Atelier



Le clou de Tchekhov.

Retours sur le principe de causalité régressive


par Marc Escola

Rédigé fin 2009, cet essai est la version développée d'un article paru avec les actes d'un colloque tenu en 2008, publiés sous le titre La Partie et le tout. Les moments de la lecture romanesque sous l'Ancien Régime (XVIIe-XVIIIe siècles), textes réunis par M. Escola, J. Hermann, et alii, Louvain, Peeters, coll. "La République des lettres", 2011.





Le clou de Tchekhov.

Retours sur le principe de causalité régressive


Les théories modernes du récit ne se veulent pas des théories du récit moderne: si l'on se fie aux déclarations convergentes de ses pères fondateurs, l'ambition de la narratologie fut de constituer une grammaire universelle à partir de laquelle appréhender la totalité des récits existants, et tous ceux encore à naître, quels que soient leur aire linguistique et leur contexte de production respectifs. D'où vient alors que les catégories léguées par la narratologie se révèlent si souvent inaptes à décrire les phénomènes les mieux représentés dans les fictions de l'âge classique? On peut en faire l'épreuve, et ne trouver qu'un profit assez mince à mobiliser les outils forgés par G. Genette, T. Todorov ou R. Barthes dans l'analyse de Don Quichotte ou Le Grand Cyrus, Cleveland ou La Vie de Marianne.

On se livrera ici à une manière d'enquête sur les présupposés qui hantent les premiers moments de l'entreprise ou de l'aventure narratologique. Quelle «pensée du roman» commande les propositions méthodologiques des poétiques modernes du récit? De quelle conception de la production fictionnelle la narratologie est-elle solidaire? Et au fond, quel est le statut épistémologique de ce qui se donne comme une «grammaire générale» du récit?

On posera au préalable cette première hypothèse: si la narratologie se trouve partiellement inapte à traiter des fictions de l'âge classique, ne serait-ce pas parce qu'elle postule une définition des rapports que le tout du récit entretient avec ses parties qui ne trouve que rarement son répondant dans les modes de composition privilégiés par les romanciers des XVIIe et XVIIIe siècles?


Si par une nuit d'hiver, un poéticien…


On partira d'une simple anecdote, qui donne d'abord à penser quant à l'influence du climat météorologique sur le développement de la théorie littéraire: si l'on en croit l'Avant-Propos au Nouveau Discours du récit (1983), la démarche retenue par G. Genette quelques dix ans auparavant pour l'établissement des grandes catégories de la narratologie dans «Discours du récit» —paru en 1972 avec le troisième volume de Figures— fut directement tributaire des rigueurs de l'hiver 1969 à New Harbour (Rhode Hampshire): retenu chez lui par les congères, le poéticien dut «faire avec» le seul texte dont il disposait à domicile, «les trois volumes Pléiade de la Recherche du temps perdu», rivalisant ainsi «avec la manière, elle souveraine, dont Erich Auerbach, privé (ailleurs) de bibliothèque, écrivit un jour Mimèsis»[1]. La précision n'est pas donnée par Genette pour le seul «amour du “petit fait vrai”», et n'est nullement destinée à satisfaire une curiosité biographique: elle engage le destin même de la théorie du récit en même temps qu'une «pensée du roman». L'anecdote vient en effet souligner, non sans humour,la «dualité d'objet d'une démarche qui refusait de choisir entre le “théorique” (le récit en général) et le “critique” (le récit proustien dans la Recherche[2]. Il y a là un refus et une «répugnance à choisir» sur lesquels G. Genette s'est plusieurs fois expliqué, et qu'il rapporte au paradoxe de la poétique elle-même dont quelques lignes de l'Avant-Propos de «Discours du récit» faisaient plus ingénument l'aveu:

«Ce que je me propose ici est essentiellement une méthode d'analyse: il me faut bien reconnaître qu'en cherchant le spécifique je trouve de l'universel, et qu'en voulant mettre la théorie au service de la critique, je mets malgré moi la critique au service de la théorie. Ce paradoxe est celui de toute poétique, sans doute aussi de toute activité de connaissance, toujours écartelée entre ces deux lieux communs incontournables, qu'il n'est d'objets que singuliers, et de science que du général […]»[3].

Ce postulat proprement théorique d'une transcendance des catégories descriptives de la narratologie à l'égard des objets singuliers que sont les textes a été régulièrement reconduit par G. Genette, et encore dans le chapitre de Fiction et Diction qui démontre que récits factuels et récits fictionnels s'écrivent dans une même grammaire— que les catégories narratologiques sont donc également opératoires dans les deux champs[4].

Il reste que le corpus sur lequel ont été élaborées ces catégories n'est nullement indifférent: seraient-elles exactement les mêmes si, au cœur de l'hiver nord-américain et au lieu de la Recherche du temps perdu, Genette n'eût disposé que des sept ou huit tomes de Cleveland ou de quelques volumes dépareillés du Grand Cyrus?

