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L'ultérieure préface: conversion et apprentissage
Par Bruno Clément (Université Paris 8)


Extrait de «L'ultérieure préface», Le Récit de la méthode, Éditions du Seuil, collection «Poétique», 2005, p. 77-95.



Ce texte est reproduit dans l'Atelier de théorie littéraire avec l'aimable autorisation de Bruno Clément et des Éditions du Seuil.

Lire également les premières pages (8-22) au format pdf, sur le site de l'éditeur.

Dossier Paratexte.






L'ultérieure préface
Conversion et apprentissage



Le Récit de la méthode entreprend de donner un statut théorique aux récits relatant les circonstances qui ont permis, selon leur promoteur, l'invention d'une méthode nouvelle. Ces récits ont pour fonction de rendre pensables trois contradictions majeures attachées à ce geste théorique essentiel: la première concerne la chronologie: en principe préalable, et logiquement présentée comme telle, la méthode est en réalité toujours élaborée après coup; la seconde a trait à la présence nécessaire de la fiction dans une entreprise de vérité; la troisième, à l'inévitable implication subjective de l'inventeur dans l'élaboration d'un système à vocation universelle.

Les pages qui suivent constituent le début d'un chapitre consacré à la première de ces trois «apories», que la méthode partage d'ailleurs avec un autre type de texte théorisant: la préface. Régulièrement donnée à lire avant, la préface, dit Proust, est en réalité toujours «écrite après». Cette accommodation du préalable et de l'après-coup suit régulièrement l'un ou l'autre de deux schèmes narratifs bien attestés, et dont l'extrait ici proposé donne deux exemples parfaits: celui de la conversion (la méthode est brusquement révélée) et celui de l'apprentissage (la méthode est élaborée patiemment).



La méthode, on l'a dit, suppose le récit. Invite à emprunter une voie — la voie—, elle se donne bien souvent à connaître comme l'aboutissement d'un parcours, lui-même tenant à la vie de son inventeur et s'en abstrayant peu à peu. Si le lien est consubstantiel qui unit récit et méthode, on voit que l'attache est également naturelle qui lie une vie incarnée à un appareil théorique, un individu à la société de ses semblables. Ce sont toutes ces coutures, toutes ces tensions que l'appareil narratif est voué à édulcorer, à rendre ensemble vivables et vraisemblables.


Or, il y a peu d'apparences qu'un savant, un philosophe, un inventeur ait jamais dans la réalité commencé son travail par la recherche ou la mise au point de sa méthode; on imagine difficilement un théoricien retardant le moment de travailler jusqu'à l'heure où sa méthode serait enfin au point et épuisant sa vie à cette recherche. Tant il est vrai que la méthode n'est jamais que la tentative d'expliciter un mouvement déjà opérant; de donner figure à ce dont on a déjà (au moins) l'idée. (Et l'on mesure sur quelle perplexité théorique peut ouvrir l'approximation de ce mot d'idée.)


Si le narrateur méthodique présente préalablement, ou comme préalable, ce qu'il n'a pourtant découvert ou élaboré qu'après-coup, c'est que sa méthode est précisément censée promouvoir une pratique, un savoir général ou généralisable, et que la logique doit dans cette opération l'emporter sur le contingent, le rationnel sur le circonstanciel, soit aussi sur le (peut-être) chronologique, en tout cas sur le personnel. La coutume à laquelle sacrifient régulièrement tous ses semblables (à bien peu d'exceptions près) de faire passer la méthode avant le savoir qu'elle s'apprête à rendre systématique est donc à la fois en conformité profonde avec ce système (attachée à lui d'un lien si serré qu'on l'en distinguerait à grand peine) et en contradiction apparente sinon flagrante avec la réalité des faits. Cette trahison, très souvent et assez aisément observable dans les récits méthodiques, pourvu qu'on les soupçonne quelque peu, renseigne justement sur la méthode, qui précisément n'est pas toute postérieure.



Il est rare, non tout à fait impossible, de rencontrer sous une forme «pure» l'un des deux modèles narratifs susceptibles de gommer cette difficulté «chronique» et consubstantielle que sont le récit de conversion et le récit d'apprentissage. Chaque configuration réalise en effet un équilibre original entre les deux patrons, empruntant à l'un ou à l'autre tel de ses paramètres. Mutatis mutandis, il en va ici comme des deux modèles romanesques que Marthe Robert propose dans son Roman des origines et origines du roman. Bien peu de romans, dit-elle, correspondent strictement à l'un de ces deux types: il y a de l'enfant trouvé chez le bâtard Balzac et du bâtard chez le Swift des Voyages de Gulliver. Cela n'empêche pas que chaque romancier est plus ou moins fidèle à une tendance que l'écriture ne cesse d'interroger, de travailler, de questionner. La chose est manifeste, je le crois, même lorsque le texte affiche très évidemment son affinité avec l'un des deux paradigmes.


Ce n'est sans doute pas un hasard si Georges Poulet, lecteur si minutieux, si passionné, si averti aussi, de Descartes, écrit pour parler de la méthode critique qu'il a lui-même élaborée un texte illustrant de façon quasi exemplaire le paradigme de la conversion.


