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Revue Stendhal, n°5 (2024) : Relire les Chroniques italiennes

Revue Stendhal, n°5 (2024) : Relire les Chroniques italiennes

Publié le par Marc Escola (Source : Xavier Bourdenet)

Revue Stendhal, n° 5 (2024)

Relire les Chroniques italiennes

Appel à contributions

 

Les Chroniques italiennes sont une œuvre paradoxale. Pièce maîtresse, avec La Chartreuse de Parme et les récits de voyage, de ce qu’on a coutume d’appeler « l’italianité » de leur auteur[1], elles sont un marqueur stendhalien très fort. On en retient souvent la valorisation, qui va jusqu’au mythe, d’une Italie énergique de temps plus ou moins anciens (XVIe pour l’essentiel, mais pas uniquement) lus comme la contre-épreuve d’une France engluée dans la médiocrité d’une « modernité » lénifiante à laquelle Stendhal, en bon romantique, cherche le remède d’un ailleurs temporel et géographique. Les Chroniques le montrent réfléchissant à la question morale comme aux frontières de la littérature – puisqu’il considère ces « anecdotes originales et parfaitement vraies, écrites par des contemporains en style du temps[2] », comme des documents, témoignages authentiques et fiables sur un état ancien des mœurs. Elles relèvent pour lui d’une démarche tout à la fois historique et anthropologique, qu’il prend soin de penser contre les dérives d’une littérature moderne soupçonnée d’emphase et de mensonge[3], ce qui est en partie une fiction qu’il construit.

Pourtant, en un autre sens, elles sont aussi très peu propres à Stendhal. D’une part, rappelons cette évidence, parfois oubliée, qu’il n’a jamais publié de recueil intitulé Chroniques italiennes : c’est une fiction éditoriale[4], reconstruction posthume d’une œuvre qu’il n’a jamais sinon envisagée du moins réalisée sous cette forme. Les éditions en sont diversement configurées : faut-il, par exemple, y inclure Vanina Vanini et San Francesco a Ripa, qui ne sont pas issues de manuscrits anciens ? Les constituer en recueil ou le défaire, comme le propose la récente édition des Œuvres romanesques complètes de la Pléiade, qui choisit de présenter les chroniques selon la stricte chronologie de leur composition et de les insérer dans le continuum vaste de la fiction stendhalienne ? Rien de plus mobile que cette œuvre qui n’en est pas une. D’autre part, ces chroniques sont traduites et adaptées de sources manuscrites italiennes, découvertes, pour la plupart, dans la bibliothèque Caetani à Rome : Stendhal y avance sous le masque de l’éditeur, qui, pour le coup, n’est pas (qu’) une fiction. La critique a parfois oublié que certaines des chroniques sont avant tout des traductions, assez proches de l’original (Vittoria Accoramboni), même si d’autres s’émancipent très largement de leur source (L’Abbesse de Castro).

Sur le double plan d’une poétique et d’une génétique des textes, les Chroniques italiennes sont instables et, pour cette raison même, retiennent l’attention et posent question.

Le numéro 5 (2024) de la Revue Stendhal se propose d’éclairer à nouveaux frais ces œuvres à la fois centrales et périphériques chez Stendhal, sans exclusive d’approche. On pourra par exemple envisager (liste non exhaustive) :

La pratique stendhalienne de la traduction-adaptation des manuscrits italiens[5], qu’on pourra analyser relativement aux pratiques de la traduction qui lui sont contemporaines. On manque ainsi d’études précises confrontant les textes stendhaliens à leurs sources italiennes. Un éclairage sur la nature, le statut, les enjeux tant poétiques que politiques des manuscrits anciens que Stendhal s’approprie serait ainsi très utile.

Une analyse stylistique des Chroniques : y a-t-il une spécificité stylistique de la « chronique », de sa narration notamment ? Si oui, de quel ordre et comment la comprendre relativement à la nouvelle et au roman romantiques ?