La description d'À la Recherche du temps perdu proposée dans Figures III révèle en effet que le choix de Proust est solidaire d'une conception du récit qui privilégie le tout sur la partie, et donne logiquement priorité au dénouement sur chacun des moments qui l'acheminent. La chose est assez évidente dès les premières pages de «Discours du récit», où le texte narratif est assimilé à une unique phrase syntaxiquement et sémantiquement complète — «développement, aussi monstrueux qu'on voudra, donné à une forme verbale, au sens grammatical du verbe: l'expansion d'un verbe» (cette conviction est commune à T. Todorov comme à R. Barthes dans ces mêmes années); aux yeux du théoricien, L'Odyssée ou la Recherche ne font «d'une certaine manière qu'amplifier (au sens rhétorique) des énoncés tels qu'Ulysse rentre à Ithaque ou Marcel devient écrivain»[5]— en vertu de quoi les problèmes d'analyse du discours narratif se trouvent pouvoir être formulés, comme on sait, selon des catégories «empruntées à la grammaire du verbe» (temps, modes, voix). Sur la foi des deux «résumés» ici proposés, et au regard de l'aspect duratif des deux verbes semblablement perfectifs, les fictions narratives sont d'emblée caractérisées comme des histoires dont chaque moment implique le terminus ad quem de l'ensemble. Et si l'analyse des «anachronies» occupe une telle place dans «Discours du récit» (dont elle constitue peut-être le meilleur), c'est que G. Genette est manifestement fasciné par le «caractère rétrospectivement synthétique du récit proustien, à chaque instant tout entier présent à lui-même dans l'esprit du narrateur, qui — depuis le jour où il en a perçu dans une extase la signification unifiante— ne cesse d'en tenir tous les fils à la fois, d'en percevoir à la fois tous les lieux et tous les moments, entre lesquels il est constamment à même d'établir une multitude de relations “télescopiques”»[6].

Mais comment le lecteur de la Recherche pourrait-il percevoir ce «caractère rétrospectivement synthétique du récit», sinon en acceptant de le reprendre depuis son dénouement? Seul celui qui accepte de relire le roman, et le narratologue est de ceux-là par obligation professionnelle, peut communier avec le narrateur dans cet idéal de signification unifiante: en dépit de l'inachèvement de l'œuvre, l'intelligence narratologique du récit doit tout au caractère toujours-déjà achevé d'un roman élaboré, comme G. Genette le rappelle à plusieurs reprises, par expansion interne — le roman n'a pu s'écrire qu'une fois arrêté ce que devait être l'illumination finale[7]. À tout instant ou presque, l'analyse narratologique se révèle ainsi solidaire d'une conception singulière de la production du récit, et plus précisément d'un principe de «causalité régressive» donné comme la loi même de l'écriture fictionnelle.

On ne le comprend bien qu'en revenant à un autre essai de G. Genette qui fut pour lui comme le préalable immédiat au projet de «Discours du récit» (la chose n'a guère été remarquée, et les dates importent ici): l'article intitulé «Vraisemblance et motivation» recueilli dans le second volume des Figures[8]. Le théoricien puisait alors dans les Lettres de Valincour sur La Princesse de Clèves cette «loi du récit», «simple et brutale»: «la fin justifie les moyens» — une loi qui reçoit là le nom de «détermination rétrograde» (soit encore: «détermination des causes par les effets») et qui commande en retour une analyse «fonctionnelle» de l'enchaînement narratif dont «Discours du récit» allait bientôt délivrer le mode d'emploi.

«M. de Clèves ne meurt pas parce que son gentilhomme se conduit comme un sot, mais le gentilhomme se conduit comme un sot pour que M. de Clèves meure, ou encore, comme le dit Valincour, parce que l'auteur veut faire mourir M. de Clèves et que cette finalité du récit de fiction est l'ultima ratio de chacun de ses éléments. […] Ces déterminations rétrogrades [sont] la logique paradoxale de la fiction qui oblige à définir tout élément, toute unité du récit par son caractère fonctionnel, c'est-à-dire entre autres par sa corrélation avec une autre unité, et à rendre compte de la première (dans l'ordre de la temporalité narrative) par la seconde, et ainsi de suite — d'où il découle que la dernière est celle qui commande toutes les autres, et que rien ne commande[…]. Selon ce schéma, tout dans La Princesse de Clèves serait suspendu à ceci, qui serait proprement son télos: Mme de Clèves, veuve, n'épousera pas M. de Nemours, qu'elle aime, de même que tout, dans Bérénice, est suspendu au dénouement énoncé par Suétone: dimisit invitus invitam

Le parallèle est éclairant: comme toute action dramatique tragique, un récit s'écrirait «à rebours» depuis son dénouement — telle est la «logique paradoxale» de la fiction, narrative ou dramatique.

G. Genette n'est pas seul à le penser: au vrai, tous les théoriciens qui fondent, à la fin de ces mêmes années 1960, la narratologie œuvrent dans la commune conviction qu'analyser le récit, c'est en quelque sorte accepter de le lire à l'envers — dans l'ordre où on peut croire qu'il s'est écrit sinon inventé. Ainsi de R. Barthes, dans sa célèbre «Introduction à l'analyse structurale du récit»:

«Tout laisse à penser en effet que le ressort de l'activité narrative est la confusion même de la consécution et de la conséquence, ce qui vient après étant lu dans le récit comme causé par; le récit serait, dans ce cas, une application systématique de l'erreur logique dénoncée par la scolastique sous la formule post hoc, ergo propter hoc, qui pourrait bien être la devise du Destin, dont le récit n'est en somme que la “langue”.»[9]

Mais aussi bien T. Torodov dans son analyse des Liaisons dangereuses proposée dans cette même livraison de la revue Communications[10].

Ou, dans les mêmes années, Charles Grivel, qui se réclame de F.Kermode dans Production de l'intérêt romanesque[11]:

«Un roman est dès le début le mot de sa fin. […] Le dénouement est nécessaire: il est compris dans la crise et désigné par chaque développement de l'intrigue. […] Le sens romanesque exige, pour être produit, qu'une fin couronne le livre. […] Commencement et fin sont […] donnés en même temps comme parties intégrantes, indissociables, d'une cohérence perçue globalement par le lecteur à chaque endroit du texte.»

Là encore, l'analyse postule que le romancier n'a pu produire les parties qu'après avoir arrêté la fin, c'est-à-dire le tout. Mais qui ne voit que le théoricien prête ainsi au romancier un souci qui est d'abord celui de l'interprète du roman?

