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Torfi H. Tulinius :

Torfi H. Tulinius : "Les sagas islandaises : enjeux et perspectives"

Publié le par Matthieu Vernet

Torfi H. Tulinius, professeur invité au Collège de France, donnera quatre leçons hebdomadaires du 2 au 21 novembre 2021 sur "Les sagas islandaises : enjeux et perspectives"

L’objectif de la série de cours est de présenter la riche littérature de l’Islande médiévale, en mettant l’accent sur les sagas, qui sont des récits pseudo-historiques en prose relatant des événements touchant au passé des pays nordiques, et dont certaines sont de remarquables œuvres d’art. Les principaux enjeux critiques et historiques les concernant seront discutés, ainsi que des perspectives ouvertes par des recherches récentes.

2 novembre : "Une poétique de l'ambiguïté : histoire, fiction et matérialité de la langue"

Grande île située au milieu de l’Atlantique Nord, l’Islande fut découverte et peuplée pendant l’expansion viking du VIIIe au XIe siècle. Séparée de la Scandinavie par les vagues périlleuses de l’océan, la société islandaise résista jusqu’à la seconde moitié du XIIIe siècle à l’intégration politique au royaume de Norvège, lui préférant un mode d’organisation sociale basé sur le partage du pouvoir par une grande classe dominante, celle des « goðar ». Convertis au christianisme en l’an mil, les Islandais maintenaient des échanges soutenus avec les pays nordiques et le reste de l’Occident médiéval. C’est dans ce contexte qu’une littérature vernaculaire, sans commune mesure avec celle des autres pays nordiques, s’est développée à partir du XIIe siècle. Dans ce premier cours alterneront descriptions de la société islandaise et de la littérature qui y est née, dans le but de montrer comment la seconde s’est développée et a accompagné les évolutions de la première.

9 novembre : "Mémoire, poésie, récit : l'Islande médiévale au miroir de son passé viking"

La littérature médiévale islandaise peut être vue comme une expression de la mémoire commune de ce qu’il est convenu d’appeler, depuis quelque temps, la « diaspora viking ». Il s’agit de l’ensemble des gens issus de la Scandinavie, mais habitant un vaste espace géographique s’étendant de la Russie au Groenland, et unis par une langue et une mémoire commune. La connaissance de récits et de poèmes des temps anciens, ainsi que la pratique de la poésie scaldique, semblent avoir fait des Islandais les spécialistes de la mémoire du monde nordique médiéval. Ils composaient des poèmes en l’honneur de souverains norvégiens ou danois, informaient leurs historiens ou composaient eux-mêmes des chroniques de leur règne ou de celui de leurs prédécesseurs. En même temps, la société islandaise réfléchissait sur elle-même, à travers des récits sur des événements locaux du passé récent ou du temps de ses origines, à l’époque viking. Ce deuxième cours explorera les liens entre poésie, mémoire et récit en invoquant des exemples tirés de plusieurs sagas appartenant à des genres différents : sagas de contemporains, sagas royales et sagas des Islandais.

16 novembre : "Une société et une littérature aux prises avec la violence"

Le XIIIe siècle connut une longue période de bouleversements de la société islandaise, aboutissant à son intégration au royaume norvégien en 1262. S’identifiant de plus en plus à une haute aristocratie de type européen, les membres de la classe dominante islandaise se livrèrent à une compétition pour le pouvoir qui dégénéra rapidement en combats sanglants. Ces années de grande violence coïncidèrent avec l’essor du genre de la « saga des Islandais », récit sur la vie des premières générations d’Islandais, celles-là même qui peuplèrent le pays et se convertirent au christianisme. Composés au XIIIe siècle, ces récits projettent dans un passé des origines les enjeux de leur temps, explorant en particulier les racines de la violence, les moyens de la contenir et ses conséquenceslorsqu’elle se déchaîne. Le troisième cours examinera les mécanismes sociaux qui règlent les conflits, tels qu’ils se présentent dans les sagas, ainsi quel’importance d’une image du passé viking comme arrière-fond idéologique, justifiant la violence mais la rendant aussi problématique. La Saga de Njall le brûlé, l’une des plus importantes, sera particulièrement sollicitée.

23 novembre : "Une poétique de l'ambiguïté : histoire, fiction et matérialité de la langue"

La littérature islandaise révèle un goût prononcé pour la polysémie et l’ambiguïté. C’est en partie dû à la pratique de la poésie scaldique, riche en allusions littéraires et en jeux sur le double sens des vocables. Cette ambiguïté apparaît également dans les sagas, aussi bien dans les dialogues, volontiers laconiques et vagues, que dans les motivations des personnages, souvent obscures. Si les sagas se présentent comme des récits sur le passé, elles ne se prononcent pas sur la véracité des faits racontés. Mi-histoire, mi-fiction, elles semblent avant tout avoir été composées pour être lues à voix haute devant un public auquel un effort certain d’interprétation est demandé. Cette attitude littéraire est également influencée par les pratiques exégétiques du christianisme médiéval. Le résultat donne une littérature narrative qui explore le caractère équivoque des rapports humains. En même temps, ces récits sont fortement redevables d’une tradition poétique, celle des scaldes, qui pousse très loin le travail sur le signifiant. Le quatrième et dernier cours traitera d’une poétique de l’ambiguïté qui caractérise les plus grandes sagas, dont La Saga d’Egill et La Saga de Grettir. Leurs personnages principaux sont des poètes et une solution possible à l’énigme qu’ils présentent apparaît en étudiant la matérialité de leur langue, ainsi que de celle des auteurs des­­ sagas qui les mettent en scène.