Colloque « Le Poète et la Cité »
Jeudi 21 et Vendredi 22 octobre 2021
UL Nancy – MSH Lorraine – Site du 91 avenue de la Libération à Nancy
salle internationale (3e étage, salle 324)
organisé avec le soutien de l'Université de Lorraine, de l'EA LIS, de l'UFR ALL, et de l'UFA
Programme
Jeudi 21 octobre
14h00 Accueil
Après-midi 14h30
14h30-14h45 Alain Génetiot (Université de Lorraine) et Aude Préta-de Beaufort (Université de Lorraine)
14h45-15h15 Emmanuelle Jouët-Pastré (Université de Lorraine), Platon et la puissance de la poésie dans la vie
15h15-15h45 Lucien Wagner (Université de Lorraine), La Couronne et les Lys : pensée politique dans le poème héroïque français des années 1650
15h45-16h00 Discussion
16h00-16h15 Pause
16h15-16h45 Juliette Fabre (Sorbonne Université), Le poète promeneur : regard sur la Cité
16h45-17h15 Henri Scepi (Université Sorbonne nouvelle Paris 3), Mallarmé futur
17h15-17h30 Discussion
Vendredi 22 octobre
Matin 9h
9h00 Cécile Huchard (Université de Lorraine), Cités des origines et leçons politiques dans la Seconde Semaine de Du Bartas
9h30 Philippe Chométy (Université Toulouse Jean Jaurès), Aux origines de la cité. Représentation des premiers poètes dans la littérature du XVIIe siècle
10h00-10h15 Discussion
10h15-10h45 Pause
10h45-11h15 Aurélie Foglia (Université Sorbonne nouvelle Paris 3), « Le souvenir de ce monde mortel » : raison du politique dans la poétique lamartinienne.
11h15-11h45 Jean-Claude Pinson (Université de Nantes), Intranquillité de la poésie.
11h45-12h00 Discussion
Après-midi 14h30
14h30-15h00 Christian Doumet (Sorbonne Université), Poésie, prophétie.
15h00-15h30 Olivier Belin (Université de Rouen), Poésies de rue : d'Isidore Ducasse aux gilets jaunes, et retour ».
15h30-16h00 Olivier Barbarant (Doyen de l’Inspection générale), « Car les lavoirs sont loin de la ville... » : Orphée et Nausicaa
16h00 Discussion
17h00 Fin des travaux.
*
Comité d’organisation :
M. Alain Génetiot (UL, LIS)
Mme Aude Préta-de-Beaufort (UL, LIS)
Comité scientifique :
M. Jean Vignes (Université de Paris)
M. Patrick Dandrey (Sorbonne Université)
Mme Catriona Seth (UL, LIS / Oxford University)
Mme Claude Millet (Université de Paris)
M. Jean-Michel Maulpoix (Université Sorbonne nouvelle)
Ces quinze dernières années, la question des rapports entre poésie et politique a été très souvent abordée dans le champ de la littérature française. On peut par exemple citer Poésie et politique au XXe siècle, sous la direction de Pierre Taminiaux et Henri Béhar (actes du colloque de Cerisy de 2010, Herman, 2011), Toi aussi tu as des armes. Poésie et politique (Jean-Claude Bailly et alii, La Fabrique, 2011), Poésie et politique de Giovanni Dotoli (Éditions du Cygne, 2013) ou, dernièrement, le colloque de l’université de Montréal, qui était prévu en mai 2020 sous l’intitulé Pourquoi la poésie aujourd’hui ? Motifs politiques du poème. Les études ne sont pas moins abondantes dans le domaine de la francophonie (Césaire, au premier chef) et de la littérature étrangère (Afrique, Amérique du sud, Espagne, Italie, monde arabe…). Elles portent également sur toutes les époques.
Cet intérêt pour les relations entre poésie et politique est à replacer sur le fond d’un questionnement plus large et dans des optiques diverses sur les pouvoirs de la littérature – « Que peut la littérature ? » (Marc Angenot), « À quoi pense la littérature ? » (Pierre Macheray) – ainsi que sur les pouvoirs de la poésie et du poète, principalement à la suite de la célèbre formule de Hölderlin dans « Pain et vin », « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? », à laquelle Adorno donne un écho tragique après Auschwitz. En témoignent notamment À quoi bon la poésie aujourd’hui ? sous la direction de Claude Le Bigot (P.U. Rennes, 2007), le séminaire de Jean-Michel Maulpoix au Petit-Palais en 2009-2010, « La poésie pour quoi faire ? », ou le colloque « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » organisé en 2016 par le Ministère de la culture et de la communication et le théâtre national de La Colline. Le colloque 2020 de l’université de Montréal marque bien l’articulation omniprésente entre pouvoirs de la poésie et politique. Cette mise en relation est aussi active dans Que pense le poème ? d’Alain Badiou (Nous, 2016). En ouvrant encore la perspective, c’est la dimension politique de la langue (Barthes) et du langage (Bourdieu) qui constituent l’arrière-plan.