Régulièrement présenté comme une loi poétique (la logique même de l'écriture fictionnelle), ce principe de «causalité régressive» est en réalité tributaire d'une exigence herméneutique alors même que l'ambition de la narratologie est seulement descriptive. Et l'universalité supposée de cette «loi de la fiction» fait bon marché des exceptions: lisant La Princesse de Clèves, Genette songe à Bérénice mais nullement à L'École des femmes; et s'arrêtant au seul exemple de Proust, il fait en outre et paradoxalement l'économie d'une réflexion sur l'inachèvement.

Il se pourrait donc que la narratologie ait institué en loi poétique ce qui est (encore) une exigence de commentateur — et la condition même de la description narratologique: parce que l'analyse suppose un roman déjà lu, on postule que tout roman s'écrit à partir de son dénouement — que le tout préexiste donc nécessairement à chacune de ses parties.


Le vol du corbeau


On s'interrogera maintenant sur la généalogie de cette conception de la production narrative que les théoriciens modernes du récit ont en partage — et qu'ils ne doivent sans doute pas à Valincour. Comment se fait-il qu'elle soit aussi communément acceptée par tous ceux qui œuvrent aux premiers développements de la théorie du récit? D'où leur vient cette idée que le processus de lecture remonte le cours du récit pour arriver au dénouement qui en est, dans la logique de sa production, l'origine?

De toute évidence, cette conviction prend sa source dans la lecture communément admise de la mimèsis aristotélicienne comme «configuration» de l'intrigue, telle qu'elle s'illustre, au début de la décennie suivante, dans la magistrale synthèse de P. Ricœur qu'il faudrait citer ici longuement[12], ou dans les annotations de J. Lallot et R. Dupont-Roc à leur traduction de la Poétique[13]. Mais c'est un autre affluent qu'on voudrait suivre ici; sans doute faut-il remonter d'abord une génération en amont, jusqu'à Sartre au moins, ou plutôt à Roquentin:

«Les événements se produisent dans un sens et nous les racontons en sens inverse. On a l'air de débuter par le commencement: “C'était par un beau soir d'automne de 1922. J'étais clerc de notaire à Marommes.” Et en réalité c'est par la fin qu'on a commencé. Elle est là, invisible et présente, c'est elle qui donne à ces quelques mots la pompe et la valeur d'un commencement. […] La fin est là, qui transforme tout. […] Et le récit se poursuit à l'envers: les instants ont cessé de s'empiler au petit bonheur les uns sur les autres, ils sont happés par la fin de l'histoire qui les attire et chacun d'eux attire à son tour l'instant qui le précède: “Il faisait nuit, la rue était déserte”. La phrase est jetée négligemment, elle a l'air superflue; mais nous ne nous y laissons pas prendre et nous la mettons de côté: c'est un renseignement dont nous comprendrons la valeur par la suite.»[14]

Roquentin n'énoncerait pas l'idée avec cette tranquille certitude si elle ne lui venait pas d'une doxa plus ancienne, qui ne doit rien à Aristote. Il faut regarder ailleurs, non vers les rives grecques de la Méditerranée mais de l'autre côté de l'Atlantique: vers E. Poe, et son célèbre essai sur «La genèse d'un poème» (1846). Le titre français, depuis sa traduction par Baudelaire, ne rend pas exactement compte de l'original anglais, bien plus général: «The Philosophy of Composition». La méthode présentée est réputée valable pour l'ensemble des œuvres littéraires, et l'ambition de Poe n'est en rien différente de celle qui animait Aristote.

S'il est une chose évidente, c'est qu'un plan [plot] quelconque, digne du nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénouement avant que la plume attaque le papier. Ce n'est qu'en ayant sans cesse la pensée du dénouement devant les yeux que nous pouvons donner à un plan son indispensable physionomie de logique et de causalité — en faisant que tous les incidents, et particulièrement le ton général, tendent vers le développement de l'intention[15].

Pour montrer «la marche progressive qu'a suivie une quelconque de ses compositions pour arriver au terme de son accomplissement», Poe choisit comme on sait «Le Corbeau» — exemple ici de récit plutôt que de poème.

Mon dessein est de démontrer qu'aucun point de la composition ne peut être attribué au hasard ou à l'intuition, et que l'ouvrage a marché, pas à pas, vers sa solution avec la précision et la rigoureuse logique d'un problème mathématique[16].

Démonstration scrupuleuse au cours de laquelle Poe entend révéler que «[s]on poème avait trouvé son commencement par la fin, comme devraient commencer tous les ouvrages d'art».

Baudelaire, dans le préambule à sa traduction, rappelait encore cet axiome de Poe: «Tout, dans un poème comme dans un roman, dans un sonnet comme dans une nouvelle, doit concourir au dénouement. Un bon auteur a déjà sa dernière ligne en vue quand il écrit la première», et le traducteur ajoutait en son nom propre: «Grâce à cette admirable méthode, le compositeur peut commencer son œuvre par la fin, et travailler, quand il lui plaît, à n'importe quelle partie»[17]. Le tout est ainsi ce qui vient avant la partie.

Mais faut-il prendre pour argent comptant cette déclaration postérieure d'un an à la parution du «Corbeau»? Poe n'a jamais caché avoir imaginé de toutes pièces son commentaire ex post facto. Pour une fois qu'«un poète prétend que son poème a été composé d'après sa poétique» quand toutes les poétiques, rappelle Baudelaire, étaient jusque-là «modelée[s] d'après les poèmes», il pourrait bien s'agir d'un canular — dont le traducteur français n'est sans doute pas dupe: «un peu de charlatanerie est toujours permis au génie, et même ne lui messied pas»[18]. Un canular qui n'est pas resté sans effets sur l'idée même que la modernité se fait de l'art narratif, et sur les développements ultérieurs de la théorie du récit.


