut faire naître la poésie ? En fiction a été proposée par les théoriciens une distinction entre l’identification totale (projection dans le personnage, ses valeurs, ses modes de vie et de pensée) et identification partielle, donnant davantage lieu à un partage momentané d’expérience « empathique » (le mot « empathique » étant entendu ici, en un sens restreint qui le distingue de l’identification totale [Baroni, 2007], mais compris aussi au sens cognitif [Rodriguez, 2013] et à celui de la « mobilité empathique » [Rabatel, 2019] , mais non au sens d'identification fusionnelle).
L’identification (des)sert-elle un impact esthétique et affectif des poèmes et faudrait-il alors multiplier les opérations de décentrement, pour mieux saisir la complexité des émotions et des réflexions à l'œuvre dans la poésie ? L’esthétique décalée de la poésie par rapport au langage ordinaire est-elle un frein à l’entrée dans le poème ? Ou au contraire sa teneur autre qu’ordinaire, incite-t-elle le lecteur à s’y reconnaître autrement, à écrire aussi, à rêver, à vivre une expérience par le texte ?
La journée d'étude se déroulera en deux temps : l'un davantage orienté vers l'enseignement de la lecture poétique, le second vers la lecture de la poésie de lecteurs adultes. Nous entendrons Christine Boutevin, Nathalie Brillant-Rannou, Laetitia Perret, Aurélie Foglia, Antonio Rodriguez et David Gullentops.
10h à 10h45 Christine BOUTEVIN
Quelle expérience d’identification la poésie pour l'enfance et la jeunesse programme-t-elle ? Le cas des haïkus pour enfants.
Dans cette communication, je me propose d'étudier la question du « je » dans le micro-champ littéraire de la poésie pour l'enfance et la jeunesse contemporaine et les formes d'empathie programmée par le haïku pour enfants. Historiquement, le modèle de Maurice Carême a donné lieu à toute une production où « l'énonciation est souvent confiée à l'enfant qui assume ainsi le niveau de langue, l'affectivité et les préoccupations de son âge ainsi que le rapport qu'il entretient avec le monde et sa vision des êtres et des choses » (Ceysson, 1997 : p. 65). Prenant le contre-pied de cette énonciation enfantine, à la fin des années 1980, les éditions Cheyne ont développé dans leur collection pour la jeunesse « Poèmes pour grandir », une poésie du sujet (Vincent-Munnia, 2010 : 137) et proposé, notamment dans les recueils de Jean-Pierre Siméon, un « humanisme fortement marqué par un lyrisme adressé » à la jeunesse (Boutevin, 2015 : p. 72). On y voit aussi surgir sous la plume de David Dumortier (Boutevin, 2014) des figures d'enfants confrontés à des réalités sociales et affectives parfois difficiles auxquelles la jeunesse peut s'identifier.
Mais qu'en est-il dans la production contemporaine de haïkus pour enfants dont la vigueur n'est plus à démontrer (Boutevin, 2021). Il me paraît intéressant d'interroger ce corpus parce qu'il n'existe aucune autre forme poétique autant adaptée pour la jeunesse ni scolarisée depuis si longtemps (Bossi, 2019). J'examinerai donc qui est ce « je » (poète ? Enfant ? Autres ?) dans ces petits poèmes. Comment ces haïkus pourraient-ils susciter l’empathie chez un jeune lecteur ? Par quels procédés visant à produire cet effet y parviendraient-ils ?
Christine Boutevin est maîtresse de conférences en didactique de la littérature, à la Faculté d’éducation de l'Université de Montpellier, et membre du LIRDEF (laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation et formation). Spécialiste de la poésie pour l'enfance et la jeunesse, elle a, entre autres, publié Livres de poème(s) et poème(s) en livres pour la jeunesse aujourd'hui (PUB, 2018), et avec Nathalie Brillant Rannou et Gersende Plissonneau. A l’écoute des poèmes : enseigner des lectures créatives (Peter Lang, 2018).
10h45 à 11h30 Nathalie BRILLANT RANNOU
La voix et l’éclat : métaphores vives et reconfigurations énonciatives du poème par les lecteurs
En étudiant « la tension narrative », les nouveaux narratologues sont parvenus à prendre en compte le vécu phénoménologique du récit par le lecteur. En questionnant le sujet lyrique, les théoriciens de la poésie ont aussi rappelé les enjeux de l’énonciation. En didactique cependant, seule la modélisation de la spectature de fiction à travers les activités fictionnalisantes du lecteur s’est diffusée. Pourtant, les lectures empiriques de poésie par des spécialistes, des poètes ou des apprentis lecteurs, incitent à caractériser la reconfiguration énonciative des poèmes : identification partielle, participation de l’adresse, impact de la performativité. Rythme, corps, voix caractérisent des régimes de réception dans lesquels, et c’est mon hypothèse, l’image et le temps agissent de façon singulière.
