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Repenser le savoir, refonder l’université (Toulouse)

Repenser le savoir, refonder l’université (Toulouse)

Publié le par Marc Escola (Source : Ahmed Mulla)

Le savoir académique et sa transmission ont longtemps été une affaire d’élites s’arrogeant son accès. Les centres de savoir en Inde antique formaient des apprentis à des métiers précis ou initiaient des jeunes à la mémorisation des textes védiques en sanskrit. Cela contribuait à créer une certaine élite brahmanique qui, au cours des siècles, avec des phénomènes sociaux associés à la migration, a donné lieu aux développements d’autres langues, créé d’autres espaces et pratiques, et d’autres centres d’intérêt d’études (Thapar 2015). Les témoignages des voyageurs en Inde attestent de l’existence d’échanges entre savants et étudiants venant d’autres pays. Bien que ces « objectifs » anciens, de transmission des savoirs et de l’hospitalité, soient encore l’apanage de l’université moderne, les modes d’accès aux savoirs ont connu des transformations profondes au cours des siècles. 

Plus précisément, dans le contexte indien, la mise en avant de l’enseignement technique et technologique a déséquilibré la valeur sociale des diplômes universitaires classiques au fil des années. Le savoir, à l’âge de l’informatique, du big data et de la conquête spatiale, est devenu un des atouts constituant le « soft power » de l’Inde. Ainsi que l’avait analysé Lyotard (1979), la construction des savoirs et des disciplines est une affaire de gouvernement à l’âge du numérique. Le gouvernement actuel privilégie une certaine lecture de l’histoire dans laquelle la science, les textes védiques et l’anciennenté du sanskrit servent à renforcer les discours nationalistes et la suprématie hindoue (Subramaniam 2019). Le savoir, dans ce sens, devient un enjeu politique et de pouvoir plus qu’une question d’enseignement, d’apprentissage ou de construction des sujets à travers la transmission et l’échange.

Si aujourd’hui la « démocratisation » de l’enseignement rend l’accès au savoir plus facile, le coût de cet accès reste inabordable pour beaucoup dans le « sous-continent » indien, et les conditions d’accueil et de la vie étudiante laissent à désirer dans certains cas (Chandra 2017). Lorsqu’il s’agit de l’enseignement supérieur, environ 8% de la population indienne détient une licence[1] avec des disparités d’accès aux filières techniques et professionnelles entre le monde urbain et le monde rural. Dans un pays comptant plus d’un milliard d’habitants avec une densité accrue de population dans certaines régions, et qui doit faire face à la problématique de la malnutrition et à d’autres maux endémiques, la question du savoir peut ainsi paraître à la fois éloignée et proche des préoccupations sociales.  

L’université est un des lieux (parmi d’autres) de formation, de production et de transmission des savoirs. Si le but de la formation est de participer à une transformation sociale, les universités sont un des espaces « sans condition » (selon les mots de Derrida) pour échanger avec ses contemporains[2]. 

En tant que lieu de brassage de populations, de rencontres et d’hospitalité, l’université peut témoigner de la naissance des luttes de pouvoir en tendant un miroir à la société : le mouvement anti-colonial et contre les inégalités sociales avant l’indépendance (Ghosh 2014) ainsi que des conflits dans les années récentes en Inde (autour de la politique liée aux quotas, aux minorités, aux mouvances de gauche, aux mouvances altermondialistes, à la citoyenneté etc.) sont des exemples saillants de cette agora que peut être l’université. 

Comment rendre compte de la perspective historique à la lumière de ce qui se passe dans le monde contemporain ? Car les conditions du « marché » (offre et demande) dictent non seulement les objets mais également les résultats de la recherche dans certains cas[3] et la problématique de la « marchandisation de l’enseignement » se trouve décuplée dans des sociétés avec une forte pression sur la « performance » scolaire et où les enseignants sont amenés à (se) demander si la survalorisation des scores ne dévalorise pas le « contenu » du cours, voire l’évaluation même. 

Comment continuer à « produire[4] » et à partager des savoirs face à la libéralisation sans fin ? Quels choix, quels parcours, quelle(s) recherche(s) proposer dans les offres de formation à l’université au XXIe siècle ? Comment repenser le savoir et refonder l’université en réinventant les missions de transmission et de recherche académiques pour répondre aux enjeux de notre époque et anticiper ceux des prochaines générations ?  Comment conserver un espace où l’échange et le débat restent possibles ? 