Le clou de Tchekhov


Mais la conception de la «logique paradoxale» de la fiction promue par Genette est sans doute en prise sur une troisième tradition: il est bien possible que le célèbre «théorème» baptisé du nom de Valincour dans les dernières pages de «Vraisemblance et motivation»[19] —qui veut que «le rendement d'une unité narrative ou, si l'on préfère, sa valeur» tienne dans «la différence fournie par la soustraction: fonction moins motivation»—, doive moins à l'auteur des Lettres sur la Princesse de Clèves qu'à Tchekhov comme théoricien de la nouvelle —et non pas du roman.

Au moment même où il introduit le terme de «motivation» pour «désigner la manière dont la fonctionnalité des éléments du récit se dissimule sous un masque de détermination causale» — «l'apparence et l'alibi causaliste que se donne la détermination finaliste qui est la règle de la fiction: le parce que chargé de faire oublier le pour quoi?»— Genette affiche une dette assez vague à l'égard des «formalistes russes». Si l'on se réfère à l'anthologie de textes des formalistes russes réunis par Todorov et préfacés par Jakobson en 1965 sous le titre Théorie de la littérature, c'est au chapitre «Thématique» issu de la Poétique de Boris Tomachevski (1925) que l'on trouvera définie la notion de «motivation» — et non pas dans l'un des essais consacrés à la construction narrative: les rapports que les parties de l'œuvre entretiennent avec le tout se trouvent ici traités en termes d'«unité esthétique», et nullement selon des considérations qui relèveraient d'abord de la conduite du récit. Tomachevski y déclare que «l'introduction de tout motif particulier ou de chaque ensemble de motifs doit être justifié (motivé). Le système de procédés qui justifie l'introduction de motifs particuliers et de leurs ensembles s'appelle motivation»[20]. Et dans la typologie aussitôt dressée, le premier procédé tient dans «l'économie et l'utilité des motifs», baptisé pour l'occasion «motivation compositionnelle»:

Pas un seul accessoire ne doit rester inutilisé par la fable. Tchekhov a pensé à la motivation compositionnelle en disant que si au début de la nouvelle on dit qu'il y a un clou dans le mur, à la fin c'est à ce clou que le héros doit se pendre[21].

Le principe de la «motivation compositionnelle» entérine l'idée que le récit est produit à rebours depuis son dénouement, mais n'est-ce pas là encore élever au rang de loi poétique ce qui est d'abord un principe critique au service d'une évaluation de «l'unité esthétique» du récit considéré du point du vue «thématique»?

Au vrai, cette réflexion ne reste pas isolée au sein du cercle des «formalistes russes»: dans le même recueil, elle est presque systématiquement corrélée — la chose est assez remarquable— à l'effort de distinction théorique entre «la nouvelle» et «le roman». Ainsi dans la «théorie de la prose» de Boris Eichenbaum[22]:

Le roman et la nouvelle ne sont pas des formes homogènes, mais au contraire des formes profondément étrangères l'une à l'autre. […] Tout dans la nouvelle comme dans l'anecdote tend vers la conclusion. […] Short story est un terme qui sous-entend toujours une histoire et qui doit répondre à deux conditions: les dimensions réduites et l'accent mis sur la conclusion. Ces conditions créent une forme qui, dans ses buts et dans ses procédés, est entièrement différentes du roman. […]

Ce sont d'autres facteurs qui jouent un rôle primordial dans le roman, à savoir la technique utilisé pour ralentir l'action, pour combiner et souder des éléments hétérogènes, l'habileté à développer et à lier des épisodes, à créer des centres d'intérêt différents, à mener des intrigues parallèles, etc. Cette construction exige que la fin du roman soit un moment d'affaiblissement et non de renforcement; le point culminant de l'action principale doit se trouver quelque part avant la fin.[…] C'est pourquoi il est naturel qu'une fin inattendue soit un phénomène très rare dans le roman (et si on la trouve, elle ne témoigne que de l'influence de la nouvelle): les grandes dimensions et la diversité des épisodes empêchent un tel mode de construction, tandis que la nouvelle tend précisément vers l'inattendu du final où culmine ce qui le précède. […]

La nouvelle rappelle le problème qui consiste à poser une équation à une inconnue; le roman est un problème à règles diverses que l'on résout à l'aide d'un système d'équations à plusieurs inconnues, les constructions intermédiaires étant plus importantes que la réponse finale. La nouvelle est une énigme; le roman correspond à la charade ou au rébus.»[23]

Eichenbaum peut ensuite se référer aux thèses… d'Edgar Poe sur «l'unité d'effet», en rappelant qu'«il avait l'habitude d'écrire ses nouvelles en les commençant par la fin», et en le citant à son tour longuement:

«[…] Un écrivain habile a construit un conte. S'il connaît son métier, il n'a pas modelé ses pensées sur ses incidents, mais après avoir conçu avec soin et réflexion un certain effet unique qu'il se propose de produire, il invente des incidents — il combine des événements— qui lui permettent le mieux d'obtenir cet effet préconçu. […] Dans toute l'œuvre, il ne devrait pas y avoir un seul mot d'écrit qui ne tende directement ou indirectement à réaliser ce dessein préconçu. […] C'est là un but auquel le roman ne peut atteindre.»[24]