Une approche macro-génétique, en abordant le work in progress qu’est le chantier des Chroniques à partir des notes prises par Stendhal sur les copies des manuscrits italiens conservés à la BNF, comme sur les manuscrits de la BMG (Suora Scolastica et Trop de faveur tue).

L’histoire éditoriale et matérielle des Chroniques italiennes : mouvante, elle est un bon symptôme tout à la fois des pratiques éditoriales du XIXe siècle et de l’histoire de l’édition stendhalienne. Ces éditions, très diverses voire disparates, disent beaucoup de la conception de Stendhal, de la « Stendhalie » et du stendhalisme dominant le champ critique au moment de leur publication, champ qu’en retour elles contribuent largement à déterminer. Sans s’en tenir à l’histoire du seul recueil, on pourra s’intéresser aussi aux publications des chroniques dans la presse. Une « poétique historique du support[6] » semble appelée par le statut instable de ces textes.

 

Une approche générique des chroniques italiennes : par exemple dans leur relation, complexe parce que pas seulement thématique, aux nouvelles « françaises » ou « allemandes » de Stendhal, ou dans leur relation aux fictions longues (que l’on songe aux liens de L’Abbesse de Castro et de La Chartreuse de Parme ou de Vanina Vanini et du Rouge et le Noir). 

 

Le rapport des chroniques à la fiction et aux régimes de véridicité.

 

L’extension du domaine de la « chronique » dans l’œuvre stendhalienne. À la suite des travaux de Mariella Di Maio et de Béatrice Didier, on pourra s’interroger sur ce que recouvrent le terme et la forme de la « chronique »  – et de ses substituts : « historiette », par exemple – chez Stendhal, mis en parallèle, sur ce point avec ses contemporains, ainsi que sur la présence de « chroniques italiennes » avant la lettre dans le reste des œuvres, fictionnelles, viatiques ou essayistiques : on songe, par exemple, à l’histoire de Bianca Capello dans l’Histoire de la peinture en Italie, ou à celles de Pia Tolomei, tirée de Dante, dans De l’amour et de Francesca Polo dans Promenades dans Rome.

 

L’univers diégétique des Chroniques : sans revenir spécifiquement sur le discours stendhalien de valorisation de l’énergie et des « passions », souvent commenté, on pourra interroger concrètement la représentation du passé, de l’espace et des personnages mise en place dans les Chroniques. La question du corps, la présence ou non d’une « psychologie », les relations familiales, le dessin d’un espace et des circulations qu’il permet ou contraint (on bouge beaucoup dans les Chroniques), le rôle des objets, la traduction concrète des « mœurs », les différences genrées sont, parmi bien d’autres, autant d’angles d’approche possibles.

 

La question morale et la construction d’un ethos du chroniqueur comme de son traducteur-adaptateur : le feuilletage énonciatif des Chroniques est une des clés de leur effet si singulier.

 

Les réécritures, adaptations ou échos des Chroniques : dans l’histoire longue de la nouvelle et/ou du roman du XIXe au XXIe siècle, quelle intertextualité et quelle postérité des Chroniques italiennes ? On pourra lire les chroniques stendhaliennes en lien étroit avec les œuvres contemporaines ou postérieures traitant des mêmes sujets : l’histoire de Béatrice Cenci, par exemple, a suscité une abondante littérature, dont Stendhal n’est qu’un jalon, de Shelley à Frederic Prokosch en passant par Custine, Dumas, Artaud, Moravia. On pourra encore s’intéresser aux adaptations cinématographiques, telle celle de R. Rossellini dans son beau film Vanina Vanini – si l’on compte Vanina Vanini parmi les « chroniques italiennes » – ou celle, moins connue, de Lucio Fulci, Liens d’amour et de sang (titre original : Beatrice Cenci).

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Les articles pourront porter sur tout ou partie des chroniques.

Les propositions de contributions, accompagnées d’une brève présentation bio-bibliographique, sont à adresser à Xavier Bourdenet (xavier.bourdenet[at]free.fr)  pour le 30 octobre 2021. Elles seront expertisées par le comité de rédaction de la revue.