Pour répondre à ces questions les propositions peuvent s’articuler autour d’un des axes en suivant des pistes de réflexion proposées :

Axe 1 — L’université comme un lieu d’échanges, lieu de réflexion, lieu de luttes

-          Histoire des idées de/sur l’université 

-          L’université comme lieu de partage et d’hospitalité

-          L’écriture / la réécriture des savoirs dans le contexte contemporain

-          Le rapport au savoir à travers l’histoire 

Axe 2 — La transmission, les enjeux économiques et les transformations sociétales

-          Les différentes formes de savoir et leur transmission 

-          La transmission des savoirs au prisme du numérique

-          Reflets des transformations contemporaines dans les arts (littérature, arts visuels, pratiques théâtrales, arts plastiques…) et les discours 

-          Inégalités sociales et accès au savoir

Axe 3 — Politique(s) du savoir 

-          Liberté et créativité à l’épreuve des régimes de savoir

-          Ethique et politique de la recherche universitaire 

-          La question du mérite et de l’hégémonie dans l’accès au savoir

-          Quel(s) savoir(s) transmettre, à qui, pourquoi et comment ?

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Bibliographie  

Chandra, Pankaj, Building Universities That Matter: Where are Indian Institutions Going Wrong, New Delhi, Orient Blackswan, 2017.

Cody, Francis, The Light of Knowledge: Literary Activism and the Politics of Writing in South India, Ithaca, Cornell University Press, 2013.

Derrida, Jacques, L’université sans condition, Paris, Galilée, 2001. [Texte original en anglais "The Future of the Profession, or the Unconditional University (Thanks to the 'Humanities': What Could Take Place Tomorrow)"]

Ghosh, Suresh Chandra, “The Genesis of Curzon’s University Reforms, 1899-1905”, in Rao, Parimala (éd.) New Perspectives in the History of Indian Education, New Delhi, Orient Blackswan, 2014, p. 224-268.

Lyotard, Jean-François, La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Les Editions de Minuit, 1979.

Subramaniam, Banu, Holy Science: The Biopolitics of Hindu Nationalism, Seattle, University of Washington Press, 2019.

Thapar, Romila, The Penguin History of Early India: From the Origins to AD 1300, (1e éd. intitulée Early India, Allen Lane the Penguin Press, 2002) réimp. Gurgaon, Penguin Books India, 2003, rééd. 2015. 

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Ce colloque pluridisciplinaire aura lieu à l’Université Toulouse 1 Capitole en mode hybride (présentiel et distanciel) ou en distanciel, sous réserve de contraintes sanitaires en vigueur en France au mois de juin 2022.   

Les auteurs peuvent envoyer leur proposition de communication (de 200 mots) en français ou en anglais  avec un titre provisoire et accompagnée d’une note biographique (nom, établissement de rattachement, position et travaux) à madhura.joshi@ut-capitole.fr et à ahmed.al_mulla@yahoo.fr

Date limite d’envoi de proposition : le 8 avril 2022

Date de retour aux auteurs : le 18 avril 2022

Finalisation et Envoi du programme : mi-mai 2022

Dates du colloque : les 16 et 17 juin 2022.


 
[1] https://www.thehindu.com/news/national/only-815-of-indians-are-graduates-census-data-show/article7496655.ece , dernière consultation le 14 janvier 2022.
[2] Il y a certes d’autres espaces, d’autres milieux (associatifs, militants etc.) qui permettent également le « devenir sujet » et « citoyen » (Cody 2013).  
[3] Ainsi que l’on peut entendre dans des témoignages de quelques chercheurs.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/harcelement-precarite-universite-le-grand-gachis dernière consultation le 8 janvier 2022.
[4] La désignation « produit » (output) semble se généraliser à tous les domaines, avec les articles scientifiques devenant des « produits de la recherche » dans les rapports officiels.https://www.hceres.fr/fr/guides-des-produits-de-la-recherche-et-activites-de-recherche dernière consultation le 8 janvier 2022.

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Comité scientifique

Madhu Benoit, Université de Grenoble-Alpes
Corinne Bigot, Université Toulouse 2 
Michel Naumann, Université Cergy Pontoise
Tejaswini Niranjana, Ahmedabad University, Inde
Jean-Marie Prieur, Université Montpellier 3
Ludmila Volná, ERIAC Université de Rouen et Charles University, Tchéquie
Nishat Zaidi, Jamia Milia Islamia University, Inde

Comité d’organisation

Fabien Chartier, Université Rennes 1
Madhura Joshi, Université Toulouse 1 Capitole, CAS Université Toulouse 2 Jean Jaurès     
Ahmed Mulla, Université de Guyane
Jitka de Préval, chercheure indépendante, spécialiste du cinéma indien
Caroline Trech, Université de Rouen