Le numéro XXIII du Verger, revue numérique de l’association Cornucopia, sera consacré à l’aventure à la Renaissance.
Dès le moyen français, aventure signifie ce qui peut advenir (au sens de contingence) ou ce qui doit advenir (au sens de destin). Elle désigne également un événement inattendu, à l’issue heureuse ou malheureuse, et digne d’être raconté. On trouve encore au xvie siècle les verbes aventurer (faire courir un danger) et s’aventurer (se risquer), ainsi que le participe passé aventuré (qui arrive par aventure ou qui est soumis au risque) et l’adjectif adventureux (précaire ou inopiné, entreprenant ou téméraire). Le substantif adventurier, qui peut désigner, dans le vocabulaire militaire, le soldat à pied volontaire, peut aussi avoir le sens, comme adjectif, de fortuit.
L’aventure caractérise un large pan de l’imaginaire médiéval, auquel contribuent les romans de chevalerie et les représentations contemporaines du voyage au long cours, que véhiculent notamment les romans d’aventures. Le xvie siècle, qui se trouve en amont de l’un des possibles ancêtres du genre, le Don Quichotte de Cervantès, et en aval de la naissance du cycle arthurien, paraît peu concerné par la notion d’aventure si l’on considère seulement les genres et les titres des ouvrages publiés. Il correspond en outre à une période d’évolution de l’éthique chevaleresque, dont certains déplorent les mutations voire la dégradation, en particulier sur fond de guerres civiles (Deruelle, 2015).
La Renaissance est pourtant la période des grands voyages d’exploration et de conquête, ainsi que de leurs récits largement diffusés. Innervée par la lecture des romans des siècles passés, elle goûte également les poèmes épiques comme celui de l’Arioste, le Roland furieux. Elle est encore, sous l’égide de Lucien récemment redécouvert, une période de vogue des histoires fabuleuses, qu’elles soient des traductions (les Éthiopiques d’Héliodore, par Jacques Amyot) ou des œuvres originales (L’Alector de Barthélemy Aneau).
Pour la période contemporaine, l’aventure serait « avènement de l’événement » (Jankélévitch, 1963) et confrontation avec le hasard, tandis qu’elle serait davantage « attente de l’événement » (Herman, 2018) et poursuite d’une destinée pour la période médiévale. Qu’en est-il au xvie siècle ? L’aventure est-elle d’abord ouverture à l’imprévisible, aux risques et périls de celles et ceux qu’elle implique, ou soumission à un ordre caché qu’il faudrait découvrir et accepter ? L’aventure requérait encore, dès le Moyen Âge, l’« irrésistible implication du sujet » (Agamben, 2016) : revient-elle, à la Renaissance, à s’investir à titre individuel ? À agir ou plutôt à pâtir ?
Nous nous attacherons à l’aventure telle qu’elle peut être thématisée par les textes du début de l’époque moderne mais aussi telle qu’elle peut être décelée dans les pratiques ou les œuvres à partir de définitions actualisées de la notion. Toutes les approches disciplinaires sont les bienvenues : histoire, littérature, histoire de l’art, musicologie, philosophie…
Des pratiques concrètes. On s’attachera aux diverses formes que peut revêtir l’aventure, qu’elle soit physique (voyage, pèlerinage) ou spirituelle (extase, songe, initiation), militaire ou amoureuse. Est-elle individuelle ou collective ? Concerne-t-elle les hommes plutôt que les femmes ? À quels risques expose-t-elle ? Quelles fonctions (sociales, politiques, économiques…) remplit-elle ? Quels sont les incitations et au contraire les freins à l’aventure, qu’ils soient concrets ou symboliques, extérieurs ou intérieurs, à l’image du rémora, le poisson freinant le bateau sur l’emblème d’Alciat ? Les genres littéraires concernés. On interrogera la présence et le rôle de l’aventure dans une pluralité de genres renaissants, qu’ils soient fictionnels ou référentiels. Est-elle une dynamique des derniers romans de chevalerie, à