Atelier






Pour une «sémiologie historicisée»
par Andrea Del Lungo


Extrait de La Fenêtre. Sémiologie et histoire de la représentation littéraire, Paris, Éditions du Seuil, «Poétique» , 2014 (p.13 à 23).

Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions du Seuil.


Compte rendu dans Acta fabula par Sébastian Thiltges: Objet référentiel & objet culturel: une sémio-histoire de la fenêtre dans la littérature européenne.


Andrea Del Lungo a présenté l'ouvrage dans l'émission «Du jour au lendemain» (06/06/14) d'Alain Veinstein sur France Culture.


Dossier Signe.






Pour une «sémiologie historicisée»




Pour une «sémiologie historicisée»

Historiciser le signe signifie d'abord modifier les perspectives de la sémiologie structuraliste, qui a érigé le paradigme saussurien de la linguistique en modèle de la science des signes, ouvrant la voie à une analyse strictement textualiste. Déjà à l'époque, Derrida pouvait en effet reprocher à Barthes d'avoir accompli le programme saussurien de subordonner la sémiologie à la linguistique (De la grammatologie), dont l'aspect systématique et fonctionnaliste permettait de fonder un modèle d'étude des relations symboliques pour l'ensemble des sciences humaines; et Louis Marin posait déjà la question de la dissolution du sujet et de l'histoire dans ce modèle linguistique où le signe se définit en lui-même, jusqu'à inclure le processus de l'interprétation[1]. C'est notamment de la réflexion de Louis Marin que je me suis inspiré pour concevoir cette nécessaire historicisation de la sémiologie qui me paraît la perspective adéquate afin d'analyser le statut et les valeurs du signe dans le domaine littéraire: car la littérature, évidemment, est une représentation, et en cela la relation sémiologique qu'elle instaure ne peut être dissociée ni du processus interprétatif, par rapport à un lecteur lui-même inscrit dans l'historicité du texte, ni d'un contexte épistémologique, par rapport à des savoirs également historicisés que le texte intègre grâce au signe.


Or, l'enjeu de cette étude est aussi d'ordre théorique: il s'agit en effet de définir un positionnement, en partie inédit dans le cadre de l'épistémologie et de la critique littéraire actuelle, qui puisse conjuguer d'une part les acquis de l'analyse sémiologique, et d'autre part l'histoire littéraire, voire l'histoire des idées. Son objectif est donc un renouvellement des approches du texte littéraire, visant à combler le hiatus de nos jours croissant entre théorie et histoire, entre les approches analytiques (linguistique et stylistique), qui refusent de plus en plus le geste herméneutique, et une vision historicisée de la littérature. De mon point de vue, le texte doit être considéré à la fois comme objet esthétique et comme produit ou témoignage, au sens large, d'une culture; comme espace dense et densifié d'une signification opaque, et comme lieu herméneutique par excellence, en relation à des modèles, à des codes ou à des sources, mais susceptible également d'anticiper ou d'ouvrir des paradigmes d'interprétation et des formes de connaissance.


Historicisé et ouvert à une relation au savoir, le signe littéraire se pose ainsi comme élément capital de l'interprétation, comme fondement d'une démarche herméneutique qui était déjà inscrite dans la conception triadique du signe avancée par Peirce, supposant la présence d'un interprétant et la nécessité d'un acte herméneutique de déchiffrement qui contribue à nuancer l'aspect conventionnel du signe lui-même. C'est à partir de cette vision philosophique que j'ai voulu m'intéresser à la fonction, à mes yeux capitale, du signe dans le domaine littéraire et artistique: constituer le vecteur d'une représentation qui transpose la relation référentielle dans un nouveau système de signes que l'œuvre instaure et par lequel elle construit son sens.


Essayons donc d'avancer vers une définition du signe littéraire pouvant fonder une sémiologie historicisée, au risque de quelques simplifications. La conception triadique du signe que l'on doit à la sémiotique peircienne permet, par rapport à la dualité du modèle linguistico-sémiotique, d'intégrer au signe un processus d'interprétation qui produit d'autres signes: un signe, ou representamen, tient lieu de quelque chose, son objet, et «s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé», que Peirce appelle l'interprétant du premier signe. Au fondement de la sémiotique se trouve donc l'idée qu'un signe ne fonctionne pas de la même façon selon son contexte d'apparition, et qu'il peut d'ailleurs être interprété de diverses manières selon son récepteur, comme le prouvent les nombreux exemples donnés par le philosophe. Or, cette relation triadique, qui constitue le signe dans sa complexité, donne lieu à une trichotomie (la deuxième des trois énumérées par Peirce, qui est aussi la seule à mettre en relation les trois aspects du signe) comportant trois définitions: icône, indice et symbole. Si l'icône renvoie à la virtualité d'un signe qui se définit en tant que tel, et le symbole à une règle qui détermine son interprétant (comme le signe linguistique), le régime de l'indice implique en revanche une relation au contexte: il se trouve en effet en connexion dynamique «spatiale» avec l'objet qu'il représente, ainsi qu'avec «le sens et la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe»[2].


