Actualité
Appels à contributions

"Une espèce de prédiction". Dire et imaginer l’avenir dans la fiction d’Ancien Régime (Amiens)

Publié le par Marc Escola (Source : Coralie Bournonville)

"Une espèce de prédiction"

Dire et imaginer l’avenir dans la fiction d’Ancien Régime

 

"Partez, et n’attirez pas sur vous la vengeance du Ciel et des hommes, par tous les maux que peut encore ici causer votre présence. Cette menace fut une espèce de prédiction. Patrice s’y arrêta peu, et j’étais fort éloigné moi-même de prévoir qu’elle dût se vérifier par des événements qui devaient la suivre de si près."

 

Dans ce passage du Doyen de Killerine de Prévost (1735-1740), le doyen personnage prononce des prédictions dont il ne mesure pas exactement la portée ; le doyen narrateur en confirme par avance la vérité. Dans l’univers de la fiction, les anticipations sont ainsi susceptibles de prendre des formes diverses. Elles peuvent provenir du narrateur, dont les prolepses inversent l’ordre chronologique du récit, mais également être le fait de certains acteurs de la diégèse : les dieux peuvent prédire l’avenir, qu’ils prennent la parole directement ou s’expriment au travers d’oracles ; quant aux simples humains, ils peuvent aussi acquérir un pouvoir mantique à des occasions particulières ou, simplement, à tort ou raison, imaginer l’avenir.

Ces différentes figures n’inspirent pas une égale confiance au lecteur. Au risque d’être très schématique, nous serions tenté de formuler une « échelle de crédibilité » de la manière suivante : le narrateur fait les anticipations les plus certaines, viennent ensuite les dieux, les oracles, les différentes figures merveilleuses qui ne sont pas soumises à la logique du temps humain, et enfin les simples mortels, qui eux aussi peuvent acquérir momentanément une odeur de divin. Ainsi, quand un personnage se met à faire des songes ou que, sur son lit de mort, il prononce ses ultima verba, il est soudain auréolé d’une lumière surnaturelle et formule généralement des prédictions fiables. Mais le personnage de fiction se livre parfois à des anticipations bien plus hasardeuses, lorsque son imagination, échauffée par l’espoir, la crainte ou le désir, lui présente des images de l’avenir.

Cependant, cette échelle est facilement ébranlée : il arrive, dans certains contextes, que les prolepses du narrateur n’inspirent pas confiance et, inversement, qu’un simple personnage fictionnel ait une autorité suffisante pour que le lecteur ne doute pas de sa parole.

C’est cette « nébuleuse » de l’anticipation que ce colloque se propose d’explorer. À partir de l’examen de fictions narratives et pièces de théâtre des XVIIe et XVIIIe siècles, plusieurs questions pourront être abordées.

Une première perspective consistera à observer comment les anticipations participent à la structuration de l’intrigue :

  • Quelles sont les conséquences narratives de l’anticipation ? Tandis que la prolepse narratoriale n’infléchit pas, en principe, le cours de l’action, l’anticipation actoriale, parce qu’elle appartient à la diégèse, est susceptible d’avoir un rôle dramatique immédiat. On pourra questionner cette distinction, et se demander, par exemple, quel est le rôle dramatique des prédictions dans les contes de fées ou, simplement, dans quelle mesure l’idée qu’un personnage se fait de l’avenir motive son action.
  • Quelle est la fonction cohésive de l’anticipation ? La tension qu’elle crée entre le moment de sa première formulation et le moment où elle s’accomplit permet de délimiter de vastes ensembles, de transcender et de complexifier l’unité matérielle du volume.
  • Quelles sont les fonctions thymiques des anticipations ? En théorie, elles sont aussi bien susceptibles de ruiner la tension narrative en annonçant d’emblée l’issue de l’intrigue, que de l’accroître par des formulations allusives ou énigmatiques. Qu’en est-il dans les œuvres ?
  • Quel rôle jouent les circonstances de la publication dans le traitement des anticipations ? Les romans publiés de façon périodique et sur un temps long ont-ils recours à des procédés particuliers ?

 

Un deuxième ensemble de questionnements portera sur le statut aléthique de ces représentations de l’avenir :

  • Faut-il donner au narrateur et à ses prédictions un statut particulier au sein de la fiction ? Cette distinction est-elle vraiment pertinente sous l’Ancien Régime ?
  • Quels éléments (génériques, contextuels) portent le lecteur à accorder spontanément sa confiance à une prophétie, une prédiction, une simple projection ?
  • Dans quelle mesure l’échelle de créance évoquée précédemment à titre d’hypothèse peut-elle être ébranlée ? Un dieu peut-il se tromper ? Un narrateur nous mentir ? On pourra également étudier le motif du « faux oracle », qui existe aussi bien dans la fiction sérieuse que dans la fiction comique.

 

 On pourra s’interroger sur les mondes fictionnels que contribuent à construire ces représentations :

  • Il arrive que le cours de la diégèse démente les anticipations des personnages. Que révèlent ces fausses anticipations de leur univers mental (leur vision du monde, leurs préjugés, leurs passions) ? Comment interpréter la mise à l’épreuve des idées des personnages orchestrée par le texte ?
  • Ces figurations justes ou erronées de l’avenir contribuent-elles à l’élaboration d’un univers fictionnel régi par une Providence ou à celle d’un monde livré au hasard ? Viennent-elles révéler ou masquer la figure de l’auteur, maître de cette Providence ou de ce hasard fictionnels ?

 

Enfin, le sujet invite à une réflexion relevant de la stylistique et de la bibliographie matérielle :

  • Quels sont les traits formels et linguistiques de l’anticipation ? Est-il pertinent de comparer, par exemple, les formulations de l’oracle et celles de l’énigme ?
  • Quelles sont les anticipations susceptibles d’être extraites, lues de manière autonome comme autant de « beaux endroits » ? Si certaines s’intègrent dans la continuité de la trame narrative, d’autres constituent au contraire un élément saillant : ainsi les oracles, dans les longs romans de l’âge baroque, sont-ils souvent versifiés, en italiques, et se détachent visuellement du récit. La pratique des « tables des oracles » pourrait être étudiée.

 

Le colloque se déroulera à Amiens les 11 et 12 mai 2017. Les propositions sont à envoyer avant le 15 janvier 2017 à ces deux adresses: cbournonville@msn.com et lise.charles@paris-sorbonne.fr