Dans La Conscience critique[1], il se livre à un exercice plutôt rare: pour réfléchir à la nature du geste critique, il procède à la lecture non de romans, ou de poèmes, mais de textes eux-mêmes secondaires (Blanchot, Bachelard, Richard, Rousset, Starobinski…) Critique de la critique, pourrait-on dire en anticipant quelque peu et en convoquant déjà le titre du livre de Tzvetan Todorov[2], le livre est composé de deux parties distinctes, et très inégales. Dans la première, adoptant un ordre en gros chronologique, Poulet cherche à caractériser la manière d'une quinzaine de critiques. Dans la seconde, qui ne comporte que deux chapitres, et une quarantaine de pages, il entreprend, à la première personne, et dans un registre décidément autobiographique, de tirer les leçons théoriques de l'exercice; et il s'emploie à formuler, à partir des cas singuliers envisagés, quelques propositions universelles. Ce dispositif est intéressant. Il manifeste d'abord la nécessité de penser conjointement l'universel et le singulier lorsqu'il est question de méthode[3]. J'y reviendrai bien sûr. Mais on voit qu'il cherche à dire aussi, sans perdre de vue cette question, quelque chose du moment de la méthode, qui apparaît, grâce à cet «ordre des parties», un préalable incontestable (Poulet ne put, à l'en croire, rien écrire de réellement critique tant que ne fut pas élaborée la méthode adéquate) en même temps que, dans sa vie, un aboutissement relativement tardif et laborieux[4]. C'est que la méthode critique se conforme, en somme, à son objet: d'un côté, «il faut toujours que la critique reconnaisse dans les formes et dans les objets la présence d'un sujet qui leur est antécédent»; de l'autre le critique se soucie sans cesse ni repos de ce «sujet final»[5] qu'accomplit et révèle l'œuvre de l'artiste — quel qu'il soit. Il est remarquable d'ailleurs que ces considérations à la fois autobiographiques et méthodiques n'interviennent dans le volume qu'in extremis, comme si le protocole ne pouvait être formulé qu'au terme d'un parcours de vie et d'œuvre long et complexe[6]. Tourmenté aussi, pénible, la chose importe au plus haut point.


Les deux textes de la seconde partie[7] en effet mêlent aux considérations théoriques les plus exigeantes, les plus ambitieuses, des anecdotes, des confidences qui, étant donné la thèse soutenue (nécessité morale et méthodique de l'effacement personnel du critique), ont de quoi surprendre. Le récit pourtant convient à la thèse; le modèle de la conversion permet leur parfaite adéquation.


«Conscience de soi et conscience d'autrui» est le récit des événements et des réflexions qui ont conduit Poulet à la découverte, plutôt qu'au choix, et à la mise en place de sa méthode. Ce récit, comme celui de Descartes (d'ailleurs abondamment cité) est conduit à la première personne du singulier. Et l'inévitable («insupprimable», dira Samuel Beckett[8]) pronom y est, comme dans le Discours de la méthode, tantôt personnel (éminemment personnel), tantôt désincarné (j'allais dire «philosophique», mais le mot, décidément, ne convient pas).


Ce récit, donc, est celui d'une conversion. En quoi il se conforme, une fois encore, à son objet. Car la lecture (dont la méthode critique cherche à rendre un compte exact, véridique) est sans doute aucun, bien qu'à sa façon, une conversion: improbable mouvement, dit Poulet, par lequel autrui s'empare de moi, de ma pensée, de mes sensations même, «conscience d'autrui […] qui me permet de plonger le regard au-dedans d'elle-même, qui va jusqu'à me laisser — privilège inouï — penser ce quelle pense et sentir ce qu'elle sent.»[9]


Du point de vue de la tradition littéraire, la référence est indiscutablement augustinienne. Car le modèle de «Conscience de soi et conscience d'autrui», c'est le livre viii des Confessions, où Augustin raconte comment, par la grâce d'un livre justement, il fut converti[10]. Cette conversion, célèbre entre toutes, n'est pas étrangère d'ailleurs à la question méthodique: converti par le livre, Augustin, ne se comporte plus, devant les livres, comme lorsqu'il était enfant et qu'il ne croyait pas, ou qu'il croyait mal, lorsque l'incitaient les larmes et la passion. Lisant désormais en homme averti, il peut reprendre un dossier auquel il s'est affronté tant de fois sans succès, celui de la Genèse, dont il propose dans les derniers livres des Confessions une lecture procédant selon une méthode pour lui entièrement inédite[11]. Poulet, quoi qu'il en soit, écrit ici son livre viii, retraçant fidèlement le parcours qui le mena, de l'insouciance jouisseuse de la jeunesse aux troubles inquiets et à l'angoisse que devait dissiper l'illumination de midi. Il y a chez lui, comme chez Augustin, une adolescence désordonnée, dissipant dans les plaisirs une vie pourtant appelée à la vérité[12], cédant sans cesse ni conscience à la tentation:

