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Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky : Montrer/Chercher : l’art brut à l’épreuve de l’archive

Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky : Montrer/Chercher : l’art brut à l’épreuve de l’archive

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Mica Gherghescu)

Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky

Montrer/Chercher : l’art brut à l’épreuve de l’archive

4-11 juillet 2022, Paris

Appel à candidature

Date limite de dépôt : 10 avril 2022

For English, please scroll down

Dans une lettre à son ami Jacques Berne datée du 3 août [1970], Jean Dubuffet déclare : « L’entreprise de l’Art Brut […] a consisté non pas à montrer l’art brut après l’avoir défini, mais à chercher où est l’art brut, en vue de réunir une documentation qui pourrait peut-être finalement le définir. » [1]

En écho à la donation historique consentie par Bruno Decharme – collection abcd au Musée national d’Art moderne en 2021, comportant plus de neuf cents œuvres majeures d’art brut dont une sélection est présentée dans une salle dédiée du parcours permanent, la huitième édition de l’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky questionnera la diversité des figures de « passeurs » et « découvreurs » (médecins, chercheurs, collectionneurs, artistes, galeristes…) impliquées dans la documentation, la collecte, la diffusion et la reconnaissance de l’art brut. L’opposition des termes « montrer » / « chercher » sous la plume de Dubuffet illustre l’attention cruciale qu’il accordait aux sources, dont le rassemblement ne constitue pas la condition d’une étude préalable, mais l’aboutissement d’une recherche de terrain dont les fruits, œuvres et documentation, se confondent. De fait, l’ infinie variabilité de la définition des objets de l’art brut, tour à tour source de plaisir esthétique et de connaissance, nous invite à explorer de manière critique la porosité des frontières entre ce qui fait « œuvre » et ce qui fait « document » : œuvres à part entière qui documentent des pratiques singulières et dont elles restent souvent la seule trace, corpus dynamiques, qui sont archive et œuvre tout à la fois, artistes archivistes à vocation encyclopédique à l’instar du facteur Cheval, de Henry Darger ou d’August Walla, compulsant leur propres collections d’images.

Art Brut, outsider, naïf, populaire, vernaculaire, psychopathologique, médiumnique : cette pluralité terminologique ne doit pas constituer un facteur d’indétermination mais au contraire nous inviter à préciser les contextes historiques et géo-culturels, internationaux, des multiples définitions et pratiques de l’art brut. Quelles sont les traces de l’art brut ? Écrits/écritures, dessins, photographies, correspondance, rapports et comptes-rendus d’analyse, récits littéraires, reportages photographiques, sources audiovisuelles, quelles sources pour comprendre l’activité d’individus dont on ignore ou l’on cache parfois jusqu’au nom de famille ? Les collections des « passeurs » qui ont su voir et valoriser l’art brut suffisent-elles à expliquer et analyser ces histoires ? Quelles furent, quelles sont les méthodes de regroupement, d’étude et de valorisation employées pour faire collection et constituer une documentation ? Quels sont les enjeux d’une définition « en creux » de l’art brut ?

L’Université d’été s’attachera à revenir sur la longue histoire des pratiques de l’art brut, des regards pionniers de Marcel Réja, Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet ou Léo Navratil et Roger Cardinal, aux pratiques de recherche et de création les plus contemporaines.

Quelques enjeux à explorer :


Enjeu « idéologique » /   Pour dépasser le moment historiographique très situé décrit par Jean Dubuffet, l’histoire de l’art brut est une histoire de nombreuses résistances institutionnelles, de paradoxales oppositions et de contestations des structures dominantes. Retracer le fil des archives administratives, littéraires, psychiatriques, publiques et privées, qui ont structuré le processus de production et de classification des œuvres, c’est montrer à corps ouvert les mécanismes idéologiques, discursifs, qui ont essayé de proposer un cadre de compréhension – parfois figé, parfois répressif, ou au contraire très décloisonné et très ouvert – à la richesse des pratiques et des visions « autres » qui excédaient ces mêmes structures de pouvoir.  Comment l’institution a-t-elle pris et prend-elle en charge le discours anti-institutionnel ? Comment les discours normatifs de classification, d’assignation, sont-ils mis à mal par les pratiques de l’art brut ? Comment l’art brut fabrique ses propres structures de monstration et d’étude ? Sont attendues également des propositions de candidature qui reviennent sur des études de cas et situations spécifiques d’institutions de l’art brut/art autre qui ont su réinventer le périmètre institutionnel.

