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"Les beautés de Nature": images, fonctions, paradigmes du monde naturel dans l’œuvre d’Agrippa d’Aubigné et ses contemporains (fin XVIe s. - début XVIIe s.)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Cécile Huchard)

Revue Albineana n°34

«  Les beautés de Nature » :

images, fonctions, paradigmes du monde naturel dans l’œuvre d’Agrippa d’Aubigné et ses contemporains

(fin XVIe s. - début XVIIe s.)

 

L’inscription de la nature et des éléments naturels est multiple, quoique souvent inaperçue, dans l’oeuvre foisonnante d’un auteur comme Agrippa d’Aubigné. Du discours que tient la Terre ravagée par la guerre civile à « ses enfants », dans « Misères », à la comparution des « beautés de Nature » face aux persécuteurs dans « Jugement », la nature tantôt compatissante, tantôt « dénaturée » des Tragiques dénonce les désordres humains qui viennent corrompre l’agencement et les finalités du monde créé par Dieu, tandis que la réflexion sur la résurrection des corps, en croisant les arguments physiologiques, cosmologiques ou alchimiques, interroge sur la continuité entre monde physique et action divine. La poésie amoureuse du Printemps, un titre en soi évocateur, puise abondamment dans un répertoire d’images, certes en partie reprises des topoï du pétrarquisme, faisant référence à la nature, - jardins et fleurs, montagnes et rocs, flots et tempête, les saisons... -, pour exprimer les tourments de l’amour et les états d’âme du poète. Les similitudes empruntées au monde naturel et aux éléments sont nombreuses aussi dans les écrits politiques et religieux, dans un contexte et avec des fonctions discursives différentes, où il s’agit par exemple de donner à voir un ordre cosmique qui doit servir de modèle pour le gouvernement des hommes. Dans les textes satiriques et polémiques, invoquer le dévoiement de la nature, la monstruosité, et tout un bestiaire associé, fait également partie des procédés rhétoriques les plus courants. Ou encore, le débat sur les sorciers qui traverse les Lettres sur diverses sciences conduit l’auteur à tenter de distinguer les effets d’une nature extravagante ou de la maîtrise de ses secrets – imagination, maladies, filtres et décoctions – de ce qui relève du surnaturel.

Ainsi l’œuvre d’Aubigné, par sa diversité générique et la multiplicité de ses intérêts, met en exergue une grande variété de références à la nature, ainsi que des usages qui sont faits de ces références. Et si le recensement et l’étude de tels traits peuvent permettre de mieux cerner les contours d’une vision et d’un imaginaire singuliers, ils amènent aussi, dans la mesure où ils renvoient, pour une partie au moins d’entre eux, à des lieux communs ou des usages discursifs plus largement partagés, à mettre en évidence des représentations, des présupposés et des valeurs significatifs des relations entre l’être humain et la nature au tournant des XVIe-XVIIe s.

Or si cette question s’impose aujourd’hui comme un enjeu majeur de nos sociétés dont s’emparent les sciences humaines, la période de la fin de la Renaissance apparaît à l’évidence comme un moment-clé à plusieurs égards. Les hypothèses de précurseurs comme Copernic et Galilée, ou celles plus audacieuses encore de Giordano Bruno, - mais aussi la critique inspirée par le scepticisme qui est celle de Montaigne -, viennent interroger la place que l’être humain s’était assignée dans l’édifice bien ordonné et hiérarchisé du cosmos et de la Création. Les navigations et les découvertes de terres lointaines dévoilent aux Européens une luxuriance et une prodigalité de formes naturelles nouvelles et jusque là insoupçonnées. Le long processus par lequel l’ontologie dominante de l’Occident, comme l’a montré Philippe Descola1 , dans la lignée de Michel Foucault, passe du paradigme de l’ « analogisme » à celui du « naturalisme », va trouver son achèvement, soulignant la similitude des corps et objets du monde régis par les mêmes lois physiques pour mieux distinguer la singularité de l’esprit humain. Des travaux plus anciens comme ceux de Carolyn Merchant2 ont aussi mis en évidence le lien entre les débuts de la science moderne et un basculement dans les représentations de la nature qui s’exprime dans le langage et la littérature, notamment par le biais des métaphores du genre et de la féminité, d’une vision organiciste où la nature est une mère source de vie et de bienfaits, à une injonction à dominer et assujettir sous l’empire de la raison et des finalités humaines une matière sauvage et sans mesure. Dans le champ propre des études littéraires, l’enquête de Jean Céard3 sur les monstres et les prodiges insistait sur la discontinuité entre effets naturels d’une part, et agir humain mais aussi interventions divines d’autre part, qui prend le pas à la fin du XVIe s. sur la vision antérieure d’un univers où ces différents ordres s’interpénétraient et dont les frontières étaient beaucoup plus floues. Des travaux se sont depuis intéressés notamment aux discours et aux ouvrages scientifiques – médecine, botanique, zoologie etc.- et aux conceptions du monde naturel qui les sous-tendent.