J'avoue d'ailleurs que j'étais grandement tenté de laisser l'œuvre d'autrui dans l'étrange état de confusion où je l'avais trouvée ou réduite moi-même. J'aimais lire de façon à ne plus rien laisser subsister dans le roman ou le poème que je lisais qu'une séquelle de mots exprimant simplement les variations successives d'une pensée. C'est, je ne le nierai pas, avec un plaisir particulier qu'à cette époque de ma jeunesse et même beaucoup plus tard, je déliais les gerbes pourtant si soigneusement nouées par les écrivains que je pratiquais. Je me réjouissais de voir idées, sentiments et images échapper à la place qui leur avait été assignée et s'éparpiller pour ainsi dire dans mon esprit.[13]

Il n'est pas jusqu'à cet «éparpillement» qui n'évoque, à sa pudique façon, la voix fameuse de la Continence, qui longuement apostrophe Augustin avant que ne s'élève d'une maison proche l'autre voix, cette fois inassignable, la voix convertissante. Mais le futur critique devra connaître avant cela le dégoût, l'écœurement qui font les révélations adorables:

Fatigué jusqu'à la nausée par une cogitation sans structure, je demeurais silencieux, paralysé, incapable de rien écrire, seulement capable de laisser passer en moi, sans essayer de le doubler ou de le retenir, le flot ininterrompu des pensées d'autrui qui simultanément me séduisait et me faisait horreur. Cet état dura chez moi très longtemps, état absolument négatif, stérile, équivalent à une impossibilité totale de faire la seule chose pour laquelle je fusse un peu doué, qui était la critique littéraire. Critique réduite au silence, ou, pire encore, à une espèce de fascination accablée sous l'influence des pensées chaotiques qui reproduisaient en moi le défilé des pensées d'autrui.[14]

Cet abattement fait écho à celui d'Augustin dans le jardin de Milan, il est de ceux qui précèdent les grandes révélations, ou les grandes décisions. Le «un peu doué», qui sonne modeste et passerait presque inaperçu introduit discrètement un des thèmes majeurs de la page, celui de la grâce, sans laquelle le texte n'aurait guère de sens[15]. Cette grâce vient, comme il se doit, sous la forme d'une révélation plus ou moins méridienne:

À un moment donné qui se situe vers ce que j'appellerai le milieu de ma vie, il me vint à l'esprit que ce courant mental dont je parle avait des points d'arrêt et des points de départ nouveaux. Tout se passait comme si la pensée au développement de laquelle j'assistais, s'interrompait parfois, restait un instant suspendu, pour reprendre élan ensuite avec un mouvement de jaillissement qui lui donnait l'aspect d'une nouvelle naissance. Au lieu de la continuité sans faille que Bergson m'avait habitué à considérer comme la démarche perpétuelle de l'esprit, voici que je distinguais des pauses et des reprises, et grâce à elles un recommencement répété de la pensée. J'en devins le témoin émerveillé, comme s'il m'avait été donné d'assister à la création d'un nouvel homme et à la découverte qu'aussitôt il aurait faite de lui-même et du monde.[16]

Du point de vue de la théorie critique, le schème retenu apparente la démarche critique à un exercice de type spirituel[17]. La méthode, ici comme ailleurs, ici plus qu'ailleurs peut-être, touche au divin, on le voit à chaque ligne. La littérature est divine, le critique est son humble servant[18], la méthode un geste plus ou moins sacré. À quoi il faudrait ajouter que cette «religion» a ses saints, qu'il s'agit aussi d'honorer. Dans le cas de Poulet, on parlerait mal du monument qu'il édifie si l'on ne prononçait le nom de celui à qui il dit tout devoir et à qui il a consacré en effet une étude importante[19]. Descartes ne sert pas seulement de modèle, encore moins de métaphore, dans cette aventure méthodique; il est l'intercesseur véritable. Poulet le nomme souvent, invoque le Cogito à maintes reprises, et au moment de la conversion même: «Bref ce que je découvrais à présent dans mes lectures, c'étaient les prises de conscience faites à tout bout de champ dans leurs œuvres par les auteurs que je pratiquais, comme s'il avait été donné à chacun d'eux de procéder de façon réitérée à la saisie toute neuve de son être pensant, ou, pour employer le mot fameux de Descartes, de trouver son Cogito.»[20] Je ne peux me résoudre à penser que le nom du saint invoqué (René, renatus) soit même tout à fait étranger à la doctrine alors révélée, celle qui crédite toute pensée rencontrée d'une nouvelle naissance.[21]


