Le terme de contrefiction fait écho au mode contrefactuel des grammairiens et logiciens, celui des possibles que le réel a détruits, et veut insister sur cette part de la fiction présentée explicitement comme pure fiction au sein de l'histoire lue comme « vraie ». Elle est en effet une fiction-dans-la-fiction, n'étant pas avérée, par rapport au «réel-dans-la-fiction » (selon la formule de Thomas Pavel à propos des univers saillants). Plutôt que raconter ce qui est je décide de parler de ce qui n'est pas, et cette orientation paradoxale hors des sentiers de l'histoire racontée explique que son usage dans les textes narratifs soit très limité, quoiqu'on puisse cependant en dégager quelques visées courantes. On remarque aussi que la contrefiction fait une sorte de pendant à l'ellipse narrative (dire ce qui n'est pas / ne pas dire ce qui est) avec laquelle elle partage certaines affinités.
Si seulement une très mince part de la littérature use de ce mode narratif, c'est qu'il lui faut respecter une contrainte d'intensité contrefictionnelle. Il est capital pour repérer les rares vraies occurrences parmi de simples formes linguistiques (adjectifs du type « flexible » impliquant une expérience possible mais non forcément réalisée, selon l'analyse en « prédicat dispositionnel » du philosophe Goodman) ou des figures de styles ayant une démarche en affinité avec la contrefiction (comme la forme de description qui consiste à présenter négativement l'objet décrit par ce qu'il n'est pas, par exemple). L'intensité sera fonction du volume, de la fréquence des occurrences, du nombre d'hypothèses envisagées, mais surtout du choix d'une « imitation faite par des personnages en action et non par le moyen d'une narration », comme le dit Aristote. C'est toute la différence entre un récit de rêve retranscrit sur le mode du vécu, dont les apparitions textuelles dans la fiction sont bien plus rares qu'on ne l'imagine habituellement, et un simple « il rêva d'animaux sauvages ». Le dialogue contrefictionnel en est alors l'apogée, puisqu'il pousse le leurre jusqu'à faire entendre des paroles qui eussent pu être dites. Jacques le Fataliste et L'Homme sans qualités de Robert Musil sont deux uvres capitales de ce point de vue, multipliant ces dialogues contrefictionnels.
La définition peut se comprendre selon un mécanisme à deux temps : émission d'une hypothèse, défendue par le narrateur (« et si »), puis fermeture sur de la pure virtualité par un refus d'accès au réel (« mais non, cela n'eut pas lieu »). Cette forme potentielle émane donc de l'autorité du narrateur, voire de l'auteur, seul à même de définir la position d'un événement vis-à-vis de la frontière entre l'avéré et le non-avéré. L'aire d'application et d'investigation du contrefictionnel s'étend toutefois au-delà de cette première forme potentielle, vers la contrefiction aporétique et la contrefiction désirante.
De la définition découlent quelques premières caractéristiques. La contrefiction potentielle, basée sur ses deux temps, peut ainsi être soit explicite, comme dans la citation de Diderot où le narrateur réduit l'hypothèse émise à une simple hypothèse de travail seulement virtuelle, soit implicite, et c'est alors au lecteur de constater qu'une hypothèse formulée n'a pas été validée par le récit. Elle peut de même être instantanée, l'invalidation suivant aussitôt l'émission de l'hypothèse, ou décalée, jusqu'à la limite de la frontière textuelle finale. La contrefiction instaure donc parfois une véritable dynamique intratextuelle pour la lecture. Le modèle de la littérature policière montre le cas exemplaire de l'enquête par étapes, lorsqu'elle soumet au lecteur plusieurs séquences d'élucidation du mystère, toutes contrefictionnelles (le lecteur habitué au genre le sait bien !), jusqu'à la dernière qui dépasse les tentatives erronées dans une synthèse définitive (ce qui identifie et arrête enfin le vrai criminel).
Quelques exemples de visées de la contrefiction potentielle