Viktor Chklovski offre des réflexions du même ordre dans le célèbre article sur «La construction de la nouvelle et du roman» qui analyse longuement les procédés des récits de Tchekhov, en démontrant au passage pourquoi Le Diable boiteux n'est pas une nouvelle[25] —faute d'un «sujet» suffisamment unifié, c'est-à-dire conduisant nécessairement au dénouement—, mais aussi que Gil Blas n'est au mieux qu'un recueil de nouvelles à l'instar du Décaméron:

Gil Blas de Lesage a si peu de caractère qu'il incite les critiques à penser que le but de l'auteur fut de présenter un homme moyen. Ce n'est pas vrai. Gil Blas n'est pas un homme, c'est le fil qui relie les épisodes du roman; et ce fil est gris.[26]


Prendre le temps


Et si l'on revient maintenant de la Russie à la France, mais sans quitter cette même décennie 1920, on trouverait sous la plume de Thibaudet un semblable souci de fonder sur l'acheminement du dénouement une distinction pérenne entre le roman et la nouvelle. En témoigne exemplairement l'article intitulé «La composition dans le roman» où Thibaudet s'oppose aux thèses de P. Bourget[27]. Le débat porte sur le sens même de ce mot de «composition», que Thibaudet entend réserver à deux genres seulement: le discours oratoire et le poème dramatique — il ne l'admet pour le roman qu'à l'échelle des parties et nullement du tout de la narration, laquelle doit imiter «la vie qui se crée elle-même à travers une succession d'épisodes».

Comme l'épopée, le roman est formé d'épisodes, tous destinés à faire connaître les mêmes personnages, et donnant autant de coupes sur le même flux de vie. Et ces épisodes, eux, exigent une composition, à laquelle ne manque aucun grand romancier. Il n'y a rien au-dessus de la composition du comice agricole dans Madame Bovary. […]

Mais il y a un genre où l'épisode est seul, vit pour lui-même, et où par conséquent la composition est tout: c'est la nouvelle. Qui le dit, et fort bien? M. Bourget lui-même: “La matière de la nouvelle, écrit-il [à propos des nouvelles de Mérimée], est un épisode, celle du roman une suite d'épisodes. Cet épisode que la nouvelle se propose de peindre, elle le détache, elle l'isole. Ces épisodes dont la suite fait l'objet du roman, il les agglutine, il les relie. Il procède par développement, la nouvelle par concentration […]”.[28]

C'est dans ces mêmes pages polémiques que Thibaudet élabore le partage décisif entre «deux grandes divisions de l'art littéraire»: «l'art à qui le temps est mesuré» — le discours, le théâtre, la nouvelle sont des genres semblablement «contraints à utiliser un minimum de temps pour un maximum d'effets» et qui requièrent seuls des lois de composition; et «l'art qui dispose librement du temps» — le lyrisme, l'épopée et le roman, lesquels «disposent du temps à la façon de la nature elle-même»; l'archétype de cet art du temps tient pour Thibaudet dans les longs romans «qui donnent non une sensation d'ordonnance et de composition mais de long fleuve vivant» — il cite Les Misérables, les grands romans russes, Jean-Christophe et «demain peut-être» les Thibault. «Le genre suprême du roman est probablement là»[29]. On pourrait ajouter: Cleveland.


Des nouvelles du roman


Cleveland est donc un roman, La Princesse de Clèves une nouvelle (historique et galante): Genette a fait son choix; quant à La Recherche du temps perdu, convenablement résumée («Marcel devient écrivain»), elle n'est tout au plus qu'une nouvelle un peu étendue[30]. Et l'on ne s'étonnera donc plus que Stendhal, dans l'Avertissement placé en tête de La Chartreuse de Parme, puisse qualifier continûment «l'histoire» de «nouvelle».

Dans le projet d'une grammaire universelle du récit, les théoriciens du récit des années 1970 héritent donc d'une conception de la production fictionnelle dont ils ne voient plus qu'elle est issue tout autant des débats formels sur les définitions respectives de la nouvelle et du roman que d'une interprétation rigoureuse de la Poétique aristotélicienne. Il est somme toute assez piquant que «la loi paradoxalede la fiction», et le principe d'une «détermination rétrograde des moyens par les fins» puissent ainsi hypostasier ce par quoi la nouvelle n'est pas un roman.

On dira que les débats qui passionnaient Bourget et Thibaudet, et Edgar Poe avant eux, ne sont plus de saison — que l'on a renoncé depuis belle lurette, et précisément au nom de l'universalité de l'art narratif, à distinguer nouvelle et roman. En rapportant les principes mêmes de la théorie moderne du récit à ses différents horizons généalogiques (E. Poe d'une part, les formalistes russes de l'autre, et Tchekhov pour jeter une passerelle entre l'Oural et l'Atlantique), on aperçoit cependant l'intérêt d'une distinction théorique entre deux catégories de fictions envisagées du point de vue de leur poétique — la narratologie ne s'est occupée au fond que de l'une d'elle en passant par pertes et profits une bonne part des fictions de l'âge classique.

On aurait donc d'un côté, suspendue au clou de Tchekhov, la famille des fictions élues par la poétique des années 1960-1970, tous romans analysables dans les termes reconnus au cours des années vingt au genre de la nouvelle— qui se trouvent être aussi ceux dont la facture est la mieux conforme aux préceptes aristotéliciens et plus encore aux contraintes méthodologiques de l'analyse narratologique (le poéticien, qui est un relecteur, partageant avec le romancier le privilège de penser la conduite du récit «à rebours») en même temps qu'à une exigence critique ou herméneutique. De l'autre, le vaste ensembles des fictions qui se trouvent échapper de facto à la conception téléologique qui veut qu'un roman s'écrive à partir de son dénouement. Bien des romanciers de l'âge baroque au siècle des Lumières, comme après eux les «feuilletonistes» et plus près de nous les scénaristes des séries télévisées, écrivent en effet dans l'ignorance de la fin d'une fiction qu'ils livrent au public par livraisons successives (tomaisons, livraisons ou épisodes) et qu'ils poursuivent sans canevas bien établi. Des fictions que l'on dira périodiques, parce qu'elles sont d'abord conçues pour voir le jour par «parties séparées», et qu'elles commencent donc à paraître sans que l'auteur, et moins encore l'éditeur, dispose d'un manuscrit achevé ni d'une idée bien nette des «parties» suivantes et du dénouement de l'intrigue. Le mode de publication décide ici du mode de rédaction, et enveloppe une série de conséquences proprement narratologiques, lesquelles demandent de nouveaux gestes d'analyse dont j'ai essayé de donner des exemples dans une série d'articles consacrés aux longs romans-mémoires inachevés du premier XVIIIe siècle[31].