L'exercice critique, quoi qu'il en soit, est redevable de ses difficultés consubstantielles à cette distribution des rôles — entre Dieu et ses saints, pourrait-on dire. Déjà chez Augustin, le nœud du débat gisait en grande partie dans ce partage indécidable dans le texte à lire entre le divin et l'humain, celui-ci certes facilement appréhendable mais réellement privé de lumière, celui-là proprement illisible. Au plus fort de son désarroi méthodique, Augustin déplorait que l'homme Moïse ait été tenu éloigné de la signification de son texte; qu'il n'y ait pas eu un accès plus averti, plus autorisé que n'importe lequel de ses lecteurs: «Car autre chose est pour nous de rechercher, à propos de la création du monde, ce qui est vrai, autre chose de rechercher ce que Moïse, familier insigne de ta foi, a voulu faire entendre par ces mots au lecteur et à l'auditeur.»[22] Poulet de même insiste sur la vanité qu'il y aurait à «confondre cette conscience inhérente à l'œuvre avec la conscience de l'auteur ou avec celle du lecteur»; et il ajoute, serrant au plus près le schème religieux: «Pure entité catégorielle, elle [la conscience inhérente à l'œuvre] est peut-être simplement cette conscience de soi qui, dans toute l'activité de l'esprit, s'affirme comme étant l'esprit» (p.298). Il serait naïf de penser que si l'on peut parler — si l'on parle — de l'œuvre comme d'une divinité[23], la responsabilité en revient au seul auteur de La Conscience critique. La méthode, je l'ai dit, qu'elle soit de tel ou de tel, ajustée pour cette fin ou pour une autre, la méthode dans son principe confine au religieux. Ce qu'il faudrait réussir à penser, c'est que c'est elle, plutôt que l'individu à l'indifférente personnalité, qui pour faire parler d'elle propose, si elle ne l'impose pas, la vraisemblance d'un bouleversement — au moins d'un retournement — existentiel et éclairé. Il faudrait même aller, sans doute, jusqu'à articuler la périlleuse hypothèse suivante: toute conversion est méthodique. Ce qui ne signifie évidemment pas que le chemin de conversion soit prévisible, balisable, qu'il puisse être enseigné, prêché, démontré; mais qu'une conversion est toujours conversion à une méthode. L'une des figures majeures de la conversion, après tout, est celle de l'homme renversé sur son chemin. Saul en route vers Damas. Il est jeté à bas de son cheval, j'imagine ses épaules touchant le sol, son regard s'affrontant au ciel qu'il ne regardait pas. Son chemin s'arrête là, ce n'est plus son chemin. Le converti bifurque, se retourne, est retourné, il change de route, de voie, d'itinéraire — de méthode. La conversion est un virage, elle fait sortir de la trace à laquelle on se fiait, elle frappe au milieu de la voie. Inverser le regard, donc. Ne pas parler (s'y efforcer) de métaphore religieuse, à propos de la méthode; mais être attentif au religieux, qui en toute méthode sommeille. Et loin de l'évacuer, comme on fait d'un objet sur lequel vient buter la conscience qui cherche à l'appréhender — comme prétend le faire Poulet qui rêve d'une pensée pure et sans forme, que masquerait l'œuvre incarnée — il faut au contraire l'accueillir comme un signe précieux. Un signe qui dirait quelque chose comme: il n'y a pas méthode parce qu'il y a du religieux (la méthode tenant lieu du divin dans l'ordre du savoir ou, à l'inverse, le religieux servant à la méthode de référence tentante, voire nécessaire), mais du religieux en raison d'une aspiration, d'une postulation méthodique. Ou: il y a le religieux parce qu'existe le désir d'une formule qui s'identifie parfaitement à ce qu'elle indique. Poulet eut de tout cela une sorte de révélation (d'«intuition», dit-il), en un lieu d'ailleurs parfaitement adéquat. Je veux dire à la fois religieux et non religieux (la Scuola San Rocco est un musée, certes, mais elle porte le nom d'un saint). Intuition mémorable quoi qu'il en soit et qu'il s'agit en effet de rapporter, là est peut-être, au fond, le point le plus important. Le récit de conversion, pourrait-on dire, fait partie de la conversion, ce qui l'apparente à la méthode, qui ne se distingue pas du lieu où elle conduit. Raconter comment on eut l'intuition d'une méthode, c'est déjà s'y conformer — c'est déjà œuvrer. Poulet raconte donc que devant les toiles du Tintoret il fit cette expérience — et qu'elle fut déterminante. Il fonde ainsi le dogme qu'il feint d'avoir découvert et qu'on peut formuler ainsi: le rapport entre l'objet de la critique (ici l'œuvre de Tintoret) et la méthode censée parvenir à cette fin n'est pas de conformité, ou d'adéquation, mais d'identité. Identité consubstantielle: l'objet de la révélation ne diffère pas du mouvement qui seul permet de le rejoindre; ne diffère pas de la méthode, donc. Un seul et même mouvement.

[La critique] peut-elle saisir la pensée habitant dans l'œuvre, là où les formes mêmes qui servaient à l'exprimer, lui font défaut, et où, pour que cette pensée soit visible, il faut que l'œuvre elle-même s'évanouisse? N'en ai-je pas eu l'intuition un jour que, visitant San Rocco à Venise, lieu exceptionnellement élevé de l'art, où se trouvent rassemblés tant de tableaux d'un seul peintre, Tintoret, je crus un instant atteindre l'essence commune à toutes les œuvres de ce grand maître, essence qui ne pouvait être perçue que si, effaçant de mon esprit toutes les images particulières convergeant vers un même centre sans image, je prenais enfin conscience de celui-ci en lui-même, sujet solitaire découvert grâce au retrait de tout ce qui, autour de lui, le désignait? (p.297)