Enjeu historiographique / Entre la « singularité » des profils « bruts » et la pluralité des modernités artistiques, il s’agira d’interroger à la lumière des sources archivistiques les conditions de production et d’interprétation de ces œuvres, et de redéfinir de manière critique les canons historiographiques de l’art (histoire de l’art euro-américano-centrée, primitivisme trop souvent associé aux productions dites naïves, glissements terminologiques vers les pratiques vernaculaires, etc.) Il conviendra donc de déplacer la question de « comment regarder l’art brut » vers le « comment l’art brut change-t-il notre manière de regarder ».

Enjeu éthique / Comment les sources témoignent-elles de la relation entre les artistes et ceux qui regardent ces œuvres ? Ces relations, qui peuvent être des relations où le « passeur » incarne une figure d’autorité (critique, thérapeute, tuteur, collectionneur, chercheur, etc) orientent-elles dès lors la production des œuvres ? Entre l’anonymat de certains artistes et le paradoxe du porte-parole (une voix dont on se fait le porte-parole est par définition une voix qu’on n’entend pas) : comment exposer et interpréter sans entériner la marginalisation ni occulter la circulation et la diffusion de ces œuvres, ni figer leur lecture ?

Enjeu expographique / quels documents renseignent ces récits collectifs, comment l’art brut est-il montré (voire collecté, documenté) dans les institutions psychiatriques, religieuses, muséales ? Quels collectifs d’auteurs et quelles conditions de création, quels lieux à la limite entre atelier, lieu d’exposition, de vente, de soin ? Quels sont différents lieux et approches à l’international (Asie, Amérique du Sud, Europe de l’Est) et les espaces alternatifs qui montrent l’art brut ? Quels sont les enjeux de conservation (spécificité matérielle des œuvres, patrimoines paysagers, …).

Enjeu prospectif / De quelle manière l’art brut sert-il de source d’inspiration pour de jeunes créateurs et incite à de nouvelles pratiques critiques ? Où se déplacent aujourd’hui les débats relatifs à cette variabilité des objets de l’art brut ?

Selon son principe de travail structurant, l’Université d’été mettra à disposition des participants un ensemble de ressources archivistiques et documentaires conservées par la Bibliothèque Kandinsky. Elle invitera les participants à enrichir le débat en partageant les sources de travail sur lesquelles ont reposé leurs recherches et à poursuivre des opérations historiographiques sur un mode critique et inventif.


PROCEDURE DE CANDIDATURE 

L’Université d’été de la Bibliothèque Kandinsky s’adresse à un public international de jeunes chercheurs (à partir du niveau doctorat ou équivalent en termes d’expérience et recherche) : historiens et historiens de l’art, anthropologues, sociologues, psychanalystes, psychiatres, artistes, critiques, commissaires d’expositions.

Dossier de candidature : 

–              une proposition de communication, d’intervention ou de contribution (4500 signes/700 mots en format pdf; peut être rédigée en anglais ou français) 

–              un CV et une liste de publications (format pdf) 

–              Il est nécessaire d’avoir une bonne maîtrise de l’anglais et du français. 

Les participants devront apporter un choix de sources qui servira de support à la présentation de leur travail. 

Les propositions de communication sont à adresser avant le 10 avril 2022 à l’adresse électronique recherche@centrepompidou.fr 

La ligne « sujet » du mail doit préciser le nom du candidat précédé de la mention Université d’été. 

Les propositions seront examinées par le Comité de pilotage qui se chargera d’établir le programme définitif de l’Université d’été. Le Comité de pilotage retiendra 25 candidatures. Tous les candidats, qu’ils soient ou non retenus, seront contactés individuellement avant le 19 avril 2022. 

Une contribution d’inscription de 150 € sera demandée aux participants qui bénéficieront de l’enseignement de l’Université d’été. Cette contribution couvrira un certain nombre de frais – transport vers des lieux visités, éventuels droits d’entrée dans des institutions, etc.  
A l’attention des candidats qui en feront la demande, le Centre Pompidou émettra toutes attestations utiles leur permettant d’obtenir toutes bourses ou aide de financement qu’ils pourraient requérir auprès de fondations, de musées ou d’institutions universitaires ou de recherche.  

