Actualité
Appels à contributions
Récits de la charge mentale des femmes. Small stories 2

Récits de la charge mentale des femmes. Small stories 2

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sylvie Patron)

Appel à communications – février 2020

Journée d’étude du programme « Questions de récit » (CÉRILAC, EA 4410)

Paris, 4 décembre 2020

en partenariat avec le Paris Centre for Narrative Matters

RÉCITS DE LA CHARGE MENTALE DES FEMMES

SMALL STORIES 2

Coordination : Sylvie Patron

Publication Hermann, coll. « Cahier Textuel »

 

Cette journée d’étude s’inscrit dans le programme « Questions de récit » (CÉRILAC, EA 4410 ; voir https://cerilac.u-paris.fr/questions-de-recit), en partenariat avec le Paris Centre for Narrative Matters (projet IdEx « Dynamique Recherche » 2019 ; voir https://cerilac.univ-paris-diderot.fr/paris-centre-narrative-matters). Elle vise à réunir des chercheurs et des chercheuses travaillant pour les uns sur des corpus de récits de la vie quotidienne, pour les autres sur des récits littéraires ou des œuvres narratives dans différents média, autour d’un sujet original : ce que nous appelons ici  les « récits de la charge mentale des femmes ». 

La notion de charge mentale

La notion de charge mentale a été introduite dans les années 1980 dans le champ de la sociologie du travail (on parle de « charge mentale au travail » ou de « charge de travail mentale »). Elle est le pendant de la « charge (de travail) physique ». Elle permet de décrire les pressions exercées sur le psychisme des travailleurs. Elle peut être mesurée statistiquement (il y a des indicateurs de charge mentale). On peut aussi décrire le contexte socio-économique du renforcement de la charge mentale. On sait par exemple qu’elle est amplifiée par de fortes contraintes de rythme.

En 1984, dans « La gestion ordinaire de la vie en deux », la sociologue Monique Haicault utilise pour la première fois la notion de charge mentale dans la sphère du travail domestique, pour référer à la charge mentale spécifique des femmes (mariées, mères de famille, en activité). Elle évoque « la gestion quotidienne du travail salarié et du travail domestique, spécifique de la place des femmes dans les rapports sociaux de classes et de sexe » et ce qu’elle appelle « la charge mentale de la journée “redoublée” » : « La charge mentale de la journée “redoublée” est lourde d’une tension constante, pour ajuster des temporalités et des espaces différents, mais non autonomes, qui interfèrent de manière multiplicative » (Haicault, 1984, p. 268). Ici aussi, la notion de charge mentale est connexe de celle de surcharge. Mais la particularité de la charge mentale des femmes vient de la nécessité d’avoir à gérer quotidiennement deux espace-temps (avec des rythmes, des horaires, des échéances) inextricablement enchevêtrés. 

Dans « Thinking About the Baby » (1996), la sociologue américaine Susan Walzer souligne également la féminisation préférentielle de la charge mentale lors de l’arrivée d’un enfant dans le foyer. « Dans cet article, écrit-elle, je m’intéresse à la charge invisible, purement mentale [littéralement, au travail mental, mental labor] qui est impliquée dans le fait de prendre soin d’un nouveau-né. Je montre que le déséquilibre entre les sexes dans cette forme de soin a un impact particulier sur la reproduction des inégalités et sur l’accroissement des tensions au sein du couple ». Elle précise que son utilisation du terme de charge mentale « vise à distinguer d’un côté les pensées, les sentiments, le travail interpersonnel qui accompagnent les soins prodigués aux nouveau-nés, de l’autre les tâches physiques » et qu’elle inclut dans la catégorie générale de charge mentale « ce qui a été appelé [ailleurs] travail “émotionnel”, “effort de pensée” ou travail “invisible” » (Walzer, 1996, p. 219)[1].

En France, la notion de charge mentale a connu un succès populaire inattendu avec la bande dessinée d’Emma, Fallait demander, publiée sur Facebook à la mi-mai 2017. « La charge mentale, c’est le fait de toujours devoir y penser. Penser au fait qu’il faut ajouter les cotons-tiges à la liste des courses, que c’est le dernier délai pour commander le panier de légumes de la semaine, et qu’on est en retard pour les étrennes du gardien » : cette définition surplombe le dessin de trois personnages féminins réunis autour d’une table, auxquels sont reliées des bulles de pensée représentant l’une une boîte de cotons-tiges, l’autre un assortiment de légumes, la troisième des billets et des pièces de monnaie (voir https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes/). La vignette suivante ajoute un élément dans chaque bulle : un pantalon trop court, une seringue de vaccin, une chemise d’homme... On retrouve plus loin le thème du travail « invisible » (en gras dans le texte). 

La notion de charge mentale a ensuite été reprise dans un grand nombre de média. Elle est entrée dans le vocabulaire courant, dans les conversations, les messages, les blogs. Des variations sur le thème de la libération de la charge mentale (« Exit la charge mentale », « SOS charge mentale », etc.) figurent aujourd’hui dans les titres de nombreux ouvrages de psychologie grand public.

Les récits de la charge mentale des femmes

Avec la bande dessinée d’Emma, nous sommes entrés dans le domaine du récit. La dessinatrice raconte, par le texte et par les images, la charge ou la surcharge mentale, les situations qui la créent, sa répartition inégale (une vignette représente un couple sur un canapé, devant la télévision : elle, elle a toujours dans la tête la boîte de cotons-tiges, le pantalon, les carottes, la seringue ; lui, il sourit et paraît détendu). Les articles cités précédemment, notamment celui de Monique Haicault, font également référence aux « témoignages des pratiques de la vie domestique », à la « production narrative », aux « histoires des familles » (p. 272). Il s’agit ici de récits sollicités dans le cadre d’entretiens de recherche, mais l’article évoque ponctuellement les petits récits qui apparaissent spontanément dans les interactions des femmes entre elles : « À l’usine, les femmes parlent et gèrent la maison, élaborent leurs projets : faire construire (“elles se montent le coup” dira le chef de service logement de l’entreprise), les gosses, les achats… Elles se racontent leur corps infatigable et leur corps fatigué […] » (p. 273). 