Il me semble que ce dernier aspect, transposé de son contexte sémiotique, peut se révéler capital pour étudier le fonctionnement du signe dans la représentation littéraire. Car ce qui m'intéresse, dans le cadre d'une historicisation de la sémiologie, n'est pas l'aspect connotatif ou linguistique du signe littéraire (déjà exploité par d'autres approches critiques), ni la visée symbolique qui fait du signe le représentant d'une abstraction, par exemple au moyen de l'allégorie. L'objet d'étude d'une sémiologie historicisée est précisément la représentation, c'est-à-dire la relation qui s'instaure à travers le signe littéraire entre le texte et le «réel», entendu au double sens de référent concret et de modèles épistémologiques qui le fondent, à une époque déterminée. Le signe serait ainsi le vecteur du principe que j'appellerai de «référentialité transposée», qui est le propre de la représentation.


C'est encore la réflexion de Louis Marin, consacrée à cette problématique dans le domaine de la peinture, qui permet de définir une telle vision de la représentation, renvoyant aussi bien à l'étymologie qu'au sens commun: «représenter» signifie d'abord substituer quelque chose de présent à quelque chose d'absent (ce qui est, souligne Marin, la structure la plus générale d'un signe), la substitution étant réglée par une économie mimétique, la similarité postulée du présent et de l'absent; mais par ailleurs «représenter» signifie montrer, exhiber quelque chose de présent, acte qui construit l'identité de ce qui est représenté et qui l'identifie comme tel. Cette double dimension constitue, selon Marin, le fondement de la représentation artistique: «d'un côté, une opération mimétique entre présence et absence permet le fonctionnement et autorise la fonction du présent à la place de l'absent. De l'autre, c'est une opération spectaculaire, une autoreprésentation qui constitue une identité et une propriété en lui donnant une valeur légitime»[3]. La conclusion que le critique tire de ce raisonnement mérite d'être citée en raison de sa clarté: «Toute représentation, tout signe représentationnel, tout procès de signification comprend ainsi deux dimensions que j'ai coutume de nommer, la première, réflexive – se présenter – et la seconde transitive – représenter quelque chose».


Je crois cependant qu'à ces deux dimensions de la représentation il faudrait en ajouter une troisième qui relève précisément de la transposition artistique: en effet, le signe représentant par voie référentielle le réel (au double sens évoqué plus haut), se trouve aussi intégré à un nouveau système de signes que l'œuvre instaure et sur la base duquel elle construit sa signification. Transposer, c'est donc poser les signes autrement, comme le suggère le préfixe du verbe qui indique l'idée d'un passage ou d'une modification. De ce point de vue, l'œuvre d'art, modèle fini d'un monde infini, se fonde sur un processus de transposition qui déplace les valeurs des signes au sein d'un système relationnel qui prend son sens précisément en vertu de sa finitude.


La première dimension du signe, réflexive, porte donc sur son propre fonctionnement en tant que signe; le deuxième, transitive, sur son rôle référentiel de représentant du réel; la troisième, que j'appellerai transpositive, sur les relations entre les signes qui permettent de re-présenter autrement, de bâtir de nouveaux systèmes de signification, de connaissance et d'interprétation. Conçue dans cette triple perspective, la notion de signe se trouve nécessairement historicisée: la première dimension renvoie au contexte de production de l'œuvre, à la réflexion incessante sur le fonctionnement même de la représentation propre au domaine artistique, et dont les enjeux varient selon les époques; la deuxième dimension renvoie au contexte historique de référence; la troisième s'ouvre à la réception de l'œuvre et renvoie largement à un contexte culturel, et notamment aux modèles épistémologiques qu'elle articule, voire qu'elle fonde. Il serait d'ailleurs possible d'ajouter une dernière dimension d'ordre intertextuel qui ne fait qu'affirmer encore davantage l'exigence d'une analyse diachronique: le signe signifie non seulement par sa relation à d'autres signes dans le système sémiologique d'une œuvre singulière, mais aussi par son articulation à une histoire des signes littéraires.