Parce qu'elles s'écrivent dans l'ignorance de leur fin, la dernière unité narrative de cette famille de fictions ne saurait ici commander toutes les autres pour la simple raison qu'elle ne leur préexiste pas. Les romans «par parties séparées» obligent à substituer au «principe de causalité régressive» ce qu'on peut bien appeler un principe d'économie prospective du récit, où le tout n'a pas autorité sur la partie. Car, si elle n'impose pas l'établissement d'un canevas préalable complet, la parution «par parties séparées» interdit en pratique au romancier tout repentir, toute révision, ou tout amendement du segment diégétique antérieur dès lors que déjà livré aux lecteurs; l'interdiction du repentir s'accompagne, on le conçoit, d'une obligation symétrique: tout récit se trouvant logiquement soumis, dans son déroulement, à des restrictions combinatoires conditionnées par les choix antérieurs, de plus en plus contraignants à mesure que la diégèse «avance», le principal souci de l'auteur d'une fiction périodique consiste à lutter contre ce système de restriction progressive, en évitant donc que l'histoire s'engage sans retour possible dans une direction trop déterminée. D'épisode en épisode, le romancier se trouve dès lors avoir à arbitrer entre la nécessité de «faire avancer» l'intrigue et le souci de préserver l'avenir — entre le désir d'aller de l'avant et la crainte que le passé narratif ne vienne hypothéquer trop lourdement l'à-venir du roman. Cette contrainte singulière en regard du cas général des romans achevés, relus et corrigés, suffit à imprimer à la logique narrative des fictions périodiques, à son rythme comme à ses scansions ou à son amplitude, une série de marques spécifiques: il y a là un répertoire de«figures» dont l'inventaire reste à faire, ou tout au moins un arsenal de «gestes» narratifs dont les catégories de la narratologie peinent, pour les raisons susdites, à rendre compte.

On ne postulera pas toutefois l'existence de deux familles ou catégories de fictions, comme s'il s'agissait de corpus distincts, fondés sur deux procédés de composition différents— le second corpus accueillant une grande majorité de ces fictions d'Ancien Régime délaissés par les modernes théories du récit. Il ne s'agit pas exactement d'opposer une forme de roman à une autre selon les rapports que l'on peut postuler entre la partie et le tout. Si les romans dans la lignée de La Princesse de Clèves entrent clairement dans une catégorie (celle que les théoriciens des années 1920, mais aussi bien Valincour ou Du Plaisir auraient affilié à la «nouvelle»), et l'ensemble des fictions périodiques solidairement dans l'autre, il est bien des formes romanesques que rien n'incline à ranger dans une catégorie plutôt que dans l'autre. La forme qui est celle du roman policier relèverait apparemment de la première: mieux vaut en effet pour le romancier avoir déterminé d'avance l'identité du coupable, et construire à rebours l'enchaînement de l'enquête et la distribution des indices (de là, l'analogie souvent suggérée entre les detective novels et les tragédies grecques) — mais, s'agissant d'Agatha Christie, j'ai pu montrer en refaisant la «contre-enquête» proposée naguère par P. Bayard que, pour Le Meurtre de Roger Ackroyd au moins, la romancière n'avait aucune idée en écrivant les premiers chapitres du nom du coupable, c'est-à-dire du dénouement — lequel conditionne pourtant la forme de la narration[32].

Mieux vaudrait dire qu'il y a, dans la distinction esquissée, deux façons de décrire le récit, quel qu'il soit, c'est-à-dire aussi: quoi qu'on puisse savoir sur les modalités de sa rédaction. Deux façons d'approcher la poétique d'un roman, ou plus simplement encore de lire une histoire — et il ne fait pas de doute que la seconde, qui consiste à lire un roman dans une ignorance continue et une indifférence relative au dénouement, sans donner donc priorité au tout sur la partie, est la mieux à même à rendre compte des spécificités des fictions de l'âge classique. Ce corpus est en effet celui où la distance entre lecture et relecture est peut-être la plus grande — et l'on aurait tout intérêt à produire une description de ces romans qui se tienne au plus près d'une première lecture, en se détournant résolument du principe de causalité régressive au profit d'un calcul progressif des possibles narratifs.

C. Brémond en faisait incidemment la remarque dès 1971, en marge de sa relecture critique de Grammaire Décaméron de Todorov, en rappelant qu'il est périlleux de «coder» les actions par des verbes pour les lier par des relations de stricte implication causale:

Il ne faut pas définir le verbe pécher comme une action “qui provoquera une punition”, mais qui peut provoquer une punition. Cette définition, à son tour, appelle le corollaire suivant: pécher, c'est commettre une action susceptible de rester impunie. Pécher n'implique en fin de compte ni punition ni impunité, mais l'alternative punition ou impunité […], deux fonctions entre lesquelles le narrateur sélectionne celle qui convient.