Que le schème de la conversion soit apte à desserrer quelque peu le nœud qui enserre le moment méthodique, c'est ce qu'indique aussi, dans le contexte qu'elle instaure, le motif de la recouvrance. «Retrouver le Cogito de l'auteur, tel était le devoir primordial du critique. Mais ce Cogito, comment pouvait-il être “retrouvé”? L'importance de cette question était grande.» La recouvrance permet de tenir ensemble le préalable (elle ne vise jamais que ce qui préexiste) et l'après-coup (cette appréhension ne peut intervenir qu'à la suite d'un parcours, n'est jamais d'ailleurs qu'un but poursuivi[24]). Aussi convient-il de préciser et le mot et la chose: « […]retrouver ne pouvait signifier ici ce qu'on entend d'ordinaire par le verbe Je trouve. Quand on dit “J'ai trouvé”, le terme de la recherche apparaît d'ordinaire comme un certain objet que se donne l'esprit […] Mais ici au contraire il n'a pas d'objet. Qui veut “retrouver” le Cogito d'autrui ne peut rencontrer qu'un sujet pensant, saisi dans l'acte par lequel il se pense.»[25] Pour le converti aussi la vérité est, plutôt que ce qu'on trouve, ce que l'on retrouve; Augustin déclare que sous le figuier de Milan il n'a fait que revenir à Celui dont la vie, et ses erreurs, l'avaient éloigné. Le narrateur de À la recherche du temps perdu ne parle pas par hasard de sa «vocation»: le mot, comme son parcours immensément périphrastique, comme le titre surtout du dernier volume (dans lequel le temps est retrouvé, en effet), tout porte à lire l'œuvre comme un récit de méthode, ce qu'elle est bien en un sens, le narrateur y ayant la révélation non seulement de ce qu'il écrira, et de toutes les manières dont il ne devra pas l'écrire, mais de la voie qu'il lui faudra suivre pour aller à son but — qui ne fait qu'un avec elle. Le point essentiel est en effet que c'est la voie en question qui sera l'objet de la quête, et donc le sujet du récit. Que l'œuvre soit un roman ne change rien à l'affaire. J'allais dire: au contraire. Mais n'anticipons pas.


Sur un dernier point, il me semble que la singulière expérience de Poulet touche au fond des choses. C'est celui, immense, de la conformité de la méthode à son objet. Que la méthode doive être adéquate à son propos, c'est une proposition qui ferait sans doute l'unanimité. Elle abrite pourtant la difficulté la plus redoutable: une méthode ne peut se conformer à son objet que si cet objet lui est connu; or, la méthode est précisément l'instrument censé permettre non pas seulement d'atteindre cet objet, mais de le constituer. La difficulté, l'impossibilité d'une adéquation véritable ne diffère donc pas de celles qui empêchent de penser la place et le moment méthodiques (la méthode tantôt suivant tantôt précédant, ou à la fois suivant et précédant). Cette question prend deux formes distinctes dans La Conscience critique, mais on peut tenir qu'il s'agit bien dans les deux cas d'un même procès entravé.


L'un des principes méthodiques de Poulet est l'abstraction. Le critique doit tendre à l'effacement des formes d'une œuvre, et de l'œuvre elle-même, au profit de ce qu'il appelle «l'élément subjectif abstrait», qui est aussi bien «conscience de la conscience». Poulet précise que «toute méthode critique a donc pour mission expresse de me faire reconnaître ce primat de la conscience subjective» (p.298). Il est frappant de constater qu'en en usant de la sorte, en se donnant pour objet une sorte de «conscience transcendantale», cette méthode se rapproche du mouvement essentiel de toute méthode qui est bien de procéder généralement, de traquer la loi de l'événement plutôt que cet événement même, de soupçonner la circonstance.


«Immense importance pour moi que cette découverte: la critique est le redoublement mimétique d'un acte de pensée.»[26] Second principe. La méthode, on le sait désormais, a tendance à se conformer à son objet. Adopter comme principe critique le mimétisme systématique, comme d'ailleurs abstraire décidément, c'est pour ainsi dire faire du méthodique au second degré. Car la méthode tend aveuglément à cette conformité, dont elle ignore parfois l'exigence, qu'elle ne décrète que rarement, mais qui lui confère sa forme spéculative. Cherchant à être comme l'autre, à être l'autre (c'est la méthode, sartrienne par excellence, de l'empathie), le critique s'approche sans le savoir de la méthode essentielle. Il doit opérer cette «conversion» à l'altérité, errant à la recherche d'une préséance qui soit aussi sa fin — ou, c'est la même chose, d'une conséquence qui soit une «retrouvaille».


