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Appels à contributions
Le moi (Revue Alkemie, n° 29)

Le moi (Revue Alkemie, n° 29)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurelien Demars)

LE MOI

Appel à contribution pour le numéro 29 d’Alkemie

Revue semestrielle de littérature et philosophie

 Dans son livre Tu dois changer ta vie, Peter Sloterdijk dénonce « L’inquisition contre le moi ». Il s’agit d’un procès mené contre les fondements mêmes de la modernité : l’individu et sa liberté ainsi que la question de l’identité soulevée par ces derniers. L’homme se met à émanciper de Dieu qui le créa à son image.

Un pas décisif vers cette émancipation est l’ego du cogito de Descartes : l’ego en tant qu’instance devient la seule certitude face au doute méthodique, doute qui inaugurera la pensée moderne. Mais le penseur janséniste Blaise Pascal, parlera, quant à lui, de son « moi haïssable ». Derrière cette substantivation du pronom personnel forgée par Pascal se cache une crainte qui remonte à la séparation de la chair et de l’âme dans un corps, établie par l’Église. Ce moi forgé par le péché désigne une forte aliénation : l’âme de l’homme, que Dieu créa à son image, restera à jamais éloignée de son créateur. Faisant partie du commerce du monde, son moi voit son âme exclue de la Cité de Dieu. C’est la réalité de ce moi qui, selon Augustin, est poussé par l’amour-propre à se distinguer dans la Cité terrestre. Bien plus, une véritable égologie philosophique vient poindre avec les Lumières : par le fait qu’il est conscience de quelque chose qui a conscience de quelque chose, le moi est conçu comme « moi transcendantal » (Kant), futur pivot de l’idéalisme allemand. En même temps, sous l’influence de la littérature anglaise, le rationalisme des Lumières est doublé par le sentimentalisme scellant, au travers du roman épistolaire, la fonction du Je comme instance narrative, ce qui conduira au « pacte autobiographique » (Lejeune) conclu par Rousseau avec ses Confessions. Et en Allemagne, le mouvement du Sturm und Drang prépare cette exaltation du moi que connaîtra le romantisme et qui mènera, entre autres, à l’égotisme stendhalien.

À quel point l’égoïsme constitue l’ombre du moi moderne, cela est démontré par le jeune Goethe qui, dans son Satyros, fait dire à son personnage : « Pour moi, rien au monde ne me dépasse : Comme Dieu est Dieu, moi c’est moi ». Le classicisme allemand y répondra par l’idéal de la Bildung, cette « formation » du moi au contact avec la réalité. L’exaltation romantique du moi, en revanche, trouvera sa continuité dans l’anarchisme individuel de Max Stirner qui, dans L’Unique et sa propriété, proclame les droits suprêmes de l'individu, en se détachant de ses maîtres penseurs : « Si c'est le mérite de l'homme qui fait sa liberté (et que manque-t-il à la liberté que réclame le cœur du bon bourgeois ou du fonctionnaire fidèle ?), servir, c'est être libre. Le serviteur obéissant, voilà l'homme libre ! – Et voilà une rude absurdité ! » 

Le message de Zarathoustra, enseignant à l’homme supérieur, ressemble bien à celui de Stirner : « Pour moi – comment y aurait-il quelque chose en dehors de moi ? Il n’y a pas de non-moi ! ». Nietzche est le premier à dénoncer le Moi lui-même comme une « une construction de la pensée », une « fiction régulatrice ». Dans ses écrits posthumes, on peut lire également ce message terrible : « le “moi” subjugue, vole et tue, et commet tous les actes de violence ». L’homme commun n’est pas à la hauteur du moi supérieur de celui qui aura dépassé l’homme. Cet homme commun, donc le bourgeois, fuit la seule et unique distance capable de poser les valeurs : « Je veux des héritiers, ainsi parle tout ce qui souffre, je veux des enfants, je ne me veux pas moi ». Par ces propos, Nietzsche dénonce l’aliénation du sujet moderne.

Au tournant du 19e au 20e siècle, apparaissent non seulement la psychanalyse, faisant constat d’un appareil psychique dans lequel le moi n’est qu’une instance exposée aux forces du ça et du sur-moi, mais aussi une philosophie de la vie (notamment chez Bergson), pour laquelle les forces vitales font valoir le vrai moi constitué par les propos qui forment cette image fausse qu’est notre « moi empirique ». Peu à peu, la philosophie se tourne vers cet autre moi non aliéné, comme l’illustre, par exemple la quête d’authenticité menée par la philosophie de l’existence. En 1947, Levinas note ce changement d’angle de vue : « Le mal de l’être, le mal de la matière de la philosophie idéaliste, devient le mal d’être. » La préoccupation de cette relation entre le moi et son existence, l’apparition de l’existence comme charge à assumer, devient poignante dans certaines situations limites. Si les sciences humaines s’en sont emparées au siècle passé, la philosophie et la littérature contemporaines (qu’on songe à Vincent Descombes ou à l’autofiction), ne sont pas en reste pour revisiter, déconstruire, réhabiliter, repenser cette notion. C’est dans ce mouvement d’analyses à nouveaux frais que se place le prochain numéro d’Alkemie, consacré au moi. — Till Kunhle

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Les propositions d’article, inédit et en langue française, sont à envoyer jusqu’au 1er décembre 2021. Les textes doivent être transmis au comité de rédaction, aux adresses info@revue-alkemie.com et mihaela_g_enache@yahoo.com (en format Word, 30 000 à 50 000 signes maximum, espaces comprises). Les normes de rédaction et autres indications aux auteurs sont précisées sur le site de la revue (http://www.revue-alkemie.com/_03-alkemie-publier.html).

Outre votre contribution, nous vous prions d’ajouter, d’une part, une courte présentation bio-bibliographique (400 signes environ) en français, et, d’autre part, votre titre, un résumé (300 signes environ) et cinq mots-clefs en anglais et en français.

Date limite : 1er décembre 2021.

Site de la revue Alkemie : http://www.revue-alkemie.com

Directrice : Mihaela-Genţiana STĂNIŞOR

(mihaela_g_enache@yahoo.com).