Définitions du signe littéraire

À partir de cette réflexion, je crois qu'il est possible d'avancer une première définition du signe dans le domaine littéraire, et selon la perspective d'une sémiologie historicisée. Un signe, c'est un élément textuel susceptible de permettre la représentation littéraire; d'articuler ce passage entre l'infini du monde et le fini de l'œuvre, entre la concrétude du réel et sa figuration dans l'imaginaire littéraire; et de produire une signification par la relation du signe à d'autres signes textuels, et via le processus interprétatif de la lecture telle qu'elle est inscrite dans le texte.


On pourrait aisément me reprocher une vision trop élargie, suivant laquelle tout ou presque deviendrait signe. J'assume pleinement l'idée que tout est en effet signifiant dans la représentation littéraire, en opposition à une vision propre à la sémiologie structuraliste qui, par la décontextualisation de l'analyse, a pu insister sur l'insignifiance dénotative de certains signes. Il faudrait de ce point de vue réévaluer la fonction des objets concrets en littérature qui avait fondé la lecture barthésienne de l'effet de réel, dans laquelle l'aspect significatif des détails «superflus» se trouvait nié par l'expulsion du signifié: le détail concret, constitué selon Barthes «par la collusion directe d'un référent et d'un signifiant», ne pourrait ainsi que connoter la catégorie du réel[4]. Il me semble au contraire que ces détails, si l'on adopte une perspective autre que celle de la sémiologie saussurienne, sont pleinement significatifs, et relèvent du statut du signe en tant que fondement de la représentation artistique. Prenons l'exemple du célèbre «baromètre» de Flaubert qui a inspiré, parmi d'autres détails superflus, «ni incongrus ni significatifs», l'analyse barthésienne: ce détail semble participer, dans la description de la salle où se tient Madame Aubain au début d'Un cœur simple, à la constitution d'un système de signes qui indique, par la mise en scène d'une philosophie de l'ameublement bourgeois, le mauvais goût d'un intérieur où des objets de styles hétérogènes sont mêlés: un vieux piano, une pendule néoclassique, une cheminée de style Louis XIV, un baromètre, des chaises anciennes d'acajou ainsi qu'un fauteuil de paille ou des bergères de tapisserie typiques du xixe siècle; sans parler de la connotation de vétusté de cette salle qui «sent le moisi» mais qui est paradoxalement meublée d'objets «fonctionnels». Bref, le caractère prétentieux de ce bric-à-brac suffirait à identifier la bourgeoisie de province: loin de connoter uniquement le réel, ce baromètre se révèle être un signe, avec les autres, d'une appartenance sociale, d'une conception esthétique, voire d'une vision du monde. N'oublions pas, en effet, qu'il s'agit de surcroît d'un objet technique, qui pourrait être le signe, de manière cette fois indépendante des autres objets, d'une valeur typiquement bourgeoise: l'emprise positiviste de la culture et du progrès humains sur une nature maîtrisée et réduite aux chiffres de la pression atmosphérique.



La fenêtre comme hypersigne

Cependant, si tout est signifiant dans un texte littéraire, tout ne fonctionne pas comme signe dans la perspective que j'ai adoptée. Insister sur la dimension référentielle du signe, inhérente à l'idée de représentation, signifie privilégier un statut particulier du signe par rapport à d'autres. J'avance donc une première restriction à la définition large de signe: il me semble en effet que dans l'étude de la représentation, et des modèles herméneutiques qui la fondent et qu'elle fonde, le statut du signe-indice se révèle prioritaire à celui du signe-symbole, si l'on adapte le sens peircien des termes dans le domaine artistique. Le symbole repose sur une règle qui détermine son interprétation et qui accentue le caractère conventionnel du signe (le crâne des vanités, par exemple, ou les allégories figuratives): il n'est pas en lui-même le vecteur d'une démarche herméneutique. Ce qui m'intéresse davantage dans la perspective d'une sémiologie historicisée est en revanche un type de signe qui se définit de deux manières: par son caractère concret qui assure la représentation référentielle; et par son aspect indiciel, dans la mesure où le signe articule un rapport, souvent opaque, au réel, à une interrelation, d'ordre herméneutique, au sein du texte. À la suite des travaux de Carlo Ginzburg[5], mon hypothèse fondamentale est que le signe se présente d'abord comme un objet se situant au cœur d'une activité de déchiffrement et d'interprétation qui concerne aussi bien le domaine artistique qu'une vision de l'histoire, qu'une perception du réel, qu'une définition de l'état social.


