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Un besoin d’Homère  (de la fin du XXe siècle à aujourd’hui)

Un besoin d’Homère (de la fin du XXe siècle à aujourd’hui)

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Claire Lechevalier)

Un besoin d’Homère

(de la fin du XXe siècle à aujourd’hui)

 

Colloque à l'Université de Caen, 15-16 octobre 2020,

organisé par le LASLAR (Claire Lechevalier, Brigitte Poitrenaud-Lamesi)

            « The Odyssey is very much in the air here », écrivait James Joyce à son frère en arrivant dans le Paris des avant-gardes en 1920. L’affirmation pourrait sans aucun doute être reprise aujourd’hui. L’on ne peut que constater en effet combien la référence homérique abonde sur les scènes et les écrans, dans la littérature voire dans les différents médias d’information. Pour les seules années 2018-2019, Homère est convoqué tant dans un cadre institutionnel (exposition du Louvre Lens au printemps 2019, programmation du festival d’Avignon en 2019) que dans les spectacles contemporains (Pauline Bayle, Daniel Jeanneteau, Christiane Jatahy,…)[1], dans la réappropriation autobiographique (Daniel Mendelsohn, Une Odyssée : un père, un fils, une épopée), dans la publication de nouvelles traductions (L’Iliade, par Pierre Judet de La Combe, à paraître aux Belles Lettres) ou jusque dans les usages du discours commun (récurrence de la comparaison du parcours des « migrants » avec celui d’Ulysse). Nous vivons donc aujourd’hui peut-être une nouvelle actualité de l’Iliade et de l’Odyssée, qui ne se définit ni par une « querelle », ni par un débat critique ou artistique singulier[2], mais par des usages multiples et variés, dans un phénomène de cristallisation dont il s’agira précisément ici de tenter de comprendre les enjeux. Pourquoi, pour reprendre les mots de Pierre Judet de La Combe,  « un besoin […] d’Homère »[3] aujourd’hui ?

 

Un Homère global ?

            Pour répondre à cette question, nous voudrions tout d’abord réinterroger la tension communément admise entre représentation d’une œuvre considérée comme « universelle », et revendication de sa valeur de socle dans l’héritage européen. La réception homérique a en effet souvent été analysée, dans la période contemporaine, selon une tension entre un paradigme généalogique (problématiques de la filiation ou de l’héritage) et la remise en cause de ce dernier comme lié à une perspective de domination impérialiste. Ainsi ont émergé de nouveaux modèles de réappropriation (voir l’exemple de la « méditerranée Caraïbe »). En même temps, la comparaison des épopées homériques avec d’autres formes de poésie orale, dans une perspective pragmatique, invitait elle aussi à reconsidérer le caractère « incomparable » du matériau textuel et de ses potentialités performatives (voir notamment Florence Dupont, L’Antiquité, territoire des écarts)[4].

            Ces deux lignes, qui se complètent, impliquent une reconsidération de l’espace de réception : non plus un espace restreint, mais un espace élargi, non plus une filiation directe (liée à l’ « héritage méditerranéen »), mais une réception hétérogène, qu’Emily Greenwood et Barbara Graziosi ont proposé de penser sous l’angle de la « world littérature » ou Véronique Gély sous celui du « partage » [5]. Selon quelles modalités est-il alors possible, dans les œuvres contemporaines, non d’évacuer le paradigme historique mais de prendre en compte sa combinaison avec un paradigme transculturel élargi, décloisonné ?

 

