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Séminaire "Voyages imaginaires et récits des autres mondes" (ENS) : M. Palombi et M. P. Mischitelli, "Calvino, pour une littérature de l'en-deçà"

Publié le par Marc Escola (Source : Elsa Courant)

Mercredi 16 novembre 2016, de 16h à 18h en salle Dussane de l'ENS Ulm (fond du couloir, à gauche du hall d'entrée)

Séminaire "Voyages imaginaires et récits des autres mondes, de Cyrano à Game of Thrones"

Intervenantes : Mélinda Palombi et Maria Pia Mischitelli, "Italo Calvino, pour une littérature de l'en-deçà. Les Cosmicomics et Les Villes invisibles, esquisses cosmographiques"

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Argumentaire du séminaire : 

« Je n’ai rien voulu imaginer sur les habitants des mondes, qui fût entièrement impossible et chimérique. J’ai tâché de dire tout ce qu’on en pouvoit penser raisonnablement, et les visions même que j’ai ajoutées à cela ont quelque fondement réel. Le vrai et le faux sont mêlés ici, mais ils y sont toujours aisés à distinguer. »

C’est en ces termes que Fontenelle introduisait ses Entretiens à la pluralité des mondes en 1686. Une telle affirmation est caractéristique des stratégies d’écriture relatives aux récits des autres mondes, partagées entre réalisme et fantaisie. Au regard de la littérature pléthorique qui se rapporte à ce sous-genre, il faut entendre par autres mondes tous les univers alternatifs au nôtre, produits de l’imagination. Il peut s’agir d’autres planètes peuplées d’hypothétiques habitants, de mondes géométriques comme le Flatland d’Edwin Abbot, d’univers parallèles tels que la troisième dimension spirite de Balzac et Flammarion.

Or ces récits jouent avec les catégories littéraires et une certaine tradition des récits de voyage, plus ou moins sérieuse, qui remonte à l’antiquité de Lucien. On y trouvera les caractéristiques topiques du genre telles qu’elles furent définies par Frank Lestringant, avec une bipartition systématique entre narration et description ; mais parce que ces récits se projettent en dehors de notre univers référentiel, ils excèdent aussi ces catégories. Ce sont ces démarches d’écriture que nous souhaitons interroger : dans quelle mesure peut-on parler d’une pratique littéraire spécifique aux récits des autres mondes ? On y trouvera une variété de registres qui complexifie la question, de l’ironie satirique d’un Cyrano à la description réaliste depuis les débuts de la science-fiction au XXIème siècle, en passant par les spéculations philosophiques de Fontenelle.

L’enjeu est d’autant plus intéressant que de telles œuvres se définissent par rapport à la science contemporaine, engageant des considérations épistémologiques sur le type de savoir, potentiellement paradoxal, que ces textes peuvent apporter. Un tel rapport est d’ailleurs réciproque, puisque les scientifiques eux-mêmes jouent avec les catégories littéraires. On se souvient de sélénites du Songe de Kepler, qui connurent une fortune sans précédent dans les récits fictionnels, mais aussi des âmes trépassées de Lumen, roman spirite de Flammarion. En réalité, il s’agit probablement d’un lieu commun du discours scientifique, sinon de la vulgarisation scientifique, s’appuyant sur la vieille tradition du mythos aristotélicien, la fable permettant mieux que tout autre discours de transmettre une forme de vérité.

Mais la vérité dont il s’agit n’est pas seulement épistémologique ; elle est aussi de l’ordre de la figuration. Les romans des autres mondes engagent en effet un rapport particulier à l’image et à la représentation de l’ailleurs : il s’agit toujours de relever un défi posé à l’imaginaire, en interrogeant nos propres catégories. Comment représenter un autre monde, l’exotisme par excellence ? Les récits de l’irréalité ne s’attachent-il pas à définir en creux ce qu’est cette différence propre à l’Autre ? Or le paradoxe est que bien souvent, c’est l’anthropocentrisme qui l’emporte, l’homme restant le référent central de ces représentations.