Il est d'ailleurs évident – deuxième restriction à la définition large de signe donnée plus haut – que les signes littéraires ne sont pas tous investis du même pouvoir représentatif: certains n'ont qu'un rôle référentiel, ou s'intègrent dans des systèmes sémiologiques au sein desquels il reçoivent une signification par d'autres signes qui sont, en revanche, des vecteurs herméneutiques de la signification. Je crois qu'il est donc possible de repérer une catégorie de signes qui, se situant au croisement des différentes dimensions (réflexive, transitive, transpositive), opèrent une densification du sens: c'est l'analyse de cette catégorie, à laquelle on pourrait donner le nom d'hypersigne, qui me semble prioritaire dans la perspective d'une sémiologie historicisée.


L'hypersigne est un noyau de la représentation artistique, qui articule autour de lui le système de signes instauré par l'œuvre; par sa centralité, il donne un sens à d'autres signes et permet de fonder des paradigmes de connaissance, ainsi que les modèles herméneutiques de son déchiffrement. Cette catégorie n'est pas théorisable en termes absolus: chaque œuvre présente des hypersignes particuliers qui construisent et articulent la signification de l'œuvre même. Cependant, certains types de signe se révèlent particulièrement aptes à constituer des noyaux de la représentation et à fonder des paradigmes herméneutiques. En voici une liste, en guise d'exemple, naturellement non exhaustive:


–les objets réflexifs (livres, tableaux, photographies ou autres productions artistiques), qui permettent une mise en abyme de l'acte créateur de la représentation, ou de la réception de l'œuvre;

–les objets techniques ou scientifiques, qui impliquent l'intégration d'un savoir dans le texte, mais qui visent aussi à fonder de nouveaux modèles de déchiffrement[6];

–l'ensemble des marques ou des indices qui définissent l'identité de l'individu ou qui articulent un espace social de relation entre les individus;

–l'ensemble des signes temporalisés, qui renvoient au passé (le passé historique, pour les objets qui ont une fonction de témoignage de celui-ci, ou le passé fictionnel, pour les indices référant à la temporalité du récit) ou qui anticipent le futur;

–les signes constituant des dispositifs qui organisent l'espace de la représentation et qui articulent des champs visuels.


La fenêtre participe naturellement de cette dernière catégorie; mais grâce à sa multiplicité fonctionnelle (...) elle peut relever aussi des autres catégories (les objets réflexifs, techniques, indiciaires et temporalisés), constituant ainsi un hypersigne par excellence, dont l'étude pourra fournir, dans le cadre de cet ouvrage, un exemple d'application de la sémiologie historicisée. La centralité de la fenêtre dans la représentation est d'ailleurs avérée par sa présence saisissante dans la littérature de toutes les époques, au point qu'elle scande, comme nous le verrons, la naissance de plusieurs genres: le lyrisme comme le poème en prose, le roman d'analyse comme le roman policier.


Autant dire qu'une étude exhaustive eût été impossible: il m'a paru cependant nécessaire – au sein d'un ouvrage dont l'ambition est d'analyser la fenêtre comme hypersigne, et donc comme objet théorique – d'aborder un corpus vaste et souvent comparatiste, qui s'étale de Pétrarque à Robbe-Grillet, suivant un principe de lecture consistant à commenter les œuvres littéraires dans lesquelles la fenêtre joue un rôle capital dans la représentation. Au fil des pages, ce parcours se recentre progressivement sur la littérature du xixe siècle, historicisant le signe sur la base de l'hypothèse que le statut de la fenêtre, au sein de la vie réelle, change radicalement à partir du début du siècle: le phénomène d'urbanisation massive, ainsi que les nouvelles conceptions de l'architecture de l'époque, articulent plus fortement le seuil qu'elle représente à une relation entre l'espace privée et l'espace public, dans le cadre urbain d'une ville moderne et industrialisée dont la littérature ne cesse d'analyser les nouvelles configurations sociales, s'interrogeant aussi sur les destinées individuelles qui y sont inscrites.


