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L'œuvre d'Almudena Grandes (Revue Narraplus)

L'œuvre d'Almudena Grandes (Revue Narraplus)

Publié le par Marc Escola (Source : Christine Di Benedetto)

Revue Narraplus, n° 6 Hors-série - numéro monographique consacré à l'œuvre d'Almudena Grandes

sous la direction de Corinne CRISTINI et Isabelle CABROL

 Modalités pratiques :

 - Proposition de participation : résumé d’environ 10 lignes, ainsi que nom et université, adresses postale et électronique, 5 mots-clés. 

À envoyer avant le 15 juin 2022 à : cocristini@wanadoo.fr, isabelle.cabrol@sorbonne-universite.fr, christine.di-benedetto@univ-cotedazur.fr

- réponse du comité pour acceptation des propositions: fin juin 2022 

- Envoi des textes, en français ou en espagnol : 30 novembre 2022 

- Publication prévue : 1er trimestre 2023 

Toutes les approches méthodologiques sont acceptées.

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Almudena Grandes, née à Madrid, en 1960, et décédée dans la même ville, le 27 novembre 2021, est l’une des voix féminines emblématiques du panorama littéraire espagnol contemporain, s’imposant comme l’une des figures les plus populaires auprès du grand public, aussi bien en Espagne qu’à l’étranger. Celle qui n’a cessé de célébrer Madrid dans son œuvre et qui a porté la capitale espagnole sur le devant de la scène (« Madrid a que tanto amo », rappelait-t-elle en 2012 dans l’adaptation théâtrale de Atlas de Geografía humana) ; celle qui a ouvert le Centenaire « Galdós es Madrid. 2020 año galdosiano, madrileño y novelesco », en prononçant une conférence aux accents cernudiens « Galdós, un genio generoso y poderoso », a finalement reçu le titre posthume de Hija Predilecta de Madrid, le 22 février 2022. Nommée en janvier 2020 Doctora Honoris Causa en Filogía de l’UNED – et présentée alors comme une autrice dans le sillage de Balzac, Dickens, Tolstoï et… Galdós –, elle est désormais officiellement reconnue par la municipalité comme la romancière de « l’âme madrilène » de la deuxième moitié du XXème siècle.  

Après avoir suivi des études d’histoire et de géographie à l’Université Complutense de Madrid et travaillé dans le domaine éditorial, Almudena Grandes connaît le succès dès la publication de son premier roman sulfureux, Las Edades de Lulú, en 1989, qui s’inscrit dans le genre de la littérature érotique (il est publié dans la collection « La Sonrisa Vertical »), et pour lequel elle reçoit le XIème prix de La Sonrisa Vertical créé dix ans auparavant par Tusquets Editores. Ce roman best-seller, traduit dans une vingtaine de langues et imprégné de l’esprit transgressif et libertaire post-movida madrilène sera porté à l’écran, en 1990, par le jeune réalisateur Bigas Luna. Almudena Grandes a su renouveler l’écriture de l’érotisme en s’appuyant sur un langage réaliste qui fait cohabiter l’univers du destape, d’un côté, et, de l’autre, l’engagement social et politique. 

Moins de dix ans après la publication de Las Edades de Lulú, on retrouve l’écriture sans filtre, les thématiques et les personnages de prédilection de la romancière dans son nouveau best-seller, Atlas de Geografía humana (1998), adapté à la télévision chilienne en 2004, sous le titre évocateur Geografía del deseo et le format de la série, puis au cinéma par Azucena Rodríguez, en 2007. Les quatre protagonistes, Ana, Rosa, Marisa et Fran, comme autant de types féminins et de facettes de l’écrivaine elle-même, sont en proie aux mêmes interrogations que les protagonistes Lulú et Pablo, dix ans auparavant. Ce roman à succès, salué par la critique, sera adapté par le dramaturge Luis García-Araus, en 2012, et sera transposé sur la scène du Centro Dramático Nacional de Madrid, une première réécriture scénique dans la trajectoire d’Almudena Grandes qui lui permet de suivre cette génération (« los hijos predilectos de la transición »), mélancolique mais toujours combattive, désormais dans un Madrid « post-15-M ». 

Après son roman Te llamaré Viernes (1991), qui met en scène deux êtres en souffrance et en marge, Benito et Manuela, elle publie Malena es un nombre de tango, en 1994, œuvre dans laquelle on assiste à un nouveau parcours initiatique au féminin, celui de Malena, incarnation de la jeune fille et femme rebelle qui s’oppose à l’esprit bien-pensant et étriqué bourgeois, et à la morale de l’époque. Le réalisateur Gerardo Herrero transposera l’œuvre au cinéma en 1996, comme il le fera dix ans plus tard pour le nouveau roman d’Almudena Grandes, Los aires difíciles (2002), au croisement de deux époques et annonçant le grand cycle mémoriel de l’autrice. Dans Malena es un nombre de tango, la thématique historique − même s’il ne s’agit encore que d’une toile de fond − traverse l’œuvre et préfigure ces romans de « la mémoire » ou de la « post-mémoire » qui composeront l’immense fresque des Episodios de una guerra interminable, placée sous le signe de Galdós et de ses Épisodes Nationaux. C’est dans son sillage que s’inscrit la romancière, qu’il s’agisse de son écriture de veine réaliste, de son rapport viscéral à l’histoire d’Espagne ou de ses préoccupations politiques et sociales. En effet, à partir de 2007, Almudena Grandes s’engage dans le mouvement de récupération de la mémoire historique, aux côtés de Pedro Almodóvar, entre autres, en soutenant le juge Baltasar Garzón, notamment, lorsque ce dernier sera accusé d’avoir enfreint la Loi d’Amnistie de 1977. 