Pour les propositions retenues, les articles, de 35 000 signes (espaces comprises), seront à remettre le 30 septembre 2022.

https://psn.univ-paris3.fr/litterature-francaise-et-comparee/litterature-francaise/revue-stendhal

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Bibliographie indicative

[limitée aux études d’ensemble. Pour les études spécifiques à chaque chronique, voir les « Bibliographies » établies par Philippe Berthier dans les Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 3 t., 2005-2014.]

Albert Mechthild, « La communication non verbale. Procédé de création littéraire dans les Chroniques italiennes », dans V. Del Litto (éd.), La Création romanesque chez Stendhal, Droz, Genève, 1985, p. 191-203.

——, « Le dollar et le bajoc. La fonction de l’argent dans les Chroniques italiennes », dans M. Colesanti et alii (éds), Stendhal, Roma, l’Italia, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1985, p. 529-539.

Allard Nicolas, « Le Récit court stendhalien », thèse de doctorat, dir. P. Tortonese, université Sorbonne Nouvelle, soutenue le 2 juin 2017.

Berthier Philippe, « Notices » des diverses « chroniques » dans Œuvres romanesques complètes, Paris, Gallimard, « Pléiade », 3 t. , 2005-2014.

Boll-Johansen Hans, « Une théorie de la nouvelle et son application aux Chroniques italiennes de Stendhal », Revue de littérature comparée, 1976 / 4, p. 421-436.

Ceysson Sabine, « Les mots de la fin dans les Chroniques italiennes », H.B. Revue internationale d’études stendhaliennes, n° 2, 1998, p. 135-145.

Crouzet Michel, Stendhal et l’italianité. Essai de mythologie romantique, Paris, J. Corti, 1982.

——, « Stendhal et le coup de poignard italien », dans M. Colesanti et alii (éds), Stendhal, Roma, l’Italia, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1985, p. 163-238 [repris sous le titre « L’Italie est une “fête à coups de couteau” », dans Le Roman stendhalien. La Chartreuse de Parme, Orléans, Paradigme, « Modernités », 1996, p. 163-217].

——, « Stendhal et le récit tragique », dans R. Gigho Bezzola (éd.), Stendhal europeo, Fasano, Schena-Nizet, 1996, p. 109-162 [repris dans Stendhal, la politique, l’Eros, l’esthétique, Paris, Eurédit, 2003, p. 463-521].

Dedeyan Charles, Stendhal et les Chroniques italiennes, Paris, Didier, 1956.

Di Maio Mariella, « La chronique italienne » dans D. Sangsue (éd.), Stendhal hors du roman, Dijon, CICE, « Le Texte et l’Edition », 2001, p. 149-160.

Didier Béatrice, « Stendhal chroniqueur », Littérature, n° 5, février 1972, p. 11-25.

——, « Les objets dans les Chroniques italiennes », dans V. Del Litto (éd.), Stendhal-Balzac. Réalisme et cinéma, Grenoble, PU de Grenoble, 1978, p. 221-225.

Hamm Jean-Jacques, « Un laboratoire stendhalien : les Chroniques italiennes », RHLF, mars-avril 1984, p. 245-254.

Houssais Yvon, Histoire et fiction dans les « Chroniques italiennes », Moncalieri, C.I.R.V.I., 2000.

——, « Les Chroniques italiennes : Stendhal à la recherche d’une forme », Anales de Filologia francesa, n° 14, 2006, p. 133-144.

——, « Les Chroniques italiennes : un art du mensonge », dans F. Wilhelm (éd.), Figures littéraires du mensonge, Besançon, PU de Franche-Comté, 2018, p. 153-164.

Imbert Henri-François, « Les Chroniques italiennes : une expérience d’écriture beyliste », dans M. Colesanti et alii (éds), Stendhal, Roma, l’Italia, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1985, p. 487-500.