On peut persister à nommer causalité ce type de relation. Mais il ne faut pas perdre de vue que la proposition “cause”, dans un récit, n'est jamais perçue comme devant nécessairement produire son effet. Il est vrai, comme l'avait remarqué Roland Barthes, que toute consécution tend à être interprétée comme fatale, que tout post hoc se travestit en propter hoc. Mais c'est le fait d'une lecture rétrospective des événements, d'une réflexion sur l'histoire achevée, non de la structuration de l'histoire en cours. Pendant cette phase, les jeux ne sont jamais faits, aucun résultat ne peut être tenu pour acquis, aucun moyen n'est garanti, aucun moyen n'est garanti infaillible. Peut-être déjà écrit, le futur reste incertain. Sinon, à quoi bon raconter?[33]

À quoi bon une poétique du récit si elle ne peut rien dire de cette « incertitude du futur» qui est le ressort même de notre lecture des grands romans?


Marc Escola (2009). Mis en ligne dans l'Atelier de Fabula au printemps 2010

Pages associées: Narratologie, Narrativité, Récit, Fiction, Fictions classiques.



[1] Nouveau Discours du récit, Le Seuil, coll. «Poétique», 1983, p. 9; avec une allusion à la Postface de Mimèsis où Auerbach signalait que l'ouvrage s'était écrit à Istambul, pendant la guerre, sans le secours d'une vraie bibliothèque (trad. fr. Gallimard, 1968; rééd. coll. «Tel», p. 552-553).

[2] Ibid., p. 9.

[3] Figures III, Le Seuil, coll. «Poétique», p. 68-69. Sur ce paradoxe, voir M. Escola & S. Rabau, «Description et interprétation: l'objet de la poétique», dans l'entrée «Interprétation» de l'Atelier de théorie littéraire du site Fabula (http://www.fabula.org/atelier.php?Description_et_interpr%26eacute%3Btation%3A_l'objet_de_la_po%26eacute%3Btique).

[4] Fiction et diction, Le Seuil, coll. «Poétique», 1991, chap. «Récit fictionnel, récit factuel» (rééd. coll. «Points», 2004, p. 141 sq.).

[5] Op. cit., p. 75.

[6] Ibid., p. 115; voir aussi p. 112. Fascination que les «confidences» autobiographiques distillées dans le récent Codicille du même auteur (Seuil, coll. «Fiction & Cie», 2009) invite à comprendre un peu différemment;G. Genette y confesse, sous l'entrée «Anthologie», sa lecture tardive du texte intégral d'À la Recherche du temps perdu, connu d'abord par l'anthologie établie par R. Fernandez: «le fait est que ma première lecture “complète (en tous cas, suivie) dut attendre mon achat, en 1956, des trois volumes de l'édition Clarac en Pléiade, où je découvris enfin que cette œuvre, pour moi essentiellement descriptive et poétique, était aussi, pour le meilleur ou pour le pire, un récit, et racontait une histoire. Mais mes premières pages sur cet objet, écrites en août 1961 [«Proust palimpseste», dans Figures I, Seuil, 1966], reposaient encore largement sur le souvenir de ces anciennes lectures fragmentaires. En ce particulier comme en général, je n'entrais dans le mode narratif qu'à reculons, et comme à regret». Voir aussi p. 186-188, sur le paradoxe des dernières pages du Temps retrouvé (entrée «Möbius»); et p. 307, où le théoricien évoque, sous l'entrée «Varietur», les aléas des éditions d'À la Recherche du temps perdu depuis l'édition Clarac-Ferré utilisée en 1960 pour l'élaboration de «Discours du récit», qu'il invite à tenir désormais «pour une sorte d'objet narratif non identifié, presque apocryphe, et forgé pour les besoins de la cause narratologique».

[7] Voir le curieux retour sur «l'inachèvement» de la Recherche qu'opère Genette dans l'« Après-propos» de «Discours du récit»: l'inachèvement est regardé comme le résultat du « travail en quelque sorte supplémentaire apporté à l'œuvre par le sursis accidentel de 1914. La Recherche du temps perdu a été, sans doute, dans l'esprit de Proust du moins, une œuvre “achevée”: c'était en 1913, et la parfaite composition de cette époque (Côté de chez Swann, Côté de Guermantes, Temps retrouvé) en témoigne à sa façon.» (éd. cit., p. 272; cf. encore p. 112).

[8] Le Seuil, coll. «Poétique», 1969 — l'année même où fut mis en chantier «Discours du récit» (rééd. coll. «Points», 1982, p. 91 sq. pour nos citations).

[9] Communications, 8, 1966; rééd. Le Seuil, coll. «Points», p. 16.

[10] Dans «Les catégories du récit littéraire» où, après avoir vainement tenté d'imaginer une «quatrième partie» au roman de Laclos, il s'arrête en des termes assez étonnants sur le dénouement Liaisons dangereuses: «le récit entier consiste dans la possibilité d'amener précisément ce dénouement. […] Si Valmont n'avait pas transgressé les lois de sa propre morale (et celles de la structure du roman), nous n'aurions jamais vu publiée sa correspondance» (op. cit., p. 156).

[11] La Haye-Paris, Mouton, 1973, p. 197-198 (voir aussi p. 91-92 sur «le début du roman»). L'ouvrage de F.Kermode se trouve convoqué dans ces mêmes pages(The Sense of Ending. Studies in the Theory of Fiction, New York, Oxford University Press, 1967), ainsi que celui de E. Muir (The Structure of the Novel, London, The Hogarth Press, Tenth Impression, 1967 [1ère éd.: 1928]).

[12] Temps et récit, t. I, Seuil, 1983, p. 104-105 notamment.

[13] Seuil, coll. «Poétique», 1980.

