Ce dossier critique s’associe au numéro 34 de la revue Fabula-LhT, intitulé « Penser queer en français : littérature, politique, épistémologie », pour mettre en valeur la diversité des publications francophones qui ont cherché, ces dernières années, à traduire, interroger ou revitaliser la dimension transversale du geste épistémique queer, que ce soit dans le domaine de l’herméneutique littéraire comme dans celui des études culturelles, ou encore dans l’espace de la conceptualisation philosophique.
La recension de la recherche autothéorique fondatrice de Gloria Anzaldúa par Tamara Figueroa entre ainsi en résonance avec la lecture d’un essai important de Sara Ahmed qui est ici proposée par Pierre Niedergang. Ces deux traductions récentes permettent en effet de mieux cerner les enjeux d’une pensée intersectionnelle de l’identité qui s’avère inséparable d’une réflexion sur l’espace vécu. Quand Ombre Tarragnat s’attache à suivre les inflexions écologiques et épistémologiques de la théorie queer chez Donna Haraway, elle contribue à son tour à éclairer la généalogie des réflexions qui ont inspiré à Paul B. Preciado, dans le contexte de la crise pandémique du Covid-19, un essai rhizomatique dont Mélodie Marull s’attache, de son côté, à retracer les lignes obliques.
Un brûlant désir d’utopie innerve les nombreuses créations littéraires et artistiques étudiées dans l’ouvrage collectif dirigé par Judith Cohen, Samy Lagrange et Aurore Turbiau. Le compte rendu qu’en donne Anne-Sophie Tisserand viendra compléter la lecture critique d’un texte important de José Esteban Muñoz, développée, dans le cadre du présent dossier, par la recension de Yazan Alloujami. Avec l’essai de Pauline Clochec commenté ici par Leo Le Diouron, c’est la notion même de transidentité qui se trouve vigoureusement remise en cause. La lecture d’un ouvrage de Pierre Niedergang tracée par Ulysse Caillon rend finalement compte des tensions qui traversent ce champ d’études et de recherches, à l’intersection des milieux académiques et militants, en montrant combien ces débats viennent finalement relancer l’élan théorique qui se revendique « queer ».
D’autres parutions récentes auraient pu trouver leur place au sein de ce débat critique, à commencer par l’essai Queer publié par Inès Liotard et Philippe Liotard (Anamosa, 2025). De fait, à l’image du numéro de la revue Fabula-LhT auquel il est associé, l’espace de ce dossier est aussi celui d’une friction entre différents positionnements théoriques et politiques. Penser queer en français au contact de la multiplicité des textes et des langues revient aussi à se plonger dans une polyphonie qui peut parfois sembler dissonante, mais qui apparaîtra ici, par-delà l’implacable logique des partages disciplinaires, comme une effervescence d’idées, d’affects et de voix.
sur : Gloria Anzaldúa, Terres frontalières. LA FRONTERA. La nouvelle mestiza [Borderlands/La Frontera: The New Mestiza, 1987], trad. Nino S. Dufour et Alejandra Soto Chacón, Paris : Cambourakis, 2022, 322 p., EAN 9782366247183.
sur : Sara Ahmed, Queer Phenomenology. Orientations, objets et autres [Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others, 2006], trad. Laurence Brottier, Paris : Le Manuscrit, 2022, 350 p., EAN 9782304052824.