Nathalie Brillant Rannou, spécialiste de poésie et de didactique est maîtresse de conférences en Lettres à l'Université Rennes 2. Avec Christine Boutevin, elle est à l'origine du réseau et de la revue scientifique Les Carnets de Poédiles, dédiés à l'enseignement de la poésie. Elle a publié, entre autres, Un Dictionnaire de didactique de la littérature, avec François Le Goff, Marie-José Fourtanier et Jean-François Massol en 2020 (Champion), et Autobiographies de chercheurs, lecteurs, scripteurs avec Bénédicte Shawky-Milcent, François Le Goff et Nathalie Lacelle (Presses de l'Ecureuil). Co-présidente de la Maison de la poésie de Rennes, son prochain livre s'intitulera Le Poème du lecteur.
11h30-11h45 Pause
11h 45 – 12h30 Laetitia PERRET
Identification et poésie dans les manuels et les programmes de différents niveaux scolaires : le cas de Hugo
Prenant la suite d’une recherche menée sur l’identification aux personnages de romans dans les manuels de lycée, lors d’un séminaire forellis, cette étude s’intéresse à l’identification en poésie dans les manuels scolaires. Il s’agira donc de voir si, comme pour le roman, l’approche métatextuelle qui prédomine dans la culture disciplinaire délégitime toute approche affective de la littérature (parmi lesquelles l’identification) (Perret, 2020). Si l’étude précédente ne s’intéressait qu’au lycée, la proposition actuelle étudiera trois segments : l’école primaire, le collège, le lycée général. Elle s’intéressera à la poésie de Hugo pour une double raison : d’une part, il est certainement l’un des auteurs les plus lus dans les classes françaises, aux différents segments scolaires, depuis le début du XXe siècle (Chervel, 1986 ; Bishop, 2010), d’autre part, il est dans ces mêmes segments, bien plus souvent poète que romancier (Bishop, Denizot, Lopez, Perret). Il s’agira donc d’analyser quel Hugo poète est présent dans ces manuels, en croisant trois perspectives : didactique, historique et comparatiste (Belhadjin & Perret, 2019). Les sélections des poèmes et les finalités de ces lectures sont-elles identiques ? Est-ce le même Hugo poète qui est lu, appris et étudié dans ces différents segments ? Qu’est-ce que cela nous dit sur les enseignements visés et sur les conceptions sous-jacentes de l’enseignement de la littérature, notamment en termes d’identification ?
Pour cela, nous avons identifié deux tranches synchroniques. La première qui couvre les années 1950-1960 connait des réformes structurelles qui modifient considérablement le système scolaire et aboutissent à la création des CES[1] en aout 1963, étape importante vers l’unification structurelle du système. La seconde période, 2010-2020 voit se consolider l’approche par compétences, de nouveaux concepts (lecture littéraire, sujet lecteur) ainsi que de nouvelles approches didactiques (lecture en réseaux, séquence didactique).
Notre méthodologie d’enquête, qui est exclusivement qualitative, confronte donc deux périodes et trois niveaux scolaires, en vue de répondre à la question suivante : quelle évolution de la vision de la poésie hugolienne et de son enseignement peut-on identifier d’une période à l’autre, d’un niveau à l’autre ? Quelle place est laissée à l’identification ?
Laetitia Perret est Maîtresse de conférence à l’ Université de Poitiers, à l’INSPE de Poitiers et membre du Forellis ÉA 3816. Elle a publié, entre autres, de L’extrait ou comment se scolarise la littérature, avec A. Belhadjin, en 2019 (Peter Lang) et L’idée de littérature dans l’enseignement (1860-1940), Garnier, coll. Études de littérature des XXe et XXIe siècles, en 2019 (Garnier, coll. Études de littérature des XXe et XXIe siècles).