Comme j'ai déjà pu le rappeler, la fenêtre est une thématique constante dans toutes les traditions et tous les genres littéraires, mais dont les fonctions varient considérablement parce que l'objet représenté n'est pas le même et n'assume pas les mêmes valeurs selon les époques. Par sa diffusion dans le milieu urbain, ainsi que par la transparence de ses vitres, la fenêtre représente ainsi un objet historiquement nouveau au sein de la ville moderne qui naît avec la révolution industrielle: si, en province, la fenêtre «remplace le théâtre» – comme le dit le narrateur de Madame Bovary dans l'une de ses rares interventions d'ordre gnomique, laissant aussi entendre la monotonie d'un tel spectacle –, dans ce royaume des fenêtres en vis-à-vis qu'est Paris, la transparence se révèle dangereuse. Le dispositif spatial et optique de la fenêtre se complique alors par l'insertion de divers obstacles visuels (rideaux, volets, jalousies, persienne), et le spectre de ses fonctions s'élargit (...). Afin de l'analyser de manière efficace, l'image de la fenêtre comme hypersigne de la représentation littéraire ne pouvait donc qu'être historicisée et étudiée dans un corpus restreint qui correspond essentiellement, dans cet ouvrage, au xixe siècle – dans l'acception étendue qu'en donnent souvent les historiens, s'étendant de la Révolution à la Grande guerre –, époque de naissance d'une civilisation urbaine des fenêtres et, surtout, apogée de la représentation littéraire de cette image: la présence de la fenêtre est saisissante, depuis le romantisme jusqu'à Proust, alors que la prégnance symbolique de l'image semble s'amoindrir progressivement au cours du xxe siècle, où elle est le plus souvent reléguée au rôle de dispositif voyeuriste[7].


Un dernier mot sur le principe qui a présidé au choix du corpus. Devant l'étendue du sujet, le risque de compiler un répertoire des fenêtres littéraire était sensible[8]: j'ai essayé d'y échapper non seulement par la détermination d'une visée fonctionnelle qui préside à la partition de l'ouvrage, mais aussi par la scansion d'un rythme analytique varié. Au fil de notre parcours, des parties synthétiques alterneront avec des moments de plus lente respiration dans lesquels sera rendue au texte littéraire sa centralité, par des microlectures qui n'hésiteront pas à s'attarder sur les détails. Et à côté des auteurs consacrés par l'histoire de la littérature – dont j'ai parfois choisi de commenter les œuvres moins connues, comme les Petites misères de la vie conjugale de Balzac, ou Une page d'amour de Zola –, le lecteur trouvera quelques figures de minores récemment ressurgies de l'oubli – Restif de la Bretonne, Mercier, Étienne de Jouy, Arsène Houssaye –, dont l'œuvre montre l'étendue de notre sujet, et permet d'en comprendre la portée historique.


Andrea Del Lungo


Pages de l'Atelier associées: Représentation, Signe, Histoire, Choses?, Microlectures?, Sémiotique?, Sémiologie?.


[1] L. Marin, «La dissolution de l'homme dans les sciences humaines: modèle linguistique et sujet signifiant» (1973), repris dans De la représentation, Paris, Seuil/Gallimard, coll. «Hautes études», 1994.

[2] Ch. S. Peirce, Écrits sur le signe, rassemblés, traduits et commentés par G. Deledalle, Seuil, coll. «L'ordre philosophique», p.158.

[3] L. Marin, «Le cadre de la représentation et quelques-unes de ses figures» (1987), dans De la représentation, op. cit., p.242-243.

[4] Voir R. Barthes, «L'effet de réel», Communications, 11, 1968.

[5] Voir notamment son article fondateur «Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice», Le Débat, 6, 1980, repris dans Mythes, emblèmes, traces: morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989.

[6] Michel Pierssens évoque précisément ce genre d'objets (comme les presses à imprimer chez Balzac ou le téléphone chez Proust) qui ne seraient pas des simples symboles chargés de figurer l'actualité du texte: «devenus littérature, plus riches alors que leurs modèles réels, ils les transforment en sens à venir, car ils déploient en les mobilisant de nouveaux possibles, encore incompris» (Savoirs à l'œuvre. Essais d'épistémocritique, Presses Universitaires de Lille, 1990, p.7).

[7] Cette affirmation quelque peu abrupte, et susceptible d'être nuancée par des contre-exemples, se fonde néanmoins sur un travail documentaire que j'ai pu effectuer à l'occasion de la rédaction de l'entrée «Fenêtre» du Dizionario tematico di letteratura, paru en Italie, que j'ai écrite en collaboration avec Remo Ceserani: elle ne compte pas moins de 200 références (cf. «Finestra, Balcone», dans Dizionario tematico di letteratura, sous la direction de R. Ceserani, M. Domenichelli, P. Fasano, Turin, UTET, 2007, tome II, p.866-873).

[8] Risque auquel n'a pas entièrement échappé, par le caractère obligatoirement elliptique des entrées, le dictionnaire thématique que je viens de mentionner.



Andrea Del Lungo

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Dernière mise à jour de cette page le 18 Septembre 2015 à 23h43.