Que cette démarche soit romanesque, Poulet n'en conviendrait pas facilement. La conversion fait d'habitude l'objet d'un récit, d'une «confession», d'un «aveu», d'un «témoignage», plutôt que d'un roman; c'est qu'elle tient à la vérité, se méfie de l'imaginaire. C'est sans doute pourquoi on ne pourrait dire de Todorov qui, lui, n'hésite guère à parler de son parcours méthodique comme d'un roman, qu'il fût jamais converti. Aussi bien l'expérience qu'il relate est-elle l'une des plus proches qu'on pourrait trouver du second paradigme appelé en renfort pour tenir ensemble l'intenable, l'avant et l'après: le roman d'apprentissage.[27]


Le livre de Todorov est en apparence très comparable à celui de Poulet. Critique de la critique entreprend, comme La Conscience critique, de lire des textes secondaires (textes de critique du xxe siècle), et comme le livre de Poulet, il se termine par le récit, à la première personne du singulier, du parcours biographique et critique qui a conduit son auteur à envisager une nouvelle méthode de lecture des textes. La différence pourtant est grande entre les deux. D'abord parce que le livre de Todorov n'est pas, comme celui de Poulet, composé de deux parties inégales: l'une sur quelques lecteurs exemplaires, l'autre qui tirerait les conclusions théoriques de ces lectures; mais que l'auteur choisit de parler de lui comme d'un auteur critique (le dernier envisagé, donc) sans chercher à dissimuler que son profil s'apercevrait déjà, pour qui lirait entre les lignes, dans les études précédentes («d'un certain point de vue, ces autres chapitres, eux aussi, racontent ma propre histoire»[28]). Ensuite et surtout, parce que Todorov confesse d'emblée (sur la couverture, en sous-titre: «un roman d'apprentissage») le caractère fictif du montage qu'il propose pourtant comme une réflexion théorique. Ce second point importe évidemment à l'enquête méthodique. Car il est bien question ici, et plus spécialement dans le dernier chapitre («Une critique dialogique?»[29]) de méthode, l'expérience personnelle servant de base à une réflexion plus générale. Mais la différence la plus grande — et ce dernier point n'est qu'une conséquence des deux premiers — tient à la nature du modèle narratif retenu: l'apprentissage, précisément. Non seulement la narration procède selon un schéma qui, du coup, exclut le retournement, même la synthèse englobante[30] (comme c'était le cas, au moins la tendance, chez Poulet) mais ses exigences idéologiques n'ont guère à voir avec celles d'une «confession», les références axiologiques des deux textes sont sans commune mesure. S'agissant de la contradiction «chronique», celle qui lie la méthode au préalable sans l'affranchir de l'après-coup, le schéma de l'apprentissage propose une autre dynamique, opère un autre équilibre.


Dans «Une critique dialogique?», Todorov ne raconte pas comment, souhaitant devenir critique, il a découvert ou élaboré une méthode; mais comment, en possession d'une méthode, il a été conduit progressivement[31] à l'infléchir, puis à la changer, à en changer. La disposition du volume dit quelque chose de cette dynamique nouvelle. Et d'abord, bien sûr, par la place réservée à cette réflexion qui mêle autobiographie et théorie critique: en fin de volume. Il n'eût pas été illogique de commencer le livre par cette mise en perspective «vécue», de donner ainsi d'entrée de jeu aux études critiques recueillies leur relief théorique. Étrange relief, en vérité, et difficile à caractériser. Les textes en question, nous dit Todorov dans des «Explications liminaires»[32], ont été conçus (non pas écrits) à une époque antérieure à l'évolution relatée dans «Une critique dialogique?». En quoi le livre suit exactement la logique poétique du roman d'apprentissage, laissant entendre, dès l'abord, que les faits rapportés ne le sont que parce qu'un cheminement personnel[33] signifiant leur a donné un sens inattendu, a changé leur sens (aux yeux d'un narrateur lui-même transformé) — c'est-à-dire, en fait, a délivré leur sens. Une fois de plus le cheminement, la route laborieuse, donne en même temps l'objet à dire (le recueil des études critiques est bel et bien la matière du livre et de la pensée) et la méthode pour le dire, puisque le livre est celui du cheminement, dit ce cheminement, raconte cette histoire — écrit ce roman. D'aucun cheminement on ne dirait plus justement que de l'apprentissage qu'il est la vérité: la méthode n'est pas révélée in extremis, dans un chapitre qui donnerait comme après-coup une sorte de lumière rétrospective; elle informe l'ensemble des études, elle coïncide avec leur recueil. La dernière des «explications liminaires» affirme d'ailleurs sans ruse ni détour que ce qui y est relaté ne fait que prolonger ce dont le récit est commencé depuis le début[34]; que s'il est un point culminant, il ne saurait être une synthèse; que s'il vient après tous les autres, c'est seulement que la chronologie a ses exigences; que son côté «après-coup» non seulement n'exclut pas le préalable, mais le suppose, l'apprentissage ne s'achevant qu'avec la mort, le dernier chapitre du roman qui le narre n'étant jamais dernier que par provision. «Autrement dit, ce qui suit n'est jamais qu'un roman — inachevé —­ d'apprentissage.»[35] Le seuil, on le sait bien, est toujours un leurre.


Se conformant à son objet, s'assujettissant à la méthode, elle-même tributaire de son aval comme de son amont, le livre s'ouvre donc sur des remarques préalables qui annoncent l'après-coup auquel il est redevable, et se clôt sur un chapitre qui, si la logique pouvait l'emporter sur le chronologique, serait indubitablement préliminaire (les explications liminaires ne peuvent manquer de le dire).




Bruno Clément
(Université Paris 8)


Extrait de «L'ultérieure préface», Le Récit de la méthode
coll. «Poétique», © Éditions du Seuil, 2005 (p. 77-95).



Pages de l'Atelier associées: Paratexte, Récit.