Homère et les crises de notre temps

             Par ailleurs, élargir la question de la réception par-delà la problématique du patrimoine ou de l’héritage – partant, de la fidélité, de l’exactitude ou de l’adaptation- invite à s’interroger sur les articulations possibles avec d’autres modalités de la mémoire et de la réappropriation, selon une perspective qui pourrait être par exemple poétique, métaphorique ou spectrale : à partir de quelles sources et de quels filtres intertextuels, sous quelles formes et avec quels enjeux les épopées homériques sont-elles réinvesties dans l’imaginaire et la création contemporaine ? En quoi sont-elles encore agissantes aujourd’hui ? Faut-il penser que, si l’Iliade et l’Odyssée ont souvent été associées, dans une perspective didactique, voire morale, à une exaltation de l’héroïsme, du courage ou de la gloire, elles sont aujourd’hui abordées comme la représentation de mondes en crise, marqués par le brassage et la confrontation à l’altérité (Théo Angelopoulos, Le regard d’Ulysse), la quête identitaire (Valerio Manfredi, Odysseus, Les rêves d’Ulysse/ Le retour d’Ulysse) ? Dans la mesure où ces deux épopées ouvrent sur un imaginaire géographique, pensable par tous, associé à l’expédition de la guerre en terrain étranger ou au difficile retour en terre natale, l’époque contemporaine s’attache-t-elle davantage à leurs figures de héros décentrés, isolés ou conduits à se confronter à de nouvelles formes de domination, de communautés, de relations, de variations de points de vue (Margaret Atwood, L’Odyssée de Pénélope, Christiane Jatahy, Ithaque. Notre Odyssée, Luigi Malerba, Ithaque pour toujours) ? En bref, en quoi les oeuvres homériques peuvent-elles être convoquées pour penser les crises, les interrogations ou les violences du monde contemporain ?

 

Réinventer l’art de l’aède

            Enfin, Homère offre à travers la figure de l’aède, exemple même du narrateur, une multitude de potentialités du récit, qui constituent autant de déclencheurs pour l’écriture fictionnelle moderne. L’Iliade et l’Odyssée se caractérisent en effet, dans la mémoire collective, par leur continuité et leur cohérence (les épopées), tout autant que par leur discontinuité et leur éclatement permanent (les chants, les épisodes, voire les vers, ou les épithètes homériques), dans une tension renforcée aujourd’hui par la référence omniprésente au croisement entre narration et performance orale. En quoi les écritures contemporaines puisent-elles dans cette complexité poétique une multitude de réactivations et de recompositions possibles ?

Il s’agira donc de voir pourquoi et comment les arts contemporains (domaine littéraire, théâtral, cinématographique, de la fin du XXe siècle à aujourd’hui) réinvestissent ces (nouvelles ?) configurations et modalités de la mémoire dans les formes et les enjeux qui leur sont propres.

 

Les communications, de 25 à 30 minutes, devront être présentées en français (ou exceptionnellement en anglais, accompagnées d’un résumé ou d’un powerpoint en français). 

            Les propositions, 1500 signes environ, accompagnées d’une rapide bio-bibliographie, sont à envoyer pour le 15 novembre aux adresses suivantes : claire.lechevalier@unicaen.fr ; brigitte.poitrenaud-lamesi@unicaen.fr

 

Comité organisateur :

Claire Lechevalier (LASLAR, Unicaen)

Brigitte Poitrenaud-Lamesi (LASLAR, Unicaen)

 

Comité scientifique :

Marie-Hélène Boblet (LASLAR, Unicaen)

Fabien Cavaillé (LASLAR, Unicaen)

Silvia Fabrizio-Costa (LASLAR, Unicaen)

Ariane Ferry (CEREDI, Université de Rouen)

Sylvie Humbert-Mougin (ICD, Université de Tours

Corinne Jouanno (CRAHAM, Unicaen)

Tiphaine Karsenti (HAR, Université Paris ouest Nanterre)

 

[1] Pauline Bayle, Iliade et Odyssée d’après Homère (2015), Daniel Jeanneteau, Faits (fragments de l’Iliade) (2014) et Déjà la nuit tombait (fragments de l’Iliade) (2018), Christiane Jatahy, Notre Odyssée 1 et 2 (2018-2019).

[2] Voir Glenn W. Most, Larry F. Norman et Sophie Rabau (dir.),  Révolutions homériques, Pise, Éditions de l’École Normale, 2009.

[3] « Pourquoi Homère reste d’une brûlante actualité », Le Monde, 28 avril 2018.

[4] Florence Dupont, L’Antiquité, territoire des écarts, Entretiens avec Pauline Colonna d’Istria et Sylvie Taussig, Albin Michel, 2013.

[5] Emily Greenwood et Barbara Graziosi, Homer in the Twentieth Century: Between World Literature and the Western Canon, Oxford, Oxford University Press, « Classical Presences », 2007 ; Véronique Gély, « Partages de l’Antiquité : un paradigme pour le comparatisme », Revue de littérature comparée, 2012/4 (n° 344), p. 387-395.