Nous accueillerons dans ce séminaire des chercheurs en littérature, mais aussi en astrophysique, en traversant les époques du XVIIème siècle à l'ultracontemporain.

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Détail de l'intervention : 

« C’est une vocation profonde de la littérature italienne qui va de Dante à Galilée : l’œuvre littéraire comme carte du monde et du savoir, l’écriture mue par un désir de connaissance qui est tantôt théologique, tantôt spéculatif, tantôt relevant de la sorcellerie, tantôt encyclopédique, tantôt appartenant à la philosophie naturelle, tantôt à l’observation transfiguratrice et visionnaire. […] Depuis plusieurs siècles, cette veine créatrice est devenue plus sporadique […] aujourd’hui, le moment de la reprendre est peut-être venu. »

Calvino écrit dans la continuité de cette tradition littéraire et c’est certainement dans cette perspective qu’il entreprend l’écriture des Cosmicomics, récits relatant l’origine de l’Univers et des possibilités d’autres mondes. Des possibilités imaginées entre la réalité de la science et l’imaginaire narratif, rejoignant à ce titre un autre roman de Calvino Les villes invisibles, cités rêvées, fantasmées, mais qui pourraient ou auraient pu exister dans un univers parallèle au nôtre et que relate inlassablement Marco Polo au grand Khan. Ces autres mondes s’inscrivent dans une pratique littéraire relevant du mythe : mythe des Origines pour les premières, mythe de la cité idéale pour les secondes. Ou encore du voyage, à travers le temps et l’espace, dans une science-fiction à rebours ou bien dans un temps suspendu. Des temps et des espaces abolis par l’imaginaire narratif et ses codes. Mais chez Calvino c’est en démythifiant le mythe lui-même grâce à un procédé d’écriture spécifique mêlant habilement icasticità et vide qu’émergent ces univers autres relevant d’une réalité où se conjuguent, en creux, un indicible et un invisible caractéristiques de ces ailleurs multiples et toujours autres.

Science-fiction du passé, cosmographie de l’inachevé, la représentation calvinienne de l’univers se compose finalement de multiples esquisses, juxtapositions du possible, qui relèvent non pas du dépassement, mais au contraire de l’en-deçà : pour une littérature de la carte mais aussi de l’inexistant, de l’indéterminé, de l’ineffable.

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Programme du séminaire : 

28 septembre 2016 : Voyages au pays de la fiction-dans-la-fiction, Françoise Lavocat  (Université Sorbonne Nouvelle)

5 octobre 2016 : Ce que l'Autre Monde fait à la pensée : réflexions sur Cyrano et ses voyages, Thomas Mondemé (Lille)

12 octobre 2016 : Le voyage lunaire en images, Patrick Désile (CNRS)

19 octobre 2016 : L’autre monde introuvable dans l’œuvre de J. R. R. Tolkien, Isabelle Pantin (ENS)

2 novembre 2016 : Jules Verne, utopique et archaïque, Jean-Michel Gouvard (Université de Bordeaux Montaigne)

9 novembre 2016 : Anthropologie des mondes possibles dans le roman pour adolescents, Laurent Bazin (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

16 novembre 2016 : Italo Calvino, pour une littérature de l’en-deçà. Les Cosmicomics et les Villes invisibles, esquisses cosmographiques, Maria Pia Mischitelli & Mélinda Palombi (Université Aix-Marseille)

23 novembre 2016 : Les théories fictionnelles des mondes possibles dans la science-fiction française, Simon Bréan (Université Paris Sorbonne)

30 novembre 2016 : Les mondes de Balzac, Thomas Conrad (ENS)

7 décembre 2016 : La fabrique des extraterrestres, Roland Lehoucq (CEA Saclay)

14 décembre 2016 : World building et imaginaire contemporain, Anne Besson (Université d’Artois)