 

[English version]

Showing/Searching : outsider art and its archival impulse

Call for papers

Deadline for applications: April 10th, 2022

In a letter addressed to his friend Jacques Berne on the 3rd of August 1970, Jean Dubuffet wrote : « The entire art brut initiative consisted not necessarily in showing art brut after having defined it, but in searching where art brut might be found, in order to accumulate a documentation that could, perhaps, be able to define it. » [1]
In conjunction with the historical donation that Bruno Decharme – collection abcd has entrusted to Musée national d’art moderne – Centre Pompidou in 2021 and gathering more than 900 major works of art brut, partly shown in the permanent collection, the 8th edition of Bibliothèque Kandinsky Summer University will address the diversity of « connecting » talent spotters of art brut : therapists, researchers, collectors, artists, gallerists, etc., that have lastingly gathered useful documentations and collections and contributed to the visibility and revaluation of art brut.

Under Dubuffet’s words, the contrasting terms « showing »/ « searching » reveal the great importance he granted to primary sources, understood not as preconditions to research, but as the result of patient fieldwork where works of art and documents often get mixed up and merge. The infinite variability in defining art brut or outsider objects, simultaneously understood as source of aesthetic pleasure and objects of knowledge, invites us to critically address the porosity between the definitions of « work of art » and « document » : as art objects, they often document the artistic practices and gestures that created them and represent the sole documentary traces of their singularity; as dynamic objects they embody the work of art and the archive at once ; last but not least, numerous artists are inhabited by the archival drive and by the encyclopedic, collecting, impulse as Facteur Cheval, Henry Darger or August Walla.

Art brut, outsider art, naive art, popular/folk/vernacular, psychopathological, medium art: the terminological diversity calls for contextual readings of multiple cultural histories of art brut practices, understood on international scale. What are the primary sources for art brut? Writings, drawings, photography, correspondence, analysis report, diagnosis, literary productions, audiovisual reportages, what kind of documentary sources to understand the artistic work of practitioners whose last names or identities are sometimes unknown or sometimes hidden. Are the collections of these “connecting figures” (collectors, gallerists or therapists), who have seen and valued art brut, enough to explain and analyze their histories and biographies? What were, what are, the current methods of historiographical collecting, study and visibility used to build and compile pertinent documentation? What are the challenges of an “against the grain” definition of art brut?
During its sessions, the Summer University will explore the long history of art brut practices, starting with pioneer studies of Marcel Réja, Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet, Léo Navratil or Roger Cardinal to contemporary studies and creations.

Several stakes are at play in this context:

Ideologies: Going beyond Jean Dubuffet’s situated historiographical moment, outsider art narrative is filled of institutional resistance, of paradoxical oppositions and contesting views towards different power structures. Tracing back the thread of administrative, literary, psychiatric, public and private archives, which have structured the process of production and classification of works, means to openly break the ideological, discursive mechanisms, which have tried to propose a framework for understanding – sometimes fixed, sometimes repressive, or on the contrary, fundamentally decompartmentalized and open – to the wealth of “other” different practices and visions that exceeded these same power structures. How does the institution respond to different anti-institutional discourses? How are the normative narratives of classification and assignment, undermined by the very practices of art brut? How does art brut create its own structures for display and study?  The application proposals are also expected to bring into discussion case studies and specific situations of outsider art, that have been able to reinvent the institutional perimeter.

Historiographies: Between the “singularity” of “raw”/ “brut” profiles and the plurality of modern art histories, the Summer University will question, in the light of archival sources, the conditions of production and interpretation of these works of art, that have fundamentally and critically redefined the very canonical art histories (Eurocentric art history, equivocal “primitivism” too often associated with so-called “naïve” productions, terminological shifts towards vernacular practices, etc.) It will therefore be appropriate to shift the question from “how to look at art brut/raw practices” to “how art brut changes the way we look”.

Ethics: How do the sources testify to the relationship between the artists and those who look at these works? Do these relationships, where the “connecting figure”/” discoverer” embodies authority (critic, therapist, tutor, collector, researcher, etc.), guide the production of works? Between the anonymity of certain artists and the paradox of the “spokesperson” (a voice that one becomes the spokesperson for, is by definition a voice that one does not hear): how to exhibit and perform without endorsing marginalization or concealing the circulation and dissemination of these works, let alone occult and manipulate the reading of these works?

