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Rachilde ou les aléas de la postérité : De l’oubli au renouveau (La revue des Lettres modernes Minard – Garnier Série Minores XIX-XX)

Rachilde ou les aléas de la postérité : De l’oubli au renouveau (La revue des Lettres modernes Minard – Garnier Série Minores XIX-XX)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : thierry poyet)

Depuis une trentaine d’années, Marguerite Eymery, devenue Mme Alfred Valette, dite Rachilde (1860-1953), connaît un regain d’intérêt. Plusieurs de ses romans ont été réédités au Mercure de France tandis que la critique universitaire, par des publications de plus en plus nombreuses, et même des colloques (par exemple, à Chicoutimi en 2011), s’empare de son œuvre pour s’interroger sur la place de la femme dans l’espace littéraire à travers l’expérience vécue par la journaliste et écrivaine. Alors qu’elle a occupé une place considérable dans le monde des lettres pendant des décennies, tous les biographes de Rachilde insistent sur sa mort dans une quasi indifférence, l’écrivaine se trouvant frappée par un oubli à s’enraciner. Or, les explications manquent pour éclairer les aléas d’une postérité retorse tandis que le renouveau qui frappe son œuvre depuis une bonne vingtaine d’années cherche lui aussi une explication rationnelle

Rachilde et son œuvre étaient-elles en avance sur leur temps ? Trop, pour ne pas surprendre et choquer, trop pour ne pas susciter des jalousies et un rejet injuste, trop pour ne pas être condamnées à un long purgatoire ? A l’inverse, quelles lectures suscitent l’écrivaine et sa soixantaine de romans en 2021 qui montreraient que plus d’un siècle avant nous Rachilde aurait déjà posé nombre des questions qui alimentent nos principaux débats et peut-être éclairé nos incertitudes au point d’avoir beaucoup dit de ce que nous ne ferions que répéter ? L’enjeu du futur volume collectif que nous appelons de nos vœux doit répondre à un double enjeu de réflexion rétrospective et prospective.

Auteur de plus de soixante romans, d’innombrables articles et ayant vécu très active dans la République des Lettres, tant par ses fonctions au Mercure de France que par son salon où elle accueillit au fil des décennies des écrivains comme Verlaine, Mendès, Huysmans, Apollinaire, Renard, Barrès, Mallarmé, Carco, Gide, Jarry, Mallarmé ou Wilde, Rachilde a incarné la littérature française de son époque.

Malgré une grande notoriété de son vivant, la femme de lettres, qui est morte dans un isolement bien réel, apparaît aujourd’hui en mesure d’occuper une place de choix au Panthéon des auteurs mineurs. Mais une telle classification interroge : qu’est-ce qui fait d’elle un auteur mineur ? Faut-il chercher du côté de son goût du scandale ? De sa plume trop féconde ? De ses relations ? De la jalousie masculine ? De l’aveuglement de la postérité ?  En réalité, le parcours de Rachilde interroge la question de la minorité littéraire par des prismes multiples, qui vont du féminisme au scandale moral, des fréquentations cénaculaires aux écoles littéraires, de la relation au temps (entre modernité et esprit fin-de-siècle) aux engagement politiques (pacifisme, place des juifs). Alors que Jean Lorrain écrivait à propos de L’Animale (1893) : « Je viens de lire le livre le plus pervers, le plus malsain le le plus cruellement détraqué que je connaisse... » et contribuait, avec d’autres, à réduire l’œuvre de Rachilde à une écriture de la provocation, le parcours de la femme de lettres, dans sa variété, sa richesse et sa longévité, offre au contraire un large panorama de la manière dont on fait de la littérature à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du suivant.

Le volume collectif Rachilde ou les aléas de la postérité. De l’oubli au renouveau : pourquoi ? comment ? propose, entre autres approches, de réfléchir sur l’œuvre et le personnage de Rachilde (entre : femme, femme/homme de lettres et écrivaine) en revenant à nouveaux frais sur :

 

  • La place de la femme : comment la femme écrivaine s’impose-t-elle (ou pas) dans un monde littéraire aux habitudes masculines ?