[1] Georges Poulet, La Conscience critique, Corti, 1971.

[2] Tzvetan Todorov, Critique de la critique, Seuil, «Poétique», 1984.

[3] Et le livre est bien un livre de réflexion sur la méthode critique. Il n'envisage pas de se clore avant qu'ait été décrite la méthode en question: «Il convient donc d'arrêter ici cette enquête, puisqu'elle aboutit à son but, qui consiste à décrire, appuyée sur une série d'exemples, une méthode critique ayant pour fin de reconnaître dans les œuvres littéraires les rapports d'un sujet avec ses objets.» (p.296)

[4] «Ce fut très tard qu'il me fut permis de sortir de cette alternative du silence et du désordre» (p.305).

[5] P.297, je souligne.

[6] Cf. encore: «Le Cogito se révélait être non pas seulement une expérience initiale, mais, sous forme involutée, le principe de multiples développements qui se disposaient le long de la ligne du temps. Le critique n'avait qu'à suivre cette ligne. Elle lui donnait son itinéraire. Tout procédait de façon intelligible et conséquentielle à partir du premier Je pense, Je suis.» (p.307; je souligne initiale et conséquentielle)

[7] «Phénoménologie de la conscience critique» (p.275-299) et «Conscience de soi et conscience d'autrui» (p.301-314).

[8] Dans l'«Aperçu général» de Film, in Comédie et actes divers, Minuit, 1972, p.113.

[9] La Conscience critique, p.277. Cf. également: «Voilà donc la remarquable transformation qu'opère la lecture. Non seulement elle fait s'évanouir autour de moi tout objet physique, y compris le livre que je suis en train de lire, mais elle remplace cette objectivité externe par une multiplicité d'objets mentaux en rapport étroit avec ma conscience.» (p.280); ou encore: «JE autre, qui s'est substitué au mien propre, et qui, tant que la lecture durera, continuera de me remplacer. La lecture est exactement cela: une façon de céder la place non pas seulement à une foule de mots, d'images, d'idées étrangères, mais au principe étranger lui-même d'où ils émanent et qui les abrite.» (p.281; souligné par Poulet)

[10] Il me semble que Poulet est augustinien jusque dans les détails. Chez lui comme chez Augustin, l'ouverture du livre (apertio libri) joue un rôle crucial: «Prenez un livre, au contraire, vous le verrez s'offrir, s'ouvrir. C'est cette ouverture du livre qui me paraît chose exceptionnelle et importante» (p.276). Il n'est pas jusqu'à l'intimation fameuse (Tolle, lege) qui ne soit discrètement retrouvée,assumée: «Tel est le phénomène qui a lieu dans la chambre vide d'Igitur. Quelqu'un y entre, prend le livre ouvert sur la table et se met à le lire. Puis surviennent l'effacement des murailles, l'absorption de l'esprit dans un objet, l'étrange pénétrabilité dont ce dernier fait preuve.» (p.277)

[11] Augustin a tenté à plusieurs reprises de lire le premier livre de la Genèse, variant à chaque fois la méthode (lecture allégorique, lecture ad litteram, etc.) aucune ne lui donnant jamais entière satisfaction. Sur ce dossier complexe, je me permets de renvoyer à mon Invention du commentaire, Augustin, Jacques Derrida (P.U.F., 2000).

[12] Le thème, religieux s'il en est, de la vocation traverse ce récit de part en part: «Dès l'âge de vingt ans je m'étais découvert ce que j'oserai appeler une vocation critique» (p.301). Ou encore (ibid.): «Le critique que j'étais destiné à devenir…»; Poulet dit encore qu'à la littérature telle qu'il la voyait dans sa jeunesse, «il ne manquait qu'un certain ordre qu'elle [lui] demandait de lui donner.» (p.301)

[13] La Conscience critique, p.302-303.

[14] Ibid., p.304-305. Ou encore: «Telle était ma tentation: faire de ma critique une sorte de courant mental parallèle et semblable à celui que je côtoyais dans mes lectures.» (p.303)

[15] «Je recevais en quelque sorte en vrac une vie surabondante que la lecture me faisait la grâce de me transmettre» Poulet ajoute (et l'on s'aperçoit que ce débat sur la grâce ne le cède en rien au théologique: «Devrais-je cependant me contenter de recevoir? N'avais-je pas à remplacer ces entités que je venais de détruire par un ordre à moi qui serait ma contribution à leur résurgence dans ma pensée?» (p.302).

[16] Ibid., p.305; je souligne quelques-unes des expressions qui apparentent ce récit à un récit de type religieux, et même biblique.

[17] Poulet parle de son parcours comme d'un «itinéraire spirituel» (p.306) et des réalités textuelles qu'il s'efforce d'appréhender comme d'«entités spirituelles» (p.302). «La littérature, dit-il encore, me paraissait s'ouvrir à mon regard sous l'aspect d'une profusion de richesses spirituelles qui m'étaient généreusement octroyées» (p.301)

[18] «La littérature était pour moi une présence vivante, multiple mais désordonnée, à qui ne manquait précisément qu'un certain ordre qu'elle me demandait de lui donner.» (p.301)

[19] «Le songe de Descartes», in Études sur le temps humain 1, Plon, 1949; rééd. Union Générale d'Édition, 10/18, 1972.