Display: what documents inform these collective narratives, how is art brut shown (or even collected, documented) in psychiatric, religious and museum institutions? What collectives of authors and what conditions of creation, what places at the limit between workshop, exhibition space, art market, care institution? What are the different places and approaches worldwide (Asia, South America, Eastern Europe) and other alternative spaces that currently show art brut? What are the conservation issues (material specificity of the works, site specific environments, etc.)?

The Bibliothèque Kandinsky Summer University 2020 will bring together young researchers, curators and artists around documentary material from the library itself—for some part largely unseen—and give its participants the opportunity to put sources ‘at work’. It also invites researchers from all horizons to bring up their source material and put it into debate, through historical, creative and critical discussion.

 

APPLICATION PROCEDURE

The Bibliothèque Kandinsky’s Summer University is aimed at young fellows (PhD candidates, PhDs, PostDocs or equivalent degree and/or experience): historians, art historians, anthropologists, sociologists, psychoanalysts, psychiatrists, curators, librarians, graphic designers and artists at large.

Application file:

– written proposal (4,500 characters/700 words) either in English or in French, in PDF format.

– CV which should clearly assess the candidate’s language proficiency. In order to apply is important to have a good command in both English and French.

Candidates are expected to bring along a selection of sources used in their research.

The proposal dossier will be sent to: recherche@centrepompidou.fr by April 10th 2022.

The proposals will be evaluated by a scientific committee, in charge of drawing up the final Summer University program. The Committee will retain 25 projects.

All applicants, whether selected or not, will be personally contacted before April 19th  2022.

A participation of € 150 will be required from each participant, who will be provided with tuition. The participation will cover transportation on site and institutional entries.
If requested, the Centre Pompidou will be able to issue any required certificate in order to apply for scholarship or funding from foundations, museums, universities or research institutes.

 
COMITE DE PILOTAGE 

Cristina Agostinelli, attachée de conservation et responsable de programmation/ conservation attachée, in charge of dedicated programs, Collections contemporaines, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Thomas Bertail, chargé de coordination de la recherche/ research coordinator, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris 

Bruno Decharme, collectionneur et spécialiste de l'art brut/ collector and specialist

Sophie Duplaix, conservatrice en chef des Collections contemporaines/ curator and head of contemporary collections, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Mica Gherghescu, responsable du pôle recherche et de la programmation scientifique/ head of research and scientific programs, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris 

Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur, chef de service de la Bibliothèque Kandinsky/ curator  and head of Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Anne Montfort, conservatrice/curator, Cabinet d’arts graphiques, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Lucienne Peiry, docteure en histoire de l'art, spécialiste d'Art Brut, commissaire d'expositions/ PhD in art history, art brut specialist and curator

Mathieu Potte-Bonneville, directeur/director, Département Culture et Création, Centre Pompidou, Paris

Xavier Rey, directeur/ director du Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, Paris

Barbara Safarova, productrice de films, docteur ès lettres et en esthétique, présidente de l’association abcd (art brut connaissance & diffusion), directrice de programme au Collège international de philosophie/ film producer, PhD in literature and aesthetics, president of abcd association, head of programs Collège international de philosophie.

Diane Toubert, archiviste/ archivist, collections contemporaines, Bibliothèque Kandinsky, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Aurélie Verdier, conservatrice/ curator, Collections modernes, au Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Vous pouvez adresser vos demandes de renseignements à l’adresse / For any inquiry :
recherche@centrepompidou.fr 

Tel : +33 (0)1 44 78 46 65 

 
Crédit de l’image :
Charles Dellschau
(Sans titre), 1921
Gouache, encre, vernis, ficelle et collage
53 x 43,5 cm
AM 2021-974
Donation Bruno Decharme, 2021
Photographie : César Decharme
Musée national d’art moderne – Centre Pompidou

 

[1] Citée par Baptiste Brun dans son article « Réunir une documentation pour l’Art Brut : les prospections de Jean Dubuffet dans l’immédiat après-guerre au regard du modèle ethnographique », Les Cahiers de l’Ecole du Louvre, n°4, 2014./ Quoted by Baptiste Brun in « Réunir une documentation pour l’Art Brut : les prospections de Jean Dubuffet dans l’immédiat après-guerre au regard du modèle ethnographique », Les Cahiers de l’Ecole du Louvre, n°4, 2014.