Rachilde occupe une position complexe : perçue comme une pionnière du féminisme, elle sait défendre Colette à ses débuts, puis l’attaquer ; elle sait revendiquer une place pour les femmes mais aussi rompre avec un certain féminisme. Comment comprendre son parcours ? Dans quelle mesure s’agit-il notamment pour une approche de type gender studies de proposer une relecture de l’œuvre de Rachilde ? Quelle image de la femme promeut Rachilde à travers ses personnages féminins inscrits dans des rapports de pouvoir ? Comment la thématique de l’amour, que la littérature n’avait cessé d’associer à la femme, se trouve-t-elle reconsidérée ? Comment la femme rachildienne, bien sûr, interpelle-t-elle le lecteur de 2021 ?

 

  • L’ordre moral : la littérature peut-elle faire une place à la transgression sans que ses auteurs ne se trouvent accusés de perversion ?

Nombreux sont les romans de Rachilde qui ont choqué les lecteurs de son époque en proposant une écriture érotique qui travaille les fantasmes les moins abordés et une réflexion (probablement trop en avance sur son temps pour ne pas heurter) sur les questions d’identité sexuelle, de rapports de domination entre les genres. Parce qu’elle s’est emparée librement du thème sexuel, le plus souvent selon des angles qu’a réprouvés une certaine conscience morale, Rachilde s’est trouvée accusée d’être l’écrivaine de la dépravation et de l’immoralité. Parce que la femme a osé se travestir en homme, fréquenté les hommes célèbres jusqu’à entretenir des relations intimes avec plusieurs d’entre eux et développé sans cesse – et dans tous les domaines – l’image de la femme libre (autant que libérée), son œuvre se trouve parfois réduite à n’être plus qu’un discours sur la féminité, le féminisme ou la sexualité. Comme si l’émancipation de la femme se transformait en piège pour l’écrivaine d’autant que celle-ci, plus indépendante que jamais, publie en 1928 un Pourquoi je ne suis pas une féministe ? qui la met au ban de la dernière société susceptible de la défendre. Et puis on reproche aussi à Rachilde son goût du macabre, sa remise en cause des fondements de la société (le mariage, la maternité), une manière d’être iconoclaste. Comment la mondaine est-elle devenue infréquentable ?

 

  • Rachilde et le monde littéraire

On prête beaucoup à l’écrivaine Rachilde, et notamment le pouvoir d’avoir influencé, sinon façonné, la littérature de son époque. Une question se pose : elle qui a accompagné le symbolisme, connu l’esprit fin-de-siècle – et été promue reine des Décadents –, contribué à lancer quelques grands écrivains, quelle conception de la littérature choisit-elle de défendre et de promouvoir ? Quelle poétique incarne Rachilde, héritée de quel(le)s maître(sse)s ? Et puis : qui pour se revendiquer de l’esthétique, des thèmes et de la conception de la vie que porte Rachilde tout au long de sa carrière dans les lettres ? Quels sont ses héritiers ? Ou encore : qui la lit aujourd’hui ? Ou plutôt : qui devrait la lire ? Il faudra revenir sur sa relation à Colette, à Ana de Noailles, sur ses critiques de Proust ou Mauriac, sur son influence (la sienne ou celle de son mari, son poids dans la république des Lettres, avec le Mercure de France) et se faire une idée exacte de son œuvre critique entre ses chroniques, ses interviewes ou ce qui a pu être rapporté de seconde main. Il reste à mesurer exactement la manière dont ses contemporains l’ont lue et critiquée, quelle place ils ont voulu lui laisser ou celle qu’elle a su leur prendre et comment les fameux « mardis » de Rachilde ont construit la littérature française du début du XXe siècle. Il faudra aussi relire Rachilde mémorialiste, sa manière d’évoquer ses amis importants (cf Alfred Jarry ou le surmâle des lettres (1928) ; Portraits d'hommes (1930).)

 

  • Les minores au féminin ?