[14] La Nausée, Gallimard, 1938, p. 62.

[15] «Genèse d'un poème», dans: E. Poe, Histoires. Essais. Poèmes, LGF, coll. «La Pochothèque», 2006, p.1509; James Lawler, qui présente et annote les Essais, signale que Baudelaire traduit plot par plan plutôt que par intrigue en connaissance de cause: Poe désignait par plot «ce qui n'admet pas le déplacement d'une partie quelconque de l'ouvrage sans que la totalité en sont ruiné».

[16] Éd. cit., p. 1511.

[17] Ibid., p. 1504. J. Lawler voit dans «l'axiome» cité par Baudelaire une allusion à un autre essai de Poe sur «L'art du conte».

[18] Id.

[19] Éd. cit., p. 96-98.

[20] Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes réunis, présentés et traduits par T. Todorov, Seuil, 1965; rééd. coll. «Points», 2001, p. 286.

[21] Ibid., p. 287.

[22] L'essai proposé sous ce titre dans Théorie de la littérature (éd. cit., p. 200-214) contamine plusieurs extraits de son livre Literatura. Teorija, kritika, polemika (1927).

[23] Théorie de la littérature, éd. cit., p. 205-207.

[24] Cette formule attribuée à Poe est ainsi référencée par Todorov: «E. Poe, Choix de contes, Aubier, Éd. Montaigne, Paris, 1958; “Les Contes deux fois contés de Hawthorne”, tr. par R. Asselineau.» (Théorie de la littérature, éd. cit., p. 210); Eichenbaum cite encore des déclarations convergentes de Stevenson.

[25] Théorie de la littérature, éd. cit., p. 176 (le texte original date de 1929).

[26] Ibid., p. 193.

[27] Réflexions sur la littérature, éd. A. Compagnon & C. Pradeau, Gallimard, coll. «Quarto», p. 706-718. Article daté de novembre 1922 et qui répond aux Nouvelles pages de critique et de doctrine de P. Bourget parues la même année.

[28] Éd. cit., p. 715-716.

[29] Ibid., p. 717.

[30] À l'entrée «Roman» de Codicille, Genette redisait son peu de goût pour le roman, et sa préférence pour la nouvelle (éd. cit., p. 251):«les quelques exceptions citées dans Bardadrac à ma relative inappétence pour la fiction romanesque relevaient plus ou moins du genre, si c'en est un, de la nouvelle. Ce n'est sans doute pas par hasard: mon hésitation devant le roman tient entre autres à l'encombrante machinerie narrative qui s'y exerce (j'en ai su quelque chose), et au poids de l'argumentation causaliste (psychologique, sociologique et autres) dont il se nourrit […]. Le récit bref, nouvelle ou conte, par sa forme même et au moins potentiellement, est un genre plus poétique, entre autres parce que moins embarrassé de ces engrenages de causes et d'effets que je baptiserais, si j'osais, la narraturgie romanesque. […] Si Hemingway, et Morand lui-même, sont parfois, à leur manière laconique, des maîtres du récit, c'est bien plus dans leurs nouvelles et short stories que dans leurs romans.». Un peu plus haut, le théoricien confessait ceci: «Je donnerais volontiers non seulement, comme tout un chacun, la Nouvelle Héloïse pour une (certaine) page des Confessions, et bien entendu Les Natchez, Atala et René pour à peu près n'importe quelle autre des Mémoires d'Outre-tombe ou de la Vie de Rancé, mais aussi, de façon peut-être plus déviante, Les Misérables pour Choses vues, Mme Bovary pour quelques chapitres de Par les champs et par les grèves […], et une grande part de la production contemporaine pour L'Usage du monde de Nicolas Bouvier.»

[31] «Des fictions au long cours», [in:] La Taille des romans (Actes du colloque de Tourtour), textes réunis par A. Gefen & T. Samoyault, à paraître; «Longueur de Cleveland», [in:] J.-P. Sermain (éd.), Cleveland de Prévost, l'épopée du XVIIIe siècle, Desjonquères, coll. «L'esprit des lettres», 2006, p. 181-203; « Avis de tempête et préavis romanesque. Les scènes d'embarquement dans Cleveland», [in:] F. Magnot-Ogilvy & F. Salaün (éd.), Cleveland…, Louvain, Peeters, coll. «La République des lettres», 2008; «Récits perdus à Santillane», [in:] D'une gaîté ingénieuse. L'Histoire de Gil Blas…, études réunies par B. Didier & J.-P. Sermain, Louvain, Peeters, 2004; «Pour une poétique de l'inachèvement: les égarements du narrateur et du récit chez Crébillon», [in:] Poétique de la pensée. Mélanges offerts à J. Dagen, Champion, 2006; «Marivaux ou le roman possible», Revue Marivaux, 6, daté 1997 (paru en 1998).

[32] «P. Bayard contre H. Poirot. Derniers rebondissements dans l'affaire Ackroyd», [in:]: A.-F. Ruaud & X. Mauméjean (éd.), Les nombreuses vies d'Hercule Poirot, Les Moutons électriques, coll. «La Bibliothèque Rouge», 2006, p. 317-357. Mis en ligne dès 1999 sur Fabula: http://www.fabula.org/revue/cr/7.php. Le livre de P. Bayard, Qui a tué Roger Ackroyd?, est paru en 1998 (Minuit, coll.«Paradoxe»).

[33] Initialement parues dans Poétique (1971, n° 6), les «Observations sur la Grammaire du Décaméron» de Todorov (paru en 1969, La Haye, Mouton) se trouvent reprises dans la première section de Logique du récit (Seuil, 1973) consacrée à «l'héritage de Propp».



Marc Escola

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