Questions de société
[France] Pour des cours délivrés intégralement en présence (Motion du Département de Lettres de l’Université de Bourgogne)

[France] Pour des cours délivrés intégralement en présence (Motion du Département de Lettres de l’Université de Bourgogne)

Publié le par Marc Escola (Source : Guillaume Bridet)

Motion du Département de Lettres de l’Université de Bourgogne à l’heure où le discours gouvernemental fait de l’enseignement à distance une valeur en soi.

L’expérience de l’enseignement à distance, qui s’est mise en place dans l’Université française dès le début du confinement de la nation engagé à partir du 17 mars 2020, a été douloureuse à maints égards. Nous sommes à présent en mesure d’en tirer les leçons :

- Concernant les étudiants, l’enseignement à distance a fonctionné comme un accélérateur des inégalités sociales dans l’apprentissage des connaissances et il a entraîné le décrochage de nombre d’entre eux. Le confinement a conduit à une désocialisation dont les effets psychologiques ont été dévastateurs sans que l’enseignement à distance ne réussisse à les compenser. Nos étudiants ont besoin d’apprendre ; ils ont aussi et surtout besoin d’apprendre à apprendre ; ils ont besoin de réfléchir ensemble et avec leurs enseignants. Tout cela implique une transmission dans un cadre vivant et collectif. Contrairement à ce que l’on entend ici ou là, l’enseignement à distance mis en œuvre dans la panique du Covid n’est en rien comparable à l’enseignement à distance que nous pratiquons à destination d’un public spécifique qui a choisi – souvent par défaut – ce mode d’études.

- Du côté des enseignants, l’enseignement à distance s’est révélé très insatisfaisant. Il a entraîné une forte déperdition pédagogique, s’est avéré chronophage à l’excès et a généré un épuisement massif. Il a également eu pour conséquence de mettre ceux d’entre nous qui sont enseignants-chercheurs dans l’impossibilité de poursuivre toute recherche et les a ainsi contraints à renoncer à une partie des missions qui font de l’Université un service public.

Malgré l’investissement des enseignants et des étudiants pour sauver ce qui pouvait l’être lors de la période de confinement, l’enseignement à distance a d’ores et déjà fait la preuve de ses graves défauts. Quels que soient les dispositifs mis en place et contrairement à ce qu’annonce notre ministre, ce qui a eu lieu durant la plus grande partie du second semestre de l’année universitaire 2019-2020 ne doit être reproduit ni pour l’année à venir ni dans le futur.

C’est forts de cette expérience des mois derniers mais aussi de la réflexion quotidienne que nous menons sur nos pratiques et sur l’institution à laquelle nous appartenons, que nous, Département de Lettres de l’Université de Bourgogne, refusons de consentir à une telle dégradation de notre métier d’enseignant et décidons, tout en tenant compte des contraintes sanitaires, de préparer la rentrée dans un dispositif entièrement en présence.

L’enseignement à distance n’est pas la seule réponse possible à la crise sanitaire. La situation présente nous demande d’être inventifs. Il est selon nous de loin préférable de jouer sur d’autres variables : division des groupes d’étudiants, réaménagement du calendrier d’enseignement, étalement des créneaux horaires, etc. Si une rentrée « normale » s’avérait impossible, nous décidons de maintenir exclusivement un enseignement en présence en accompagnant des demi-groupes avec un système de rotation. Nous faisons ainsi le choix d’un contenu resserré mais transmis dans de bonnes conditions, tout en guidant les étudiants lors de leur temps de travail en autonomie. Nous pensons en effet qu’au-delà des solutions hybrides toujours insatisfaisantes (choix de cours prioritaires, classes filmées, distribution de cours polycopiés ou présence perlée au cours du semestre), il est possible de promouvoir une autre conception de l’enseignement en présence.

Si nous en sommes cependant réduits à inventer collectivement ce type de solutions, c’est parce que la crise sanitaire en cours a révélé le manque criant de financement de l’Université depuis la loi LRU de 2007, en particulier le sous-investissement dramatique concernant l’enseignement, qu’aggravera encore la LPPR. Si notre université disposait de locaux et de personnels en nombre suffisant (personnels d’entretien, personnels administratifs et techniques, personnels enseignants et chercheurs), la question d’un passage total ou partiel en enseignement à distance ne se poserait pas de la même façon. Il est désastreux que les étudiants et les enseignants continuent à être les victimes de choix budgétaires qui, depuis plus de dix ans, ont pour seul but de faire des économies au détriment de la qualité des conditions d’enseignement et de recherche.

Comme d’autres motions signées par d’autres collègues dans d’autres universités, cette motion a vocation à circuler le plus largement possible. Nous espérons que d’autres départements ou composantes, dans notre université et ailleurs, s’en inspireront pour diffuser et imposer des idées comparables. Il en va de l’avenir de l’Université, de la jeunesse étudiante et de notre pays.

Motion votée à l’unanimité le 23 juin 2020.