12h30-14h Pause méridienne
14h-14h45 Aurélie FOGLIA
Qu'est-ce que le lirisme ? Quelques mots sur une poétique de la lecture en poésie
Autant, dans le cas du roman, et dans ce cadre générique-là, on voit tout de suite en quoi consiste l’identification (le lecteur se glissant dans la peau expérimentale d’un personnage), autant, en ce qui concerne la poésie, le dispositif apparaît tout à fait différent, et les outils opératoires manquent. Il s’agit donc d’explorer sous cet angle la réception du poème pour savoir « ce que ça fait à qui », pourquoi, comment. L’identification en poésie se dispenserait-elle de « l’étape-personnage », ou disons de son « truchement » ? On pourrait croire que l’expressivité traditionnelle du poème permettrait l’identification directe du lecteur à l’auteur-poète, mais c’est une idée fausse, voire dangereuse, qui brouille la donne. En réalité, les choses sont un peu plus compliquées. Le « lirisme » est justement un mot inventé pour porter cette théorie de la lecture, et la porter ailleurs que dans le rapport expressif-fusionnel qui a tant collé au vieux « lyrisme ».
Aurélie Foglia est maîtresse de conférences à l'Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle et poète. Sous le nom d'Aurélie Loiseleur, elle a consacré ses premiers travaux de recherche au romantisme. Sa thèse a donné lieu à un livre, L'Harmonie selon Lamartine, utopie d'un lieu commun (Champion, 2005), et elle a consacré de nombreux articles à Hugo, Vigny, Baudelaire, Flaubert, Rimbaud ou Verlaine, entre autres. Elle est l'auteure d'une Histoire de la littérature du XIXème siècle (Armand Colin, 2014)
14h45-15h30 Antonio RODRIGUEZ
La voix n’est plus le sujet. Quelles interactions face aux objets lyriques multimédias ?
Les théories de l’énonciation ont apporté à la critique de la poésie et du lyrique une réflexion approfondie sur le « sujet lyrique » et la « polyphonie », mais elles ont parfois cantonné l’interaction (souvent par la lecture) à une « ré-énonciation », moins complexe que certains aspects du « reader-response » anglophone. Une telle approche conduisait à identifier l’ensemble des phénomènes signifiants à une « voix », et à devoir s’identifier émotionnellement à un « sujet ». Plusieurs travaux ont pu remettre cette approche en question dans les années 2010. Le multimédia, désormais fortement présent dans les études internationales sur le lyrique et valorisé pendant la pandémie Covid, amène à radicaliser les doutes sur la « ré-énonciation » et à montrer des interactions empathiques plus subtiles, diffractées, par-delà la « voix » en poésie.
Antonio Rodriguez est poète et professeur de littérature française à l’Université de Lausanne. Spécialiste de poésie lyrique, il a été secrétaire et président de l’International Network for the Study of Lyric. Il est le directeur artistique du festival Printemps de la poésie en Suisse. Il mène actuellement le projet d’un dictionnaire du lyrique aux éditions Classiques-Garnier.
15h30-15h45 Pause
15h45 – 16h30 David GULLENTOPS
Pour une différenciation de la lecture identificatrice
La lecture de poèmes gagne à être étudiée à partir des enseignements de la génétique textuelle. Grâce aux manuscrits, le lecteur est mis en présence, non pas d’un texte unique, mais d’un ensemble textuel pluriel et variable. La lecture de poèmes qui se fonde sur l’investissement individuel d’un lecteur à la recherche d’éléments (pour lui) reconnaissables – la lecture identificatrice – est alors confrontée à d’autres pistes et à d’autres perspectives tout aussi relevantes et/ou pertinentes dans l’établissement d’une configuration d’interprétation du texte. Les manuscrits de Cocteau offrent des exemples assez déconcertants de l’importance d’une telle confrontation et nous incitent à nous interroger sur la nécessité de veiller à ce que le processus d’identification ne se restreigne pas (trop) à l’autoportrait du lecteur et à l’entérinement de ses « tics » de lecture.
David Gullentops est professeur de littérature française à l’Université de Bruxelles (VUB) et directeurs des Cahiers Jean Cocteau. Il est l’auteur, entre autres, d’une Poétique de la lecture. Figurativisations et espace tensionnel chez Émile Verhaeren (VUB-Press, 2001), d’une Poétique du lisuel (Éditions Paris-Méditerranée, 2001) et coéditeur des Œuvres poétiques complètes de Jean Cocteau (Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2005).
16h30- 17h30 TABLE RONDE et SYNTHESE
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ORGANISATION :
Forellis B, Université de Poitiers UFR Lettres et Langues
Pierre Loubier, Pierre Moinard, et Béatrice Bloch, dans le cadre du programme de recherche sur la lecture.