Il semble intéressant de regarder de plus près dans quelle mesure ces différents paradigmes de la nature et des relations de l’homme avec le monde naturel, ainsi que les échos des évolutions en cours, transparaissent dans l’oeuvre d’un auteur comme Aubigné, à la fois profondément religieux, et amateur de toutes sortes de curiosités et de connaissances, poète, historien, théologien et polémiste.

Mais si l’oeuvre albinéenne propose ainsi un point de vue en quelque sorte panoramique, elle invite aussi à élargir le questionnement à d’autres œuvres, parmi celles de ses contemporains, qu’il s’agisse de ceux avec qui il entre en discussion, dont il s’inspire, ou d’autres encore partageant des intérêts du même ordre ou adoptant au contraire une posture différente. Des poètes comme Sponde ou, à l’évidence, Du Bartas, et plus largement la poésie dite « baroque » où les éléments naturels occupent une place significative, un genre comme celui des bergeries et du théâtre – ou du roman - pastoral, les Histoires prodigieuses de Boaistuau, les récits de voyage, des œuvres à vocation encyclopédique comme le Théâtre de la Nature universelle de Bodin, sans oublier Montaigne et son approche à tant d’égards singulière, offrent autant d’exemples, loin d’être exhaustifs, de la diversité et de la richesse des représentations du monde naturel, de la manière dont elles entrent en composition avec les différents genres et des enjeux auxquels elles sont susceptibles d’être associées dans cette période qui va de l’ébranlement des guerres de religion au Discours de la méthode de Descartes.

Différentes questions peuvent alors être posées et différentes pistes peuvent être explorées, comme :

- est-il possible de préciser ce que recouvre le terme de « nature » à partir de son emploi dans certains textes littéraires de l’époque ; qu’est-ce qui est « naturel » et à quoi cela s’oppose-t-il (Dieu et ce qui relève de la « surnature » ; ou déjà, selon un paradigme a priori plus moderne, l’artifice et la technique, la culture et la civilisation ?...)  ?

- quelles images et quels aspects du monde naturel sont privilégiés, - jardin ou forêt, animal, végétal ou minéral, mer ou « désert » -, dans quel contexte, pour souligner quels traits ou quels faits, avec quel lexique ?

- quelles sont les fonctions rhétoriques des références aux éléments naturels dans la poésie (amoureuse, religieuse...) ou dans les discours en prose, et au-delà de la dimension topique, ornementale ou esthétique, que nous disent-ils des représentations et des valeurs qui leur sont associées ?

- quelles sciences et quelles connaissances de la nature sont mobilisées et peut-on y déceler une épistémé à l’oeuvre ; à quels usages sont-elles destinées (qu’il s’agisse d’usages d’orientation pratique et technique ou d’une intention théorique voire contemplative) ; qu’est-ce qui résiste à la connaissance et pourquoi ?

- quelle articulation entre les représentations de la nature et la foi religieuse, qu’il s’agisse de la réaffirmation d’un ordre divin providentiel et immanent ou au contraire de la contestation des dogmes chrétiens par un naturalisme cynique ou libertin ? Et dans quelle mesure des différences liées aux confessions sont-elles ou non perceptibles ?

- Enfin, quelle est la place de l’être humain au sein du monde naturel, ou face à lui ; dans quelle mesure se réfère-t-on à la nature en tant que modèle et garante de conceptions éthiques, et inversement peut-on entrevoir une éthique de la nature, des relations avec elle et de ses usages?

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Les propositions (titre et résumé de 500 mots maximum) sont à adresser à cecile.huchard@univ-lorraine.fr jusqu’au 15 juillet 2021.

Elles seront étudiées par le comité éditorial de la revue.

Les contributions (35 000 caractères maximum) seront à remettre pour le 1er mars 2022.

 

 

1Philippe Descola, Par delà nature et culture, Paris, Seuil, 2005.

2Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology, and the scientific revolution, Harper and Row, 1980.

3Jean Céard, La Nature et les prodiges, Genève, Droz, 1977.