Dans cette journée d’étude, nous nous intéresserons directement et de façon approfondie aux récits de la charge mentale des femmes, de l’ubiquité mentale des femmes et de leur anticipation constante des tâches inhérentes à la vie domestique et familiale.

L’analyse en termes de small stories

Les small stories (« petites histoires », « petits récits », « micro-récits ») ont été introduites dans la discussion scientifique par Michael Bamberg et Alexandra Georgakopoulou. Le terme recouvre « un ensemble d’activités narratives sous-représentées, comme les récits d’événements en cours, d’événements futurs et hypothétiques, d’événements partagés (connus), mais aussi les allusions à des récits, les récits différés ou encore les refus de raconter » (Georgakopoulou, 2007, p. vii ; voir aussi 2020, p. 19). Ces activités narratives sont sous-représentées ou ne sont pas considérées comme des récits dans l’analyse traditionnelle des récits de la vie quotidienne. Le but de la small stories research est de déplacer l’attention, auparavant centrée sur les récits de soi, récits longs, pris en charge par un narrateur ou une narratrice unique, consacrés à des événements passés non partagés, vers les récits courts et fragmentés que l’on trouve dans les environnements interactionnels de tous les jours et notamment aujourd’hui sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.). 

L’analyse en termes de small storiesnous paraît fournir une approche bien adaptée à la nature des récits qui nous intéressent – on peut citer encore une fois Monique Haicault sur « [c]es minuscules censures qui se disent dans un simple et si fréquent : “je n’ai pas le temps” » (p. 275). C’est la raison pour laquelle nous avons commencé par demander aux contributeurs et aux contributrices de l’ouvrage Small stories : un nouveau paradigme pour les recherches sur le récit (Sylvie Patron, éd., Paris, Hermann, 2020) de proposer une communication dans le cadre de cette journée. 

Pour compléter ce programme en cours d’élaboration, nous sollicitons des propositions de communications qui envisagent les récits de la charge mentale des femmes :

de préférence dans des récits en interaction du type small stories, mais éventuellement aussi dans des récits sollicités au cours d’entretiens individuels et dans tout autre type de récits de la vie réelle ;

dans des récits littéraires ou cinématographiques, des récits en bandes dessinées ou dans toute autre œuvre narrative, quel que soit le médium ;

sous l’angle de leurs caractéristiques textuelles et/ou interactionnelles ;

sous l’angle de leurs contextes d’apparition et de leurs liens avec les pratiques sociales ;

sous l’angle de la représentation des états mentaux dans le récit de fiction ;

sous l’angle de la construction de l’identité, en tant que lieux d’agentivité et de résistance. (Liste non exhaustive.)

*

Les communications feront l’objet d’un article qui sera publié dans un volume de la collection « Cahier Textuel », que les échanges auront permis d’enrichir.

*

Références

Emma, Fallait demander, en ligne : https://emmaclit.com/2017/05/09/repartition-des-taches-hommes-femmes, également édité dans Un autre regard, vol. 2, Paris, Massot, 2017.

Georgakopoulou, Alexandra, Small Stories, Interaction and Identities, Amsterdam et Philadelphie, John Benjamins, coll. « Studies in Narrative », 2007.

— « La small stories research : une analyse narrative pour le XXIesiècle. Essai de cartographie », trad. Sylvie Patron, in Sylvie Patron, éd., Small stories : un nouveau paradigme pour les recherches sur le récit, Paris, Hermann, coll. « Cahier Textuel », 2020, pp. 17-68.

Haicault, Monique, « La gestion ordinaire de la vie en deux », Sociologie du travail, vol. 26, n° 3, juillet-août-septembre 1984, pp. 268-277, repris dans L’Expérience sociale du quotidien. Corps, espace, temps, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Sciences sociales », 2000, pp. 83-93.

Patron, Sylvie, éd.,Small stories : un nouveau paradigme pour les recherches sur le récit, Paris, Hermann, coll. « Cahier Textuel », 2020.

Walzer, Susan, « Thinking About the Baby : Gender and Divisions of Infant Care », Social Problems, vol. 43, n° 2, 1996, pp. 219-234, repris dans Helena Z. Lopata et Judith A. Levy, éds, Some Problems Across the Life Course, Lanham, Rowman and Littlefield, 2003, pp. 141-159.

 

Calendrier

• Date limite d’envoi des propositions (2500 signes maximum) : 30 avril 2020

• Date de notification des réponses : 30 mai 2020

• Date de la journée d’étude : 4 décembre 2020

• Date limite de remise des textes (articles inédits de 30 000 à 50 000 signes, à préciser en fonction du nombre de propositions reçues) : 31 janvier 2020

*

Les propositions de communications doivent comporter le nom de l’auteur, son affiliation professionnelle et son courriel. Elles doivent être envoyées, avec la mention « Récits de la charge mentale des femmes » en objet du message, à sylvie.patron@orange.fr

 

 

[1]« In this paper, I focus on the more invisible, mental labor that is involved in taking care of a baby and suggest that gender imbalances in this form of baby care play a particular role in reproducing differentiation between mothers and fathers and stimulating marital tension. My use of the term “mental” labor is meant to distinguish the thinking, feeling, and interpersonal work that accompanies the care of babies from physical tasks […]. I include in the general category of mental labor what has been referred to as “emotion” work, “thought” work, and “invisible” work […] ».