Être considéré comme un auteur mineur renvoie à différents critères qui peuvent tenir à un manque d’originalité (suivisme, reprises, réécriture…), à un éclectisme qui empêche le lecteur de retrouver un style ou un ton, à une polygraphie qui inscrit l’auteur dans des genres trop différents… Mais apparaître comme une écrivaine mineure, est-ce relever de ces mêmes imperfections ou bien est-ce faire l’objet d’autres jugements, plus sectaires encore, peut-être, qui empêcheraient par exemple de revendiquer une identité de genre, une écriture féminine/féministe, de traiter certaines thématiques (sexualité, fantasmes, politique, idée de nation…), d’employer un certain ton (provocation, subversion…) ? Autrement dit : qui sont les minores au féminin dans une sociabilité masculine ? Une écrivaine mineure ressemble-t-elle trait pour trait à un écrivain mineur ? Dans quelle mesure l’identité sexuelle de l’auteur le définit-il en tant que mineur ? Ou bien encore : pour ne pas être un auteur mineur, faut-il renoncer à être une femme de lettres et se dire « homme de lettres » ? Y a-t-il des droits tolérés aux hommes écrivains qu’on refuserait aux femmes : le droit de se répéter, ou de recycler des textes, le droit de choquer par exemple ? Il s’agira d’interroger les romans de Rachilde – qu’il en aille d’une approche monographique ou comparative –, d’observer comment ils se répondent et dessinent une évolution qui fait de Rachilde une écrivaine à part entière – avec son style, ses thèmes de prédilection, ses sources, ses obsessions, sa langue, etc. – et de comprendre encore  les liens que son œuvre entretient avec celles d’autres écrivains, contemporains ou classiques.

 

  • Rachilde dans son époque

Rachilde est une femme engagée. Sa notoriété d’écrivaine lui sert aussi à faire entendre ses opinions, par exemple sa conception de la féminité mais encore sa définition de la modernité, son approche de la sexualité et de la moralité, sans oublier – tout aussi importants pour elle – son patriotisme en même temps que son pacifisme avec la Grande Guerre, son besoin d’absolu, son refus des étiquettes qui enferment les individus dans des fonctions et des normes, par exemple. Étudier ses écrits en général, ses relations avec ses contemporains ou les scandales qu’elle a suscités, c’est revisiter un siècle français, de 1860 à 1950, quasiment de la chute du Second Empire à la fin de la seconde Guerre mondiale, dans ses errements (Rachilde est anti-dreyfusarde) et ses réussites. C’est encore prétendre à reconsidérer les rôles normatifs : qu’est-ce qu’appartenir à une minorité, selon quel ethos social ?

 

  • Pourquoi l’oubli ?

Bien sûr, on ne fera pas l’économie de reconsidérer les causes d’un oubli aussi rapide que terrible : comment « Mademoiselle Baudelaire » selon la formule barrésienne est-elle tombée dans l’oubli ? Au nom de quels principes littéraires, esthétiques, moraux ou politiques ? Et, parmi ces principes, quels sont ceux qui, aujourd’hui, rendent les romans de Rachilde d’une extrême actualité ?

Nous reprenons volontiers le projet qui nourrit et unit les recherches récentes sur l’œuvre de Rachilde, à savoir la volonté de mieux comprendre la modernité d’une œuvre qui a encore beaucoup à nous dire.

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Les propositions de contribution (maximum 3000 signes), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 15 décembre 2021 à l’adresse suivante :

Thierry.poyet@uca.fr

Les réponses seront données au 15 janvier 2021 au plus tard, les contributions devront être remises pour le 15 juillet 2022.

 

Éléments bibliographiques

Auriant, Souvenirs sur Madame Rachilde, Reims, À l'Écart, 1989.

Guri Ellen Barstad, « Violence et sacré dans La Jongleuse de Rachilde », Revue Analyses, vol. 12, n°1, hiver 2017, Østfold University College.

Regina Bollhalder Mayer, Eros décadent. Sexe et identité chez Rachilde, Paris, Honoré Champion, 2002.

M. Coulon, « L'Imagination de Rachilde », Mercure de France, 15 septembre 1920.

Romain Courapied, « Mensonges de l’intention d’auteur en période décadente. Les difficultés exégétiques dans Monsieur Vénus (1884) de Rachilde », Revue Postures, « En territoire féministe : regards et relectures »

Claude Dauphiné, Rachilde, Paris, Mercure de France, 1991 (1ère éd. : Rachilde, femme de lettres 1900, Périgueux, Pierre Fanlac, 1985).

A. David, Rachilde, homme de lettres, son œuvre : document pour l'histoire de la littérature française, Paris, Éditions de La Nouvelle revue critique, 1924.

Marie-Claude Dugas, « Femme fatale et femme nouvelle : des modèles féminins transgressifs dans La Jongleuse de Rachilde » in Andrea Oberhuber, Alexandra Arvisais, Marie-Claude Dugas (dir.), Fictions modernistes du masculin-féminin, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 101-111.

marie-claude.dugas@umontreal.ca Hysteria, Hypnotism, the Spirits, and Pornography : Fin-de-siècle Cultural Discourses in the Decadent Rachilde. Newark, University of Delaware Press, 2009.

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