Jourda Pierre, « L’art du récit dans les Chroniques italiennes », Journées stendhaliennes internationales de Grenoble (26-28 mai 1955), Paris, Le Divan, 1956, p. 157-165.

Laforgue Pierre, « Traduttore, traditore, ou l’art de la fiction et de la mystification dans les Chroniques italiennes », dans M.-R. Corredor, Stendhal à Cosmopolis, Grenoble, ELLUG, 2007, p. 148-158 [repris dans Stendhal alla Monaca. Le Romantisme, le romanesque, le roman, Paris, Classiques Garnier, « Série Stendhal », 2016, p. 161-169].

Parmentier Marie, Stendhal stratège. Pour une poétique de la lecture, Genève, Droz, 2007 (passim).

——, « La focalisation interne dans le roman historique : les Chroniques italiennes, Salammbô », dans A. Déruelle et A. Tassel (éds), Problèmes du roman historique, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 29-44.

Peytard Jean, « Réécriture et personnage du “traducteur” dans les Chroniques italiennes », dans Th. Aron (éd.), La Réécriture du texte littéraire, Paris, Les Belles Lettres, 1987, p. 67-98.

Philippot Didier, « L’écriture du sang dans les Chroniques italiennes », H.B. Revue internationale d’études stendhaliennes, n° 2, 1998, p. 91-115.

Prevost Jean, « Les Chroniques italiennes », dans La Création chez Stendhal [1951], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1996, p. 410-425.

Schuerewegen Franc, « Le détective défaillant ou l’instance du policier dans les Chroniques italiennes », Orbis litterarum, n° 39, 1984, p. 213-229.

Van De Putte Pascale, « Les rapports auteur / lecteur dans les Chroniques italiennes », Stendhal Club, n° 31, 1988-1989, p. 28-46.

 

[1] Voir Michel Crouzet, Stendhal et l’italianité, Paris, J. Corti, 1982.

[2] Lettre à Albert Stapfer, 27 septembre 1835, Correspondance générale, t. V, Paris, Champion, 1999, p. 618.

[3] Voir cette mise en garde : « [Ô] lecteur bénévole ! ne cherchez point ici un style piquant, rapide, brillant de fraîches allusions aux façons de sentir à la mode, ne vous attendez point surtout aux émotions entraînantes d’un roman de George Sand ; ce grand écrivain eût fait un chef-d’œuvre avec la vie et les malheurs de Vittoria Accoramboni. Le récit sincère que je vous présente ne peut avoir que les avantages plus modestes de l’histoire. » (Vittoria Accoramboni, dans Œuvres romanesques complètes, t. I, p. 994).

[4] Dans une perspective proche de celle de Jacques Dupont parlant d’une « fiction critique » à propos du Spleen de Paris, recueil lui aussi posthume, configuré par ses éditeurs successifs (« Le Spleen de Paris, une fiction critique ? », L’Année Baudelaire, vol. 16, 2012, p. 41-54). Le titre Chroniques italiennes est utilisé pour la première fois par Romain Colomb en 1855, dans le cadre des Œuvres complètes chez Michel Lévy. Ce « pavillon élastique » (Ph. Berthier, « Notice » de Vittoria Accoramboni, dans ORC, t. I, p. 1407) s’est depuis imposé.

[5] Les copies que Stendhal en a fait faire et qui lui servent de documents de travail sont conservées à la BNF sous les cotes : « italien 169, 170, 171, 172, 173, 174-178, 179, 296, 297, 886 ». La plupart sont numérisées sur Gallica. Elles ont été éditées par Victor Del Litto dans le t. II (« Appendices ») de son édition des Chroniques italiennes, Genève, Cercle du Bibliophile, 1969 (Œuvres complètes, t. 19). À la bibliothèque de Grenoble on trouve les manuscrits de Suora Scolastica (BMG R. 290 et R. 291), Trop de faveur tue (R. 291) et San Francesco a Ripa (R. 5896).

[6] Voir Marie-Ève Thérenty, « Pour une poétique historique du support », Romantisme, n° 143, 2009 / 1, p. 109-115.