l’instar de l’Amadis de Gaule ? Des romans humanistes de Rabelais et d’Hélisenne de Crenne ? Quelle fonction occupe-t-elle dans les mémoires et les récits de voyage, qui s’attacheraient davantage à représenter des merveilles qu’à relater des péripéties au xvie siècle (Tinguely, 2019), et en quoi pourrait-elle nuire à la crédibilité du témoignage ? L’aventure trouve-t-elle encore sa place en poésie, dans les chansons ou au théâtre ? Quels liens entretient-elle en particulier avec la veine épique et avec la veine comique, la seconde venant peut-être subvertir les codes de la première ? Des caractéristiques spatiales et temporelles. On déterminera quels sont les temps et les lieux propices à l’aventure. Y a-t-il des moments de la vie, comme la jeunesse, ou des périodes historiques, comme les guerres d’Italie, plus favorables à l’aventure ? Des lieux symboliques et topiques, comme le carrefour, la forêt ou la mer ? Des lieux réels mais aussi rêvés, à l’instar du continent américain ? Quelles sont encore sa chronologie et sa géographie propres, son départ, ses détours et son aboutissement ? Quelles en sont les représentations textuelles ou iconographiques, dans les genres picturaux comme dans les recueils d’emblèmes ? Les modalités de la narration. On tâchera de comprendre la manière dont est racontée l’aventure et les possibles modèles théoriques et poétiques qu’elle contribue à forger ou à bousculer. Est-elle de l’ordre de l’invention ou de la disposition ? Contribue-t-elle à la fragmentation ou à la cohérence du récit ? Implique-t-elle toujours des péripéties et des retournements de situation ? Est-elle pensée par le biais d’un modèle aristotélicien que le xviesiècle redécouvre ? Quels rapports entretient-elle avec la « pré-histoire » du suspense (Cave, 1999) ? Si ses usages méta-littéraires signalent souvent une élaboration littéraire, existe-t-il une écriture « à l’aventure », comme le revendique Joachim Du Bellay ? Les implications philosophiques, morales ou religieuses. On se demandera en quelle mesure l’aventure constitue ou non une expérience permettant l’accomplissement de l’individu, en particulier dans le cadre de l’éthique nobiliaire. Est-elle le temps de la liberté ou de la contrainte ? De la preuve de la bravoure et de la construction d’une réputation favorable ? de l’héroïsme ? Quelle part de violence implique-t-elle sur soi et sur les autres ? Est-elle encore vantée au présent ou forme-t-elle un idéal toujours déjà perdu ?Le thème de l’aventure, qui implique une multiplicité de relations à soi, aux autres et au monde, se veut une manière de célébrer les dix ans de la belle aventure humaine de l’association Cornucopia.
Direction du numéro : Raphaëlle Errera, Anne-Gaëlle Leterrier-Gagliano, Lisa Pochmalicki et Alicia Viaud
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Le Verger est une revue pluridisciplinaire consacrée à l’étude de la Renaissance et dirigée par l’équipe de Cornucopia. Toutes les propositions seront examinées par les membres de l’association en charge du numéro et soumises à l’approbation du comité de lecture.
Dans le cadre fixé par l’appel, les contributrices et les contributeurs sont libres du choix de leur sujet et de leur approche. Les articles peuvent être de longueur variable, dans une limite de 8 à 15 pages, soit entre 30 000 et 50 000 caractères environ (espaces et notes inclus).
Calendrier :
- avant le 1er octobre 2021 : envoi d’une proposition composée d’un titre provisoire et d’un résumé d’une page maximum, accompagnée d’une brève notice bio-bibliographique : site.cornucopia@gmail.com
- novembre 2021 : réponse de l’équipe de Cornucopia et du comité de lecture.
- avant le 31 mars 2022 : remise des articles sous forme électronique (respectant la feuille de style qui sera fournie) pour relecture par l’équipe et par le comité.
- juin 2022 : mise en ligne du numéro.