Le colloque « Le Poète et la Cité » des 21 et 22 octobre 2021 contribuera à l’exploration de ces rapports entre poésie et politique dans le champ français, la « cité » étant entendue dans son sens antique, mais proposera une approche structurée de façon nettement diachronique, afin de mieux observer les variations au cours des siècles de la façon dont le poète peut, non seulement défendre ou promouvoir des idées ou une cause, occuper une place face au pouvoir politique, mais aussi créer ou participer à construire une forme de lien.
Lorsque au début de l’année la jeune poète Amanda Gorman a lu son poème à l’inauguration du président Joe Biden, elle s’inscrivait dans une tradition antique et renaissante, celle du poème civique et plus précisément dans l’institution du « poète lauréat » que les Anglo-Saxons contemporains ont conservée. C’est que la poésie, loin d’être un ornement divertissant et plus ou moins inutile, est reconnue en beaucoup de pays du monde comme centrale à la société en tant qu’elle est porteuse d’une éthique du lien, du fait même de son travail sur la langue commune. Comme l’a montré Jean-Pierre Siméon dans La Poésie sauvera le monde, c’est par son exigence même que la poésie permet d’échapper à l’utilitarisme et au divertissement en se centrant sur l’essentiel, le rapport de l’homme au monde. Penser la poésie comme l’instrument d’une communauté, de la ville au pays et à la société humaine tout entière, c’est retrouver le sens d’une poésie de la Cité contre une poésie solipsiste. La malédiction que Platon dans la République dirigeait contre les poètes en tant qu’imitateurs au second degré laissait place pour une catégorie de poètes, ceux qui pratiquaient la louange civique des grands hommes et des héros de la Cité. L’histoire de la poésie, dans sa composante épidictique de louange mais aussi de blâme, est fertile en discours politique de légitimation ou de contestation des pouvoirs.
On se propose donc d’interroger la manière dont la poésie permet de faire société et en quoi le poème encomiastique ou son envers satirique s’articulent à un idéal de comportement éthique et social. Limité à la poésie française mais élargi à l’ensemble de la période moderne et contemporaine, du XVIe siècle à nos jours, on s’attachera à souligner comment, de l’Ancien Régime à la République, la poésie tient un discours sur le monde et définit des valeurs communes qui permettent de rassembler les membres de la Cité. Ce dernier terme peut s’entendre au sens strict d’une poétique de la ville définie comme un espace social, celui des entrées royales, des célébrations collectives ou des manifestations populaires. Mais c’est plus généralement l’organisation socio-politique et, par-delà, l’économie du monde définie à travers des valeurs éthiques et esthétiques. Dans son lien avec les pouvoirs, la société, les idéaux communs, la poésie comme discours idéologique à visée pragmatique est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie sur une quête esthétique. On recoupera ainsi une réflexion sur la Cité au sens du cadre urbain qui réunit les hommes et les « civilise » dans la tradition d’Horace, l’« engagement » sur des causes politiques, sociales, spirituelles qui témoignent de la responsabilité sociale du poète au sein d’une éthique de la vie en commun.
Même si elle a pu se vouloir, avec la modernité de la fin du XIXe siècle et dans la lignée de Mallarmé et Valéry, intransitive, réflexive et hantée par la négativité, puis, dans les premières décennies du second XXe siècle, textualiste et formaliste, un Denis Roche appelant même à la considérer comme « inadmissible », le poète a pu y trouver aussi, dans la seconde moitié du XXe siècle et au début du XXIe siècles, une manière de changer le monde (Rimbaud, les surréalistes), de défendre un pays mais surtout l’Homme (la poésie sous l’Occupation), d’ « habiter » le monde (Hölderlin) et de proposer au lecteur une expérience « poéthique » (Michel Deguy), une expérience de la « présence » (Yves Bonnefoy) au contact du monde et d’autrui. Le poète aujourd’hui continue majoritairement de recourir au livre, il ne faut pas l’oublier, mais il « descend » également dans la rue, ses poèmes sont affichés dans le métro, il rencontre ses lecteurs, entre en contact avec d’autres formes issues de la culture populaire (rapp, slam, art de rue, tags) ou des usages actuels (blogs), nourrit parfois l’ « utopie » d’une « poésie faite par tous » (voir les travaux récents d’Olivier Belin). Parole organisatrice ou questionnement sans relâche adressé à l’énigme, sa poésie est civilisatrice, créatrice de valeurs communes contre les singularités et la barbarie.