[20] La Conscience critique, p.305; ou encore ceci, qui rappelle la fièvre livresque et boulimique d'Augustin récemment converti: « Je lisais les philosophes. Je lisais surtout ceux qui, plus que d'autres, avaient réfléchi sur la signification du Cogito.» (ibid.)

[21] Ibid., je souligne. Le thème de la renaissance, crucial en effet dans la pensée de Poulet, est mis en rapport explicite avec le nom de Descartes un peu plus loin: «Point de conscience de soi sans une nouvelle naissance, et par conséquent, dans l'abolition d'une ancienne durée l'instauration d'une durée neuve. Le moment privilégié à la fois détruit et fonde le temps. Il substitue à un temps révolu une sorte nouvelle de temps vécu. Bref, comme Descartes avait été le premier à le voir, les actes de conscience avaient la propriété de se situer dans des moments indépendants du temps, et de mettre cependant en quelque sorte le temps dans leur dépendance.» (p.312)

[22] Confessions, «La bibliothèque augustinienne», 1992, éd. de A.Solignac, trad. E.Tréhorel et G.Bouissou, XII, xxiii, 32, p.397. Cf. encore: «En quoi, dis-je, cela me gêne-t-il que j'entende, moi, autrement qu'un autre ne l'a entendu, ce qu'entendait exprimer celui qui a écrit? Bien sûr, nous tous qui lisons, nous tendons nos efforts pour dépister et saisir ce qu'a voulu dire l'auteur que nous lisons; et comme nous croyons qu'il dit vrai, nous n'osons pas penser qu'il ait rien dit que nous sachions ou jugions faux. Donc, du moment que chacun s'efforce d'entendre les Saintes Écritures comme les a entendues celui qui a écrit, où est le mal si on les entend dans un sens que toi, lumière de tous les esprits véridiques, tu montres vrai, même si celui qu'on lit ne les a pas entendues dans ce sens, puisque lui aussi les a entendues dans un sens vrai, qui n'est pourtant pas celui-là?» (Ibid., XII, xviii, 27, p.385).

[23] «Il y a un point où [la conscience de l'œuvre] ne reflète plus rien, où, toujours dans l'œuvre et pourtant au-dessus de l'œuvre, elle se contente d'exister […] À ce point, aucun objet ne peut plus l'exprimer, aucune structure ne peut plus la déterminer, elle se découvre en son ineffabilité, en son indétermination fondamentale. Telle est peut-être la raison pour laquelle, dans son élucidation des œuvres, la critique est comme hantée par cette transcendance de l'esprit» (p.299)

[24] «Retrouver cette notation parfaitement fluide, qui, quel que fût l'objet quotidien qu'elle se donnait, s'exprimait toujours avec la même uniformité, tels devinrent le but invariable de mes lectures et l'opération par laquelle je réduisais toutes celles-ci à une substance homogène et comme liquide.» (p.303)

[25] p.311.

[26] p.307. Cf. un peu plus loin: «Et puisque la tâche assignée au critique était précisément de saisir dans l'œuvre qu'il étudiait l'exercice de cette force auto-cognitive, il ne pouvait y parvenir que s'il accomplissait à son tour comme sien l'acte qui se révélait ainsi à lui. En d'autres termes, l'acte critique exigeait de celui qui le posait, la même activité interne que l'acte de conscience chez l'auteur critiqué. Un même je devait opérer chez l'auteur et chez le critique.» (p.311)

[27] Tzvetan Todorov, Critique de la critique, un roman d'apprentissage, op. cit.

[28] Critique de la critique, p.15.

[29] Critique de la critique, p.179-193.

[30] «Le mouvement répété dans chaque chapitre se combine donc avec un autre, qui est de gradation, et qui culmine à la fin — sans que cette culmination soit pour autant une synthèse.» (p.15)

[31] «À force de lire ces vieux livres…» (p.182), «…à réfléchir à ces sujets, je me suis aperçu…» (p.183), «… cette conviction m'a amené à les envisager différemment…» (p.184); etc.Cf. encore, à propos de l'histoire de la théorie critique (Todorov prétend parler ici de quelqu'un d'autre que lui — il vient de citer Boeckh, qui tire seulement, selon lui, les leçons de Spinoza — mais les mots qu'il emploie ont été choisis soigneusement pour l'équivocité, et nul doute qu'ils vaillent également pour le livre en cours: «On voit comment s'est opéré un glissement insensible: on commence par renoncer à se servir d'un savoir préalable sur la vérité du texte comme d'un moyen pour l'interpréter; on finit par déclarer non pertinente toute question ayant trait à sa vérité.» (p.13; je souligne)

[32] Critique de la critique, p.7-15.

[33] «Pourtant si je m'efforce de réfléchir sur mon cheminement intellectuel…» (p.179; je souligne)

[34] «Ces autres chapitres, eux aussi, racontent ma propre histoire» (p.15)

[35] Ibid.



Bruno Clément

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Dernière mise à jour de cette page le 21 Juin 2015 à 23h09.