À partir de son roman El Corazón helado, de 2007 (prix José Manuel Lara, prix du Gremio de Libreros de Madrid, Le Cœur gelé, prix méditerranée 2008), Almudena Grandes accordera une place de choix aux questions historiques et mémorielles, participant ainsi au « boom de la memoria ». Dans la saga monumentale débutée en 2010, Episodios de una guerra interminable, portée par un « souffle épique », et prévue à l’origine en six volumes, elle donne la voix aux vaincus de la guerre civile, et par une écriture toujours très documentée, revisite et ressuscite notamment l’histoire de l’après-guerre et du franquisme : Inés y la alegría (2010), prix Sor Juana Inés de la Cruz, prix ibéro-américain du roman Elena Poniatowska, prix de la critique de Madrid ; El lector de Julio Verne (2012) ; Las tres bodas de Manolita (2014), Los Pacientes del Doctor García (2017), prix national de littérature narrative, 2018 (Les Patients du Docteur García, prix Jean Monet de Littérature 2020) et La madre de Frankestein (2020). À titre posthume sera publié son roman inachevé, le dernier de la saga, Mariano en el Bidasoa. Dans la lignée d’écrivaines comme Ana María Matute, de cette génération de Niños asombrados de la guerre, elle interroge les liens familiaux conflictuels, notamment ceux de la fratrie revue au prisme du caïnisme.

L’ensemble de l’œuvre d’Almudena Grandes est marquée du sceau d’un militantisme social et politique ; ouvertement de gauche et républicaine, sa collaboration à la chaîne de radio Cadena SER et au quotidien El País reflète l’engagement de toute une vie d’une romancière populaire qui aura toujours à cœur de tisser des liens avec ses lecteurs. Dans les chroniques qu’elle publie dans El País et El País Semanal et qui sont regroupées en 2019 dans le recueil La herida perpetua, Almudena Grandes dénonce l’ultra-libéralisme et proclame haut et fort sa défense des dominés – les femmes victimes de violence, la communauté LGBTIQ+ du barrio de Chueca, les livreurs à vélo qui arpentent les rues de la capitale –, en demeurant fidèle à la gauche radicale. On devine la filiation avec le Manuel Vázquez Montalbán de la Crónica sentimental de la transición (1985), lui aussi chroniqueur dans ces mêmes pages du journal El País jusqu’à sa mort, en octobre 2003 ; on retrouve dans les textes de presse d’Almudena Grandes la même veine satirique dans l’analyse de l’actualité, une mélancolie toujours teintée d’humour, le goût de l’écriture palimpseste, qui lui permettent de construire, pas à pas, une histoire culturelle du Madrid des XXème et XXIème siècles… Le fil conducteur de cette cartographie des marges : le combat féministe. Pour Almudena Grandes, la mission dévolue à l’écriture est celle de tracer la voie de la libération des femmes, ce qu’elle n’a eu de cesse de mener à bien dans son œuvre ; ses récits Modelos de Mujer (1996), comme l’ensemble de ses romans et de ses chroniques, en sont une illustration parfaite. Dans chacun de ses textes, elle lutte contre les stéréotypes de genre, sans jamais se départir de son franc-parler et de ses anecdotes imagées. Ainsi, dans sa chronique acerbe et savoureuse, “Una sartén y unas croquetas”, publiée dans El País le 12 novembre 2017, Almudena Grandes s’inquiétait-elle encore de la résurgence de réflexes machistes d’un autre temps, y compris dans les nouvelles générations : « ¿Vivimos en un mundo feliz, donde los viejos estereotipos de la sociedad patriarcal han sido superados y yo no me he enterado? Me temo que no ».  

 Bibliographie - Almudena Grandes :

–  Las edades de Lulú, Barcelona, Tusquets, 1989.
Te llamaré Viernes, Barcelona, Tusquets, 1991.
Malena es un nombre de tango, Barcelona, Tusquets, 1994.
–  Modelos de mujer, Barcelona, Tusquets, 1996.
Atlas de geografía humana, Barcelona, Tusquets, 1998.
Los aires difíciles, Barcelona, Tusquets, 2002.
–  Mercado de Barceló, Barcelona, Tusquets, 2003.
Castillos de cartón, Barcelona, Tusquets, 2004.
Estaciones de Paso, Barcelona, Tusquets, 2005.
El corazón helado, Barcelona, Tusquets, 2007.
Inés y la alegría, Barcelona, Tusquets, 2010.
El lector de Julio Verne, Barcelona, Tusquets, 2012.
– Almudena Grandes y Luis García-Araus, Atlas de geografía humana, Madrid, Ediciones del Centro Dramático Nacional/Colección Autores en el Centro, 2012.
Las tres bodas de Manolita, Barcelona, Tusquets, 2014.
Los besos en el pan, Barcelona, Tusquets, 2015.
Los pacientes del doctor García, Barcelona, Tusquets, 2017.
La Herida perpetua. El problema de España y la regeneración del presente, Barcelona, Tusquets, 2019.
–  La madre de Frankenstein, Barcelona, Tusquets, 2020.


Pour plus d'informations, contacter  christine.di